Faites bonne impression #VictorHugo #LectureBusiness

1 Août, 2024 | ART & CULTURE, TRAVAIL

Alexis Milcent, fondateur de La Fontaine & Cie, nous invite cette semaine à contempler, aux côtés de Victor Hugo, le Paris du XVe siècle. À travers un chapitre de l’œuvre colossale Notre-Dame de Paris (1831), intitulé “Paris à vol d’oiseau“, Alexis dépeint un cortège d’impressions, dignes de Claude Monet.

Paris à vol d'oiseau
Paris à vol d’oiseau – Source : France Culture

Victor Hugo, précurseur de l’impressionnisme ?

On nous promet la réouverture de Notre-Dame de Paris pour le mois de décembre 2024. Soyons précurseurs et réouvrons donc Notre-Dame de Paris, le roman de Victor Hugo publié en 1831. Il nous faudra bien l’été pour parcourir les 606 pages de l’édition de poche…
 
Hugo exècre les nouveautés architecturales qui parsèment déjà la capitale – il écrit du Panthéon où il repose désormais : La Sainte Geneviève de M. Soufflot est le plus beau gâteau de Savoie qu’on ait jamais fait en pierre. Il propose à son lecteur de monter en haut des tours de Notre-Dame pour parcourir le panorama de la ville au XVe siècle.
 
Pendant une trentaine de pages, il dépeint Paris, ses contours, ses lumières, ses attitudes. Il nous offre une vue à 360° sur le temps passé. Ce sont des Nymphéas urbaines, comme au Musée de l’Orangerie. Et il conclut par ceci : Et si vous voulez recevoir de la vieille ville une impression que la moderne ne saurait plus nous donner, montez (…), montez sur quelque point élevé d’où vous dominiez la capitale entière
 
Publication de Notre Dame de Paris : 1831
Nymphéas de Monet : 1918
Apogée de l’impressionnisme : 1874 – 1886 grosso modo.
 
En somme, Hugo invente ici l’impressionnisme. 
 
D’où la question, dans les lignes qui suivent, comment impressionner ?
Quels sont les vecteurs pour impressionner son monde ?
Et, d’après Hugo, quels sont les enjeux dans le fait d’impressionner ?

Voyez à un signal parti du ciel, car c’est le soleil qui le donne…

Nous y reviendrons, mais, pour impressionner, notons d’abord qu’il faut que l’auditoire soit de bonne composition : il lui faut monter en haut d’une tour et être disponible à la chose (“assistez à l’éveil des carillons” – c’est précis).
 
Plus encore, notons que l’impression naît d’un moment singulier.
Il y a un usage, une routine qui se trouve rompue par l’événement, rendu dramatique ici par l’intervention du cosmos (“ciel”, “soleil”).
L’impression est de l’ordre du phénomène, de l’éclipse ou du tremblement de terre. Elle met en alerte l’esprit de l’auditoire.

=> nous arrive-t-il de casser les routines pourtant si en vogue pour la productivité de nos entreprises ? Pour faire son effet, sommes-nous prêts à prendre des risques ?

Voyez, car il semble qu’en certains instants l’oreille a aussi sa vue

Il y a là une sorte d’évidence dans l’absolu, mais un défi dans l’entreprise : faire impression passe par les sens

Pour impressionner, il faut passer, aussi, par le réel et le physique, perçus par nos sensations. Le son des cloches chez Hugo est fondamentalement kinesthésique et se rapporte aux corps : il flotte, ondule, bondit, tourbillonne. Même le goût est convoqué avec la clochette de l’Ave Maria qui pétille comme une aigrette d’étoiles (on parle aussi d’éclairs, mais j’y vais un peu fort de café…)

=> décidément, impressionner, c'est prendre des risques. Pour marquer, anticipons-nous l'usage des sens en modulant sa voix, ses gestes, ses images ?

Voyez s’élever au même moment de chaque clocher comme une colonne de bruit, comme une fumée d’harmonie.

Hugo précise le processus : l’impression passe par un choc (dans sa polysémie : écart par rapport à la routine et effet sensoriel) qui se transforme ensuite en une sorte d’évidence..
 
La chose est subtile : le choc est massif (colonne de bruit) et évolue vers une clarté évanescente (fumée d’harmonie)
 
Pour créer l’impression, il y a d’abord incompréhension puis ralliement – pour ne pas évoquer une explication car l’usage de la raison n’est pas convoqué. Il y a progressivement une évidence qui apparaît.
 
NB : c’est amusant de la part de Victor Hugo de parler d’impression dans un livre… Mais l’impression du livre fonctionne de la même manière : choc de la lettrine sur le papier, incompréhension de la lettre isolée, cohérence d’ensemble qui apparaît progressivement.

=> L'impression se révèle être un artisanat : construisons-nous nos prises de parole en deux temps, avec le choc initial créant la volonté de l'auditoire d'en savoir plus, puis une épiphanie révélant la cohérence du tout ? 
Cela vaut-il aussi pour un projet à plus long terme, avec un premier temps désordonné, puis une deuxième étape d'apaisement ?

Ce n’est plus qu’une masse de vibrations sonores qui se dégage sans cesse des innombrables clochers.

L’impression se fonde sur l’émergence d’un tout cohérent. 
 
Elle procède par l’unification de la diversité (une masse de vibrations sonores), tout en respectant cette diversité, en conservant la multitude des monades qui la composent (innombrables clochers).
 
Ce qui fait de l’impression un formidable outil pour nos temps complexes : l’impression jaillit – et l’adhésion avec – lorsqu’une unité se dégage du bouillonnement.
 
Cependant, cette mer d’harmonie, ce n’est pas un chaos écrit Hugo.

=> l'impression est au service de quelque chose, d'un nouvel ordre. Quand avons-nous recours à la volonté d'impressionner ? Est-ce au service d'un bien commun, ou bien d'un enjeu de carrière personnel ?

Si grosse et profonde qu’elle soit, elle n’a point perdu sa transparence.

La difficulté n’est aucunement niée : vous y voyez serpenter à part chaque groupe de notes. Ce recours aux champs lexicaux du reptile et de la division montre bien que tout n’est pas rose : c’est même une sorte d’Enfer qui est transformé en Eden dans ce processus.
 
Car cette nouvelle réalité apparue, issue de la réalité complexe, est énorme et devenue confortable. Cette mer d’harmonie est toujours tempêtueuse mais navigable et intelligible : vous y pouvez suivre le dialogue (…) de la crécelle et du bourdon.

=> l'impression permet comme l'accès à une nouvelle réalité où la coopération des singularités est possible. Là encore, mettons-nous l'art d'impressionner au service de nos petits objectifs personnels ou bien de l'émergence d'un nouvel état de collaboration ?

Certes, c’est là un opéra qui mérite d’être écouté. (…) Ici, c’est la ville qui chante.

Pour impressionner, il faut un groupe. Ici, rien n’évoque une impression dans un duo (Hugo aurait pu choisir de personnifier la ville et d’en faire un dialogue entre une ville, impressionnante, et un lecteur, impressionné). Au contraire, on a une multitude constamment mentionnée.
 
On a vu les bénéfices du processus d’impression (nouvelle situation intelligible sans rien nier les singularités de la réalité) : il faut donc être prêt à s’y livrer. Il faut donc individuellement être à l’écoute, ouvert à cette métamorphose, et ne pas se rengorger dans un esprit fermé, protecteur de ses prérogatives. L’impression est un progrès.
 
Nous sommes aussi collectivement ces clochers qui contribuent à cette mer d’harmonie. Nous devons collectivement participer à ce chant de la ville (et cela fait un deuxième écho à l’Aragon de la semaine passée) si l’on veut impressionner. Il en va donc de notre responsabilité de contribuer au phénomène collectif.

=> cherche-t-on à faire impression en équipe ? comment en faire un outil collectif au service de la performance ?

Poursuivez votre lecture des travaux d’Alexis Milcent : Comment l’Ingénu développe son génie #Voltaire

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