Vous souhaitez vous installer en agroécologie ? Transmettre votre ferme ? Pour répondre à ces problématiques, Maxime Pawlak a créé Eloi. Il raconte – notamment – comment et pourquoi il est passé de l’informatique à la conversion d’une agriculture à taille humaine.
L’agriculture (et les agriculteurs) : un coup de cœur
Maxime Pawlak, co-fondateur d’eloi : “Après vingt ans d’entreprenariat en informatique, j’ai eu l’opportunité de vendre mon entreprise. Excellent timing : à quarante ans, j’avais envie de donner plus de sens à ma carrière, en y ajoutant un impact écologique et sociétal.
Mais comment agir ? Sur quel levier ? Après m’être intéressé à plusieurs domaines, c’est finalement de l’agriculture dont je suis littéralement tombé amoureux. Grâce, entre autres, à la quantité d’impacts possibles dans ce secteur : captation de carbone dans les sols, préservation de l’eau, de la biodiversité, création d’emplois non délocalisables…
D’une vulnérabilité l’autre
Venant de l’informatique, ce n’était pas forcément un sujet que je maîtrisais bien. Je me suis donc mis à rencontrer beaucoup de monde pour comprendre le marché et les points de blocage empêchant les transitions des agriculteurs vers l’agroécologie. J’ai donc commencé par beaucoup me renseigner.
Mais ce qui a déclenché l’action est autre chose : à sa naissance, notre dernière fille s’est avérée porteuse d’un handicap assez lourd. On a passé les premiers mois dans l’angoisse, sans comprendre ce qu’elle avait. Et quand enfin le diagnostic est tombé (soulagement), ça a provoqué un déclic : je me suis mis en mouvement. Dans la nuit, j’ai commencé à élaborer mon business plan pour agir concrètement dans l’agriculture. Le lendemain matin, j’avais une ébauche assez claire de là où je voulais atterrir.
Je fais ce lien, parce que je trouve éclairant de voir que la faiblesse d’un enfant m’a fait embrasser une vulnérabilité similaire, portée par les personnes les plus touchées par la crise environnementale et sociale actuelle : les agriculteurs.
Ma fille m’a donc connecté à ces personnes-là, pour qui j’avais déjà envie de me mettre en mouvement. La nécessité d’agir est devenu fondamentale : je me suis définitivement lancé dans le projet d’Eloi.
Une rencontre qui enracine eloi
Un peu par hasard, en poussant les portes d’un coworking, j’en ai rencontré le patron : Jean-Charles Morisseau. Le feeling est bien passé. À travers nos discussions, j’ai découvert qu’il était très actif en agroécologie. Chemin faisant, il est devenu mon principal investisseur et m’a présenté mon futur associé : François Moret. Ca, c’était juste avant le confinement. Aujourd’hui, Eloi compte huit salariés dédiés à la transition écologique.
Faire “rematcher” l’offre et la demande de fermes
En France, il y a environ 400 000 fermes ; dans les dix ans à venir, la moitié vont être à transmettre, du fait de l’âge des agriculteurs actuels, de l’état de fatigue de certains et/ou de leur difficultés financières.
Donc ça donne environ 200 000 exploitations à transmettre, à hauteur d’environ 20 000 exploitations par an. Or, aujourd’hui, près d’une ferme sur deux ne trouve pas de repreneur et part à l’agrandissement. C’est-à-dire que les terres sont reprises par des exploitations voisines, les plus grandes d’entre elles, généralement, qui continuent à s’agrandir.
Pour les cédants, ce n’est pas idéal : ceux qui reprennent l’activité via cette opération d’agrandissement ne valorisent généralement ni l’exploitation ni les bâtiments agricoles… De loin, les cédants préféreraient installer des jeunes et transmettre leurs outils.
En parallèle, et c’est une bonne nouvelle, il y a une vague de retour à la terre : des porteurs de projets reviennent à l’agriculture.
De jeunes néo ruraux (qui ne sont pas issus du monde agricole) veulent s’installer, sans pouvoir hériter d’une ferme familiale. Il leur faut donc en acheter une. Or, bien souvent, ils n’ont pas les moyens (ni l’envie, cherchant avant tout à mettre en place un projet agroécologique) d’acquérir une ferme française de taille moyenne (70 hectares / 600 000 euros).
Il y a donc une inadéquation entre l’offre des fermes à transmettre et la demande des jeunes qui voudraient s’installer pour faire de l’élevage ou du maraîchage sur des fermes plus petites et qui finissent par abandonner leur projet, ne trouvant pas d’exploitations appropriées.
S’installer en grappes à taille humaine et varier les activités agricoles
Eloi fait donc le lien entre ces fermes à transmettre et ces jeunes qui veulent s’installer, en permettant une reprise par “grappes de fermes”. C’est à dire que plusieurs projets complémentaires sont installés sur une même ferme : élevage, culture et maraîchage, par exemple. Le budget de chaque projet est cumulé pour proposer une solution de reprise acceptable au cédant.
Les repreneurs deviennent alors proches voisins, sans être associés ; ils sont chacun chez eux. S’ils ne s’entendent pas, ils ne sont pas obligés de déménager. En revanche, ils peuvent facilement créer des synergies s’ils le souhaitent. Or, en agriculture, les opportunités de synergies sont nombreuses : distribution en circuit court, transformation, coup de main ponctuels, etc.
Par ailleurs, d’un point de vue écologique, la grappe est un optimal en termes d’impact carbone, d’usage d’eau et de préservation de biodiversité. On tend vers un juste équilibre entre les activités animales et les activités végétales.
Si vous faites des cultures sur d’immenses surfaces, vous devez importer des intrants de synthèse ; leur fabrication et leur transport polluent nécessairement. Une deuxième difficulté réside dans le fait que la monoculture à perte de vue pose des problèmes de biodiversité et de lutte contre les ravageurs. Alors que la variété des activités permet de réduire la pression des ravageurs et donc de réduire l’usage d’intrants de type pesticides.
Les garanties eloi, clés de succès d’une installation réussie
Certains cédants s’adressent à nous parce qu’installer des jeunes sur leur exploitation agricole apporte du sens à leur transmission. Ca leur plait beaucoup plus que de voir leur ferme démantelée et partir à l’agrandissement. On a aussi des agriculteurs qui veulent se désagrandir sur leur ferme, rompre l’isolement. Ils restent donc sur place mais souhaitent accueillir sur leur ferme un ou deux projets complémentaires. Ils vont donc vendre aux jeunes quelques bâtiments et un peu de terre pour pouvoir s’installer.
L’équipe d’eloi trouve la ferme, l’audite, en quelque sorte, pour voir quel atelier va pouvoir intéresser un jeune qui s’installe, aide le cédant à déterminer la taille et le prix du lot à vendre et trouve des repreneurs.
Par ailleurs, eloi garantit la transaction : c’est nous qui achetons pour porter temporairement la ferme, et y créer les unités foncières cohérentes. De sorte que si un jeune se désiste ou a besoin de plus de temps, le cédant ne se retrouve pas un lot sur les bras.
Un exemple d’installation réussie
Eloi existe depuis 2 ans. Il nous a fallu à peu près un an pour établir le business model et le mode opératoire pour faire aboutir nos projets dans cet écosystème contraint qu’est le monde agricole. Et nous avons commencé à travailler sur des projets de fermes en janvier 2021.
Les premières installations se sont faites en décembre 2021 : ce sont des histoires de diversification. Je pense notamment à Thierry et Imelda, agriculteurs qui ont une surface assez importante (plus de 100 hectares en production animale) et qui ont ouvert leur ferme pour accueillir un projet d’élevage ovins (brebis laitières), avec transformation en fromage. En trois mois de présence, les deux couples créent ensemble de magnifiques synergies et ne serait-ce que par la différence d’âge, d’expérience, de formation et d’activité, ils s’apportent beaucoup mutuellement.
Au bout de trois mois, ils ont trouvé un couple de maraîchers qui va venir s’installer avec eux ! La troisième composante de la grappe est en place. Les derniers arrivants vont notamment produire des herbes aromatiques pour parfumer les fromages.
Ils vont évidemment faire stand commun au marché et développer des choses ensemble d’un point de vue distribution.
Un dernier message : créer du lien pour un monde plus humain
Ce qui nous fait vraiment vibrer chez eloi, au-delà de l’impact écologique que l’on peut mesurer, c’est de voir des personnes qui se rencontrent, qui s’installent et créent des choses ensemble. On est dans une société qui, face aux défis environnemental et climatique, a besoin de créer du lien et d’inclure et prendre soin les personnes les plus vulnérables.”