En 1988, François de Soos choisit l’agriculture biologique pour son domaine de Mazy au nord de Carcassonne. Ses quatre hectares d’amandiers bio en font un pionnier. Mais un champignon ravage le verger. Contrairement à la plupart de ses confrères encouragés par des primes à l’arrachage, François de Soos ne déracine pas ses arbres. Il décide de ne plus passer par les pépinières, qui vendent les plants déjà âgés de deux ans, et sème lui-même ses amandes. Il parie aussi sur l’agro- foresterie en mêlant les arbres aux surfaces cultivées. Une recette qui marche puisque depuis une dizaine d’années, agriculteurs et chercheurs-agronomes français et étrangers se pressent pour visiter sa ferme. A tel point qu’il a créé une journée porte-ouverte, le 4 avril.
Alors que la tendance est davantage aux champs ouverts sans haies ou couvert forestier, pourquoi avez-vous choisi l’agro-foresterie ?
La monoculture a un effet dépressif. Le système le plus fécond et le plus abouti naturellement mais aussi le plus rentable économiquement, est celui qui fait cohabiter plusieurs espèces dans une même parcelle. Je m’en suis rendu compte en lisant des écrits de géographes et en regardant ce qui se faisait en Nouvelle-Zélande ou en Australie. L’idée est de mêler les arbres aux cultures de céréales, mais aussi de planter plusieurs variétés d’arbres sur une même parcelle. En mélangeant dans les rangées d’arbres, amandiers, pêchers, pistachiers, figuiers, féviers d’Amérique et vignes, j’ai mis en place un éco-système méditerranéen qui réunit cent arbres à l’hectare. Les effets positifs sont nombreux: pollen pour les abeilles, fourrage pour les troupeaux… Et puis certains arbres renforcent l’agriculture en fixant l’azote naturel dans le sol, ce qui l’enrichit. Ils permettent aussi de lutter contre l’érosion: les bourrelets de terre qui se forment autour des racines retiennent l’eau. Les arbres ont également un effet tampon sur le climat : ils protègent du vent, du soleil ou des pluies fortes. Et créent un micro-climat à la parcelle. Enfin leur présence ramène du gibier et des oiseaux. Par exemple, les chauves-souris avaient disparu de nos zones agricoles en champs ouverts car elles n’avaient plus d’éléments pour se repérer: avec le retour des arbres dans mes champs elles sont revenues. Et ce système est rentable! Dans les vergers agro-forestiers, les maladies sont plus rares ou mettent plus de temps à s’installer. Mes deux vergers d’amandiers, l’un en monoculture (300 amandiers par hectare) l’autre en agro-foresterie (80 amandiers par hectare) ont le même rendement en amandes alors que dans le verger cultivé en agro-foresterie, je peux aussi planter des céréales ou de la vigne.
Vous avez aussi décidé de cultiver des arbres et des céréales selon vos méthodes, en renonçant aux pesticides et en utilisant vos propres semis. Pourquoi?
Pendant mes dix premières années comme agriculteur, j’utilisais des pesticides. Cela me questionnait. Je me sentais pris dans un carcan, contraint d’appliquer des recettes déjà faîtes sans marge de liberté. Créer mes propres méthodes de semis sans passer par les pépinières est un besoin pour moi, cela m’épanouit. J’ai commencé avec les amandiers : avant d’être vendus et replantés, les plants des pépinières, âgés en moyenne de deux ans, sont arrachés deux ou trois fois. Cela les fragilise. J’ai donc mis en place une technique de semis d’amande. C’est plus long puisque la première floraison a lieu sept ans après la mise en terre, contre cinq ans avec les arbres des pépinières. Mais les arbres sont plus résistants. Autre exemple avec les figuiers: au lieu de m’adresser à une pépinière, j’ai testé vingt-cinq variétés différentes pour connaître celle qui serait la plus adaptée à la région. Finalement j’ai choisi un figuier de Turquie. Depuis vingt-cinq ans, je cultive aussi du blé et des épeautres de variétés anciennes récupérées auprès de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) ou de collectionneurs, car elles ne sont plus cultivées. Avec les problèmes actuels d’intolérance au gluten, ces variétés anciennes pourraient être une solution. Elles donnent aussi des qualités sensorielles extraordinaires au pain. Et puis il est important qu’elles prospèrent dans les champs de paysans passionnés plutôt qu’elles dorment dans les congélateurs de
l’INRA ou des sélectionneurs. Ces méthodes d’expérimentation demandent plus de temps et un important travail d’observation. Mais on est récompensé par le goût et la qualité des produits, et par la beauté des paysages que l’on modifie. Beaucoup d’agriculteurs s’y convertissent, notamment en Aquitaine ou en Midi-Pyrénées car ils se rendent compte que favoriser l’équilibre naturel est rentable économiquement. Finalement, il en va de la responsabilité, extraordinaire, du paysan: il est co-créateur, mais en même temps il ne maîtrise pas grand chose. La terre lui a été confiée pour un temps, il doit la porter à son plus haut point de fécondité et de beauté pour le service et la nourriture des hommes et pour la transmettre à la génération suivante sans l’avoir abîmée.