Martin Choutet et Martine Zacharie habitent dans deux colocations solidaires de l’Association pour l’Amitié (APA), à Paris. Ils témoignent de ce qu’est, pour eux, un territoire vivant et de la façon dont chacun de nous peut agir pour vitaliser son territoire.
Comment être vivant si ce n’est en étant en relation les uns avec les autres, en s’éveillant les uns les autres, en étant attentifs les uns aux autres ?
Martin Choutet
L’APA anime des appartements partagés, où habitent ensemble des personnes qui étaient sans domicile fixe, et d’autres personnes qui ne l’étaient pas (essentiellement des jeunes professionnels). Il s’agit d’une forme de « colocation solidaire », où vivent ensemble des personnes aux âges, aux origines aux cultures, aux parcours, et aussi aux caractères, bien différents. L’objectif est de susciter dans ces appartements un climat de bienveillance, afin que chacun puisse s’y épanouir, gagner en autonomie et élaborer des projets personnels. Les lieux de vie de l’APA n’ont pas vocation à être des lieux fermés, avec les gens du dedans et les gens du dehors, mais plutôt des lieux, qui, régulièrement, s’ouvrent pour accueillir d’anciens résidents, des amis, des voisins… avec une attention particulière pour les personnes en situation d’exclusion et d’isolement. Cette ouverture sur le quartier est une dynamique essentielle, dont la mise en place se fait par petits pas.
Qu’est-ce qu’un TERRITOIRE pour vous ?
Martin Choutet : ” Un territoire, c’est un lieu à échelle humaine, c’est à dire où l’on peut créer des relations, connaître son environnement, se connaître les uns les autres et du coup, aussi, s’entraider. En un mot : être reliés.
Martine Zacharie : “C’est un petit chez soi où tu peux accueillir plein de monde différent.
Qu’est-ce qu’un territoire VIVANT ?
M.Z : “Quand il y a des échanges avec les autres.”
M.C : “C’est le fait qu’il y ait de la relation ; j’aime la notion d’amitié, d’entraide, qui peut irriguer un territoire. Un territoire n’est vivant que s’il laisse une place à chacun, si personne n’en est exclu, si personne n’est dans une situation de mort, non pas physique mais simplement de mort par l’isolement, par l’indifférence des autres, par la très grande pauvreté.
Finalement, un territoire est vivant quand chacun de ceux qui y est, est vivant ; or, comment être vivant si ce n’est en étant en relation les uns avec les autres, en s’éveillant les uns les autres, en étant attentifs les uns aux autres ?
Que faut-il changer pour mieux vivre dans nos territoires ?
M.C. : “C’est extrêmement important que l’on apprenne collectivement, avec les talents de chacun, à ouvrir des lieux – des tiers-lieux – pour avoir ces espaces qui sont ni complètement privés, ni complètement publics. Je crois que c’est de cela dont on a besoin dans nos territoires : de lieux qui s’ouvrent pour que les gens puissent se rencontrer, vivre des choses et élaborer des projets ensemble, être solidaire les uns les autres.
M. Z. : “Peut-être que ce qu’il faut changer, c’est le regard qu’on a sur les autres. Accepter que celui qui est tout seul dans la rue, il est comme nous. Peut-être qu’il faudrait qu’on lâche un peu plus notre petit confort personnel pour, justement, aborder ces gens-là, tout comme les personnes qui sont en situation de handicap, parce que – pour le coup – ils font peur et on ne sait pas pourquoi.”
M. C. : “Faire évoluer la société, je crois que ça passe d’abord par une première responsabilité : se transformer soi-même. Quoi qu’il en soit, je partage la joie de cette expérience de la vie partagée en colocation solidaire avec des personnes qui ont été parfois sans domicile fixe. À travers nos différences – d’âge, de culture, de parcours, de caractère – on est progressivement amené à s’ouvrir, à accepter les autres tels qu’ils sont, peut-être aussi à s’accepter tel que nous sommes nous-mêmes. Ce chemin-là fait entrer progressivement dans une forme de respect de l’autre tel qu’il est.
De cela aussi, on a besoin : accepter la différence – la grandeur, l’ampleur de notre différence – accepter que dans nos différences, il y a des richesses formidables et aussi des choses plus brutes – parfois, on ne s’entend pas, on ne se comprend pas… À partir de là, comment se met-on en chemin pour apprendre à mieux se comprendre, se respecter, s’apprivoiser par étapes ?
Je pense que ce que l’on peut vivre à l’échelle d’un appartement partagé, d’une colocation solidaire, on est aussi amené à le vivre un peu plus largement au sein d’un territoire. Apprendre à vivre avec l’autre.”
Un mot pour conclure ?
M. Z. : “N’ayez pas peur de la différence, d’aller vers les autres ! Ca commence par là pour vitaliser son territoire.”
M. C. : ” J’ai beaucoup aimé une intervention de Philippe Royer, Président des EDC, qui nous disait : “Parfois, ça ne fait pas de mal de se dire : qu’est-ce que j’aimerais avoir fait, le jour de ma mort, pour rendre la vie bonne ou la vie belle ? C’est effectivement important de s’interroger, de temps en temps, sur ce qui nous tient le plus à cœur. Le jour de ma mort , qu’est-ce que j’aurais envie d’avoir réalisé, vécu ? Et comment j’ose me lancer pour vivre ce qui me tient vraiment à cœur ? En acceptant peut-être que les choses réalisées sont très modestes, qu’elles vont se faire par tous petits pas…
Voilà : ne pas laisser la vie filer sans qu’on n’ait pu réaliser, même modestement, ce qui nous tient le plus à cœur.”
Cette interview a été réalisée dans le cadre du forum Territoires Vivants 2020.