“Tout ce que tu feras sera dérisoire,
mais il est essentiel que tu le fasses“.
(Gandhi).
La question du don d’organes (nous utiliserons ce terme par souci de simplicité) implique, pour correctement la poser, de commencer par avoir une approche multidisciplinaire. Mais il convient ensuite de donner le dernier mot au juriste ; ou plutôt au législateur. Lesquels ne sont pas synonymes. Parce que droit et loi sont différents l’un de l’autre. Même s’il importe qu’ils coïncident. La transplantation d’organes et de tissus est ancienne aujourd’hui en France. Techniquement, nous savons bien faire : plus de seize éléments du corps (organes, sang, tissus, etc…) sont transplantables de nos jours. Et nous saurons sans doute de mieux en mieux faire à l’avenir. Aujourd’hui les prélèvements sont possibles même après l’arrêt cardiaque. Nous disposons de meilleurs traitements anti-rejets. Pourtant, le don pose toujours le même problème qu’au début des greffes : méconnaissance de la question par le public et réticence corrélative de sa part à donner.
Cela est logique : l’on a peur de ce que l’on ne connaît pas (la mort, l’étranger, etc…). La conséquence de cette mauvaise information est qu’il existe une pénurie chronique d’organes. Ainsi, les chiffres sont-ils depuis des années relativement stables : 14 000 personnes environ sont en attente en France et 56 000 en Europe. Ce qui signifie à peu près 12 morts par jour en Europe. Morts que nous pourrions, au moins pour partie, éviter si nous disposions de plus de greffons. Ce, alors que les religions ne sont pas contre le don d’organes (sauf intégrismes divers et variés) ; qu’il n’y a plus de limite d’âge pour le don et que la maladie n’est pas forcément un obstacle à tous les dons. Le souci légitime des différents Etats est donc de chercher à augmenter les dons. Souci que manifeste particulièrement la Communauté Européenne. En France, le souci est bien sûr le même.
1) DROIT POSITIF FRANÇAIS ACTUEL : DE LEGE LATA.
Concernant le donneur vivant, l’article L 1231-1 du Code de la Santé Publique pose les règles. Ses dispositions méritent d’être approuvées. Sans aucune réserve.
Concernant le donneur mort, Les règles sont posées par les articles L 1232-1 à L 1232-6 du Code de la Santé Publique.
Nb : Tous les dons autorisés par la loi sont notamment soumis aux principes de gratuité, d’anonymat, de non-publicité. Par application des articles L 1211-1 à L 1211-8 du Code de la Santé Publique.
L’on pourrait peut être faire évoluer la législation – s’agissant des prélèvements sur cadavres – de la manière suivante.
2) DROIT PROSPECTIF : DE LEGE FERENDA.
1) Si l’on résume la situation, La France et l’Europe souhaitent ab initio pallier la pénurie d’organes. Il n’est certes pas possible de sauver tous ceux qui en auraient besoin, mais il est sans doute possible de sauver plus de monde qu’aujourd’hui. En faisant en sorte, par la loi, qu’il y ait plus de greffons disponibles. En tous les cas, que tous ceux objectivement disponibles le soient. A défaut, une situation de marché noir pourrait se développer ou, pire encore, une législation sur la vente d’organes se mettre à terme en place. Comme déjà aux Philippines ou en Iran. L’on discute, semble-t-il désormais, en Grande-Bretagne d’une éventuelle rémunération (conséquence logique de l’illogique mentalité utilitariste anglo-saxonne) des donneurs – avec approbation de cette idée par certains en France. Il est pourtant évident que les grands principes de gratuité, d’absence de publicité et d’anonymat doivent être maintenus.
2) Comment pourrait-on améliorer la situation – les objectifs à tous atteindre étant les suivants : pallier la pénurie d’organes ; respecter la douleur des familles ; libérer les médecins de tout risque de voir leur responsabilité professionnelle (voire pénale) être engagée ; scrupuleusement respecter la volonté du défunt ?
« Imposer que chacun se prononce pour ou contre le don d’organe pour lui-même […] Cela après qu’une véritable information lui aurait été dispensée lors de la Journée “Défense et citoyenneté” »
Ainsi :
- Imposer que chacun se prononce pour ou contre le don d’organe pour lui-même et même, puisse, s’il le souhaite, lister les organes et/ou les éléments de son corps qu’il accepte de donner ou pas ;
- Cela après qu’une véritable information lui aurait été dispensée lors de la Journée (mixte : ce qui permettrait de faire “entrer dans la danse”, chaque année, une nouvelle classe d’âge) “Défense et citoyenneté”. On sait que cette journée est déjà en partie utilisée à cette fin depuis l’adoption de la loi n° 2011-814 du 07/07/2011, qui a modifié à cette fin l’article L 114-3 du Code du Service National. Mais il conviendrait à l’avenir non plus d’informer les jeunes gens sur l’existence du registre du “Non” (lequel aurait été supprimé) ; mais sur l’intérêt du don d’organes lui-même et des modalités des prélèvements. Information qui interviendrait après celles qui auraient été dispensées au moins une fois au collège/Cfa et une fois au lycée.
- Un délai légal de six mois, par exemple, à compter de sa participation à la journée pré-évoquée serait ensuite donné à chacun pour qu’il fît connaître sa décision à l’autorité que la loi aurait désignée à cette fin : oui/non/oui partiel.
- Ce choix serait alors inscrit dans un fichier national et mentionné (éventuellement avec accès possible seulement aux autorités judiciaire et médicale) sur la carte vitale, celle de mutuelle, d’identité, sur le passeport et sur le permis de conduire de l’intéressé.
- Ce choix serait naturellement révocable ad nutum. Mais, à la survenance du décès, serait obligatoirement retenue et mise en œuvre la dernière décision prise par le défunt. Sans plus demander l’avis de quiconque – proches ou pas.
- Le refus de se prononcer serait sanctionné. Parmi les sanctions possibles (non exhaustives) et cumulables : instauration d’une amende contraventionnelle annuelle. Sur le modèle (aménagé) de ce que pratique la Belgique s’agissant du vote aux élections (qui y est obligatoire). Les sommes ainsi encaissées pourraient être directement affectées à un fonds destiné au développement du don d’organes ; s’inspirer de la règle posée par Israël, dont la législation prévoit, depuis janvier 2010, que le porteur d’une carte mentionnant qu’il est donneur de ses organes est prioritaire, pour en recevoir, par rapport à un patient, se trouvant dans une situation médicale de gravité identique mais qui n’est pas porteur d’une telle carte de donneur.
3) Si nous mettions en œuvre ce système, nous entrerions dans le cercle vertueux suivant : les participants à la Journée “Défense et Citoyenneté” (tout juste majeurs ; or, à 18/20 ans l’on se considère spontanément, à raison au plan statistique, bien plus comme receveur potentiel que comme donneur), rentrés chez eux, parleraient forcément à leur famille de cette décision qu’ils auraient à prochainement prendre de manière officielle. Ils le feraient à froid, sans émotion, en pleine possession de leur esprit et détenteurs d’une information récente et objective sur la question. Tout leur entourage s’informerait de fait à son tour. Si bien que la loi nouvelle devrait bien sûr prévoir la possibilité pour toutes les personnes, trop âgées pour se rendre à la Journée “Défense et Citoyenneté”, qui le souhaiteraient, de faire également connaître leur choix selon les mêmes modalités.
« Le résultat de cette évolution législative serait que les médecins ne courraient plus aucun risque de voir leur responsabilité professionnelle être engagée ; qu’à terme tous les membres de toutes les familles seraient préalablement avertis des choix faits par les uns et les autres ; qu’aucun irrespect d’aucune sorte ne serait porté à la personne […] »
4) Le résultat de cette évolution législative serait que les médecins ne courraient plus aucun risque de voir leur responsabilité professionnelle être engagée ; qu’à terme tous les membres de toutes les familles seraient préalablement avertis des choix faits par les uns et les autres ; qu’aucun irrespect d’aucune sorte ne serait porté à la personne que nous sommes tous avant de mourir, puisque la loi respecterait alors expressément la volonté dernièrement exprimée par chacun ; que cette réforme n’entraînerait aucun frais majeur ; qu’ainsi, tous les organes potentiellement disponibles le seraient ; étant rappelé que l’obligation ne porterait, à peine de sanction(s), que sur le fait de se prononcer. En aucun cas, il ne s’agirait de contraindre quiconque au don.
“Homo sum, et humani nihil a me alienum puto”
(Je suis homme, rien de ce qui est humain ne
doit, je pense, me laisser indifférent).
Térence (190 ? – 159 av. J. –C.)
In “Le bourreau de soi-même“,
Acte I, sc. I, 77.
(Trad. CH.-M Des Granes).