Entretien avec Thierry de Cassan, Directeur de Tolson Consulting, Cabinet de conseil en management. Thierry propose de renouveler sa vision du travail salarié : la source de mon revenu salarié est-elle liée à la vente de mon temps ? A la vente de mon expertise ? A la participation à une aventure collective ?
Thierry de Cassan : “Commençons par la petite histoire des trois tailleurs de pierres, au Moyen-Age. Un voyageur passe et demande au premier tailleur de pierre : “que fais-tu, brave homme, à tailler ta pierre” ?
Le tailleur lui répond : “C’est très simple : j’arrive le matin à 8h, je travaille pour maître Simon. Je fais 12h de travail par jour, jusqu’aux vêpres. Puis, je rentre chez moi jusqu’au lendemain.”
Le voyageur interroge alors le second tailleur qui lui explique qu’il est en train de faire un arrondi qui va s’encastrer dans un angle et s’appuyer sur une autre pierre. Ce second tailleur lui explique en détails sa technique de taille de pierre.
Le voyageur approche du troisième tailleur de pierres et lui pose la même question. Le tailleur se lève, tend le bras et lui répond, étonné. “Tu ne vois donc pas ce que je fais ? Je suis en train de construire une cathédrale !”.
Ces trois tailleurs de pierres correspondent aux trois approches que l’on peut avoir vis-à-vis de son travail, au sein d’une entreprise ; le premier tailleur vend son temps, le second vend sa technique, le troisième contribue à une aventure collective.
Les 3 approches du travail en entreprise
Vendre son temps est une idée qui s’est beaucoup développée au XIXème siècle, avec l’industrialisation. A cette époque, il s’agissait de faire faire des tâches assez simples aux salariés. L’entreprise n’achetait pas l’intelligence mais le temps de travail de ces hommes.
Aujourd’hui, j’ai du mal à comprendre cette logique de temps vendu. Pourquoi les gens se battent-ils pour réduire leur temps de travail ? La réduction ne me semble pas être le cœur du problème. Le problème est le fait de continuer à dire aux hommes qu’ils vendent leurs temps. En vendant son temps, l’homme dédouble sa vie privée et sa vie professionnelle. Le temps vendu à l’entreprise ne lui appartient plus. Ainsi, il s’aliène, il perd sa personnalité, son intelligence. Nous sommes dans une impasse. Les RTT ou les 35h ne sont pas un problème. Le problème est de dire que le travail n’est que du temps vendu.
La seconde approche, celle de vendre son savoir-faire, son expertise, est une idée que l’on retrouve à l’intérieur mais également à l’extérieur de l’entreprise. On parle de d’ubérisation : une personne vend le service de déplacer quelqu’un d’un endroit à un autre via Uber. Dans ce concept, il s’agit de vendre une tâche sans participer à une aventure collective. Personnellement, je ne connais pas de chauffeur heureux de construire un grand empire Uber !
La troisième approche est de travailler pour une aventure collective. Chaque chef d’entreprise essaie de susciter cette approche afin de donner du sens au travail des uns et des autres. Cela aide à travailler dans le même sens, à mieux se comprendre, à mieux comprendre les priorités. Ce discours élève les esprits et suscite plus d’innovations. Il est vrai que parfois ce discours sonne faux. En effet, si les actionnaires décident de vendre le fruit de cette aventure collective en cours de route, ils le feront. Les salariés pourront se sentir trompés dans leur confiance…
Une vision commune pour une oeuvre collective
Néanmoins, aujourd’hui, le mélange des deux dernières idées, c’est à dire vendre une technicité, un savoir-faire et parallèlement participer à une oeuvre collective, est probablement la solution la plus porteuse d’avenir dans le monde de l’entreprise. A l’instar des entrepreneurs, chaque salarié devrait savoir ce qu’il apporte à son entreprise et ce qu’il lui coûte au quotidien. C’est d’ailleurs un bon exercice que de se poser régulièrement la question : “qu’est ce que j’ai coûté à mon entreprise et qu’est ce que je lui ai apporté aujourd’hui ?”
Chaque chef d’entreprise devrait pouvoir apporter la vision, l’ambition, le sentiment de participer à quelque chose qui se construit et ce, avec lucidité.
Dans cet équilibre, se trouve probablement l’avenir du travail en entreprise.
Ce qui est vrai pour l’entreprise est vrai pour l’ensemble de l’humanité. Il faut que tous, collectivement, nous sachions ce que nous voulons faire. A chaque personne, individuellement, de s’interroger sur son coût, en terme de consommation, par exemple, et la manière par laquelle il peut y contribuer à son environnement. Comment puis-je faire pour que l’humanité progresse, pour qu’elle aille plus dans le sens de la vision que je m’en fais ?“.