Gestion de conflits : 5 questions à Christel Koehler, médiatrice

4 Mar, 2021 | FAMILLE, SOLIDARITÉS & SOCIÉTÉ, TÉMOIGNAGES

La médiation prend de l’ampleur comme méthode alternative de résolution des conflits. On la retrouve dans tout le champ social : médiation de la consommation, familiale, pénale, dans les conflits au travail etc. Pourtant, elle reste encore mal connue et pourrait bien davantage servir pour renouer la relation et apporter la paix entre nos concitoyens. Christel Koehler partage son expérience de la médiation humaniste. 

Christel, qu’est-ce qui t’a donné envie de faire de la médiation ?

C. K. : “C’est parti d’une situation professionnelle. J’ai eu l’occasion de découvrir ce qu’était la médiation et j’y ai vu une méthode très puissante pour résoudre les conflits… Quand elle peut avoir lieu car il faut que les deux parties soient d’accord.

Je me suis donc formée à la Médiation humaniste auprès du CMFM (Centre de médiation et de formation à la médiation). Une excellente méthode, qui prend en compte les émotions de la personne. Elle aide à renouer la relation en faisant prendre conscience à chacun quelles sont les valeurs qu’il porte et comment « sortir par le haut » de ce conflit, en allant vers plus grand que soi. Cette dimension spirituelle assumée de la médiation m’a beaucoup parlé. Et ça marche ! Je l’ai expérimenté dans des médiations où ça partait mal car les médiants avaient porté mutuellement plainte l’un contre l’autre.”

Qu’est-ce qu’on appelle précisément médiation et comment ça fonctionne précisément?

C. K. : “Tout d’abord, disons ce que la médiation n’est pas : ce n’est pas un arbitrage, une négociation, une conciliation, un jugement. Il ne faut pas en avoir une vision trop juridique. 

La médiation est une démarche où des parties ayant un conflit dans leur relation décident de s’appuyer sur un tiers neutre et impartial pour faciliter le dialogue entre elles et arriver peut-être à un autre regard sur leur situation. Il faut donc que

  1. il y ait au moins 2 personnes l’une en face de l’autre. Ce n’est pas un recours contre un système ;
  2. elles soient volontaires pour faire la démarche ;
  3. la confidentialité des échanges, et l’absence de toute pression externe soient garanties.

Le médiateur, en un sens, ne fait rien. Ce sont les médiants qui échangent librement. Ce sont eux qui vont vers un accord s’il doit y en avoir un. Le médiateur se contente de permettre à la parole de circuler. Il ne doit bien sûr pas prendre parti et n’avoir aucun objectif sur le résultat. Si les parties repartent toujours fâchées, cela leur appartient.

Concrètement, les parties sont d’abord reçues individuellement et exposent leur point de vue. Si chacune est d’accord, on les met ensuite ensemble dans la médiation proprement dite. Le lieu doit être neutre et permettre la confidentialité (ni un local où une des parties serait en position de force, ni un café bruyant). Une médiation, c’est assez long. Cela peut durer 3-4 heures et, parfois, il faut 2 ou 3 séances pour purger la souffrance de chacun. Les médiants doivent donc prévoir de se rendre disponibles. 

Si le cadre le permet, les parties peuvent rédiger un document (un accord ou un document attestant qu’il n’y a pas eu d’accord) à la fin. Mais ce n’est pas indispensable.”

En quoi notre société en a-t-elle vraiment besoin aujourd’hui ?

C. K. : “On parle beaucoup de la judiciarisation de notre société et de la montée de l’individualisme. Les gens ne se parlent plus. Ni dans le couple, ni entre voisins, ni entre collègues, ni dans les quartiers etc. LamMédiation permet tout simplement aux parties de se reparler, en donnant un cadre qui permet de le faire. Et quand on se parle vraiment en mettant à jour ses émotions et ses valeurs, comme la médiation humaniste arrive à le faire, on voit l’autre pour ce qu’il est : un être humain qui souffre lui aussi. Et, souvent, le conflit finit, alors par tomber de lui-même.”

Quelles sont les principales qualités à avoir pour en faire ?

C. K. : “Comme je disais au début, les gens ont souvent de la médiation une image juridique. Or, Jacqueline Morineau, la fondatrice de la Médiation humaniste était archéologue. Rien à voir avec du juridique. Moi-même j’ai fait une école de commerce et des études de théologie. Rien à voir non plus. Car, en Médiation humaniste, un médiateur, je l’ai dit tout à l’heure, ne fait pour ainsi dire, rien. Il renvoie aux médiants leurs émotions, par des « miroirs » : « je vous sens »… En colère, triste, angoissé, choqué etc. Et nos formateurs nous disent souvent que, un miroir, pour qu’il reflète bien, doit être limpide. 

Par conséquent, le médiateur doit bien sûr savoir écouter et avoir l’intelligence émotionnelle pour détecter les émotions des parties. Mais il doit surtout être totalement au service de l’autre, n’avoir aucun projet sur l’autre : ni l’instrumentaliser en voulant l’amener quelque part, ni lui imposer une solution, ni donner raison à l’un plutôt qu’à l’autre, ni juger celui qui, parfois, nous choque profondément. C’est un apprentissage humain, et non une technique, qui prend du temps.

La bonne nouvelle, c’est qu’en procédant ainsi, on ne se trompe jamais. Si le miroir n’est pas juste, il ouvre tout de même au ressenti. Par exemple, si je dis à une des parties, « je vous sens en colère » et qu’elle répond, « pas du tout, en fait je suis triste », cela lui fait mettre des mots sur sa tristesse, et surtout, l’autre médiant entend cette tristesse. Si, plus tard dans l’échange, lorsqu’on aborde les valeurs, je dis « la justice, c’est important pour vous » et qu’il répond « ce sont surtout les liens dans la famille qui le sont », l’autre va l’entendre et penser aussi à ce que la famille signifie pour lui. Et, peut-être s’accorderont-ils sur la valeur famille… Ou une autre.”

Être un miroir limpide. Tout un programme ! Quelques rapides “trucs et astuces” à appliquer dans la vie de tous les jours pour sortir des situations de conflit ?

C. K. : “J’ai rencontré plusieurs sympathisants de CEH qui pratiquaient la communication non-violente. C’est un début, car cela permet d’exprimer ses émotions et son besoin. Mais, pour sortir du conflit, il faut aussi se centrer sur ceux de l’autre, que l’autre exprime sa souffrance et il faut lui en donner la possibilité. Dire à l’autre un simple miroir comme « je te sens en colère » décale déjà un peu le conflit. Ce n’est pas agressif, c’est mon ressenti. L’autre le prend ou pas. Mais, dans tous les cas, on n’est plus sur les faits mais sur les personnes et leurs souffrances. Cet outil très simple, même minimaliste, permet de re-rencontrer son interlocuteur.

De même, il ne faut pas avoir de fausse pudeur et, une fois la souffrance exprimée (ça ne marche pas si on le fait trop tôt), ne pas hésiter à aller sur le terrain des valeurs, voire du spirituel, au sens large de ce qui est plus grand que nous. Par exemple : « c’est important, pour toi, la justice ? » ; « c’est important qu’on soit solidaires devant le client pour l’image de notre entreprise ? » ; « je ressens un besoin de respect ». Alors, on peut peut-être se retrouver à un autre niveau, plus haut dans notre humanité.”

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