Hassan Fathy : un architecte révolutionnaire – Pierre-Louis Gerlier

21 Mar 2025 HABITAT & ARCHITECTURE

Pierre-Louis Gerlier, architecte, urbaniste et designer, a été très influencé par le travail de l’architecte égyptien Hassan Fathy (1900-1989) qui a reçu le premier prix Nobel alternatif en 1980. Vous allez vite comprendre pourquoi !

“La véritable tradition n’est pas de refaire ce que les autres ont fait mais de trouver l’esprit qui a fait ces grandes choses et qui en ferait de toutes autres en d’autres temps.”

Paul Valéry

À propos de Pierre-Louis Gerlier

Diplômé d’une école d’architecture (2007, École Spéciale d’Architecture, Paris), d’un master d’urbanisme (2009, Columbia University, New-York) et d’un CAP de menuiserie (2019, Lycée professionnel Léonard de Vinci, Paris), Pierre-Louis Gerlier s’intéresse tant à l’architecture dans son contexte urbain qu’aux détails – ce qui, selon lui, fait la beauté de l’architecture. En savoir plus.

Hassan Fathy, un architecte qui a créé sa propre voie

Hassan Fathy est né à Alexandrie, le 23 mars 1900, dans une famille aisée. Il aime la peinture, le dessin et devient vite un jeune homme cultivé qui maîtrise l’arabe, l’anglais et le français.

Il est diplômé de l’École Polytechnique de l’Université du Caire en 1926.
Bien qu’informé des théories du Mouvement moderne qui promeut alors une standardisation des techniques architecturales et des matériaux à la mode tels que le béton, l’acier ou le verre, Hassan Fathy cherche à s’ancrer dans les traditions du peuple autochtone pour mieux les dépasser ; il utilise des anciennes techniques de constructions locales et ancestrales qu’il adapte aux contraintes modernes et aux besoins de la vie contemporaine.

Il obtient un premier emploi dans l’administration des municipalités (1926-1930), où il découvre la pauvreté rurale et propose des constructions économes, bâties avec un matériau peu cher et abondant qui propose une excellente inertie thermique : la brique de terre crue. Sa première commande, une école primaire à Talkha (1928), utilise ce matériau, sur lequel il rassemble de nombreuses données et expérimente de nouveaux procédés constructifs.

Ses projets finement dessinés et ses réalisations témoignent d’une incroyable diversité des formes, qui résultent à la fois de ses emprunts à des constructions traditionnelles, depuis les simples habitats ruraux jusqu’aux demeures princières médiévales, et à ses propres recherches, en particulier sur les voûtes et les dômes. Pendant cette période, il assure un enseignement à l’École des Beaux-Arts du Caire (1930-1946) et poursuit ses études sur l’habitation paysanne. 

Hassan Fathy : construire pour et avec le peuple

Hassan Fathy un architecte qui a la particularité d’être en avance sur son temps, mû par le désir de construire avec les matériaux disponibles sur le site de construction – en l’occurrence la terre, donc, bien plus écologique et adaptée aux conditions climatiques de son territoire que le béton – ainsi qu’avec les artisans locaux et l’implication des futurs habitants. Il estime que ce sont ces derniers, mieux que quiconque, qui connaissent leurs besoins et sont donc en position de créer des lieux fonctionnels qui permettront de renforcer le lien social, le sentiment d’appartenance au territoire et la transmission des savoir-faire ancestraux.

Nouveau Gourna : un projet révolutionnaire

Gourna se situe près de Louxor, sur la rive ouest du Nil. En 1945, Hassan Fathy est chargé de construire le nouveau village où seront installés les habitants d’alors, qui faisaient du pillage de tombes leur activité principale. Ce projet occupera Fathy jusqu’en 1952. Il commencera par une étude de la société paysanne, de ses traditions, de ses activités, de ses conditions de vie pour construire un village d’une grande beauté.

Ce projet sera finalement un échec ; Hassan Fathy ne construira qu’une centaine de maisons, en plus de la mosquée et de la mairie. Et ce pour de multiples raisons : des problèmes de financement et de mise en oeuvre, la résistance au changement des habitants et des évolutions de politique et de vision du gouvernement.

Malgré cela, Hassan Fathy aura produit des réponses inspirantes qui constituent une ressource importante aujourd’hui.

Le village de Gourna

Parution de “A tale of two villages” et obtention d’une notoriété mondiale

Construire avec le peuple : tel est le titre francais de son livre sur son expérience à Gourna. Publié en 1970 (et trois ans plus tard en français), cet ouvrage lui assure une renommée internationale. Cet épais volume de plus de 300 pages et quelque 132 illustrations – dont de nombreuses photographies du village et de ses maisons, des matériaux et des artisans – est dédié aux paysans, dont il dit : “Un paysan ne parle jamais d’art, il produit l’art.”

Il y parle notamment des raisons de son échec à Gourna, ce qui permet aux architectes d’aujourd’hui de s’inspirer de son oeuvre sans tomber dans les mêmes impasses.

La mosquée de Gourna

Analyse de l’oeuvre d’Hassan Fathy par Pierre-Louis Gerlier

Hassan Fathy ne conçoit pas l’architecture simplement comme un assemblage de matériaux, mais comme un moyen de transformer la société ; Elle doit être un vecteur de développement social, culturel et économique.

Il défend une architecture adaptée aux conditions locales, où les bâtiments sont conçus pour durer et s’effacer, si nécessaire, sans dégrader l’environnement. Une architecture où la beauté est accessible à tous, élaborée avec des matériaux bon marché et locaux.

Bien que le projet de Fathy à Gouna ait échoué (manque de soutien politique, réticence des habitants à déménager, manque de moyens…), il a marqué les esprits : aujourd’hui, ses idées trouvent un écho dans les pratiques de nombreux architectes qui privilégient une architecture contextuelle, respectueuse de l’environnement et des traditions locales.

Hassan Fathy a reçu plusieurs distinctions pour son œuvre, dont le prix Aga Khan en 1980. La même année, il a également reçu le prix Nobel alternatif pour son travail, qui combine architecture et développement humain. Ses réalisations sont aujourd’hui restaurées et considérées comme des modèles d’architecture durable.

Quelques citations d’Hassan Fathy qui me semblent être particulièrement parlantes :

  • “Un homme ne peut pas construire une maison, mais cent hommes peuvent construire cent maison très facilement. Même un millier de maisons.”
    Cela résume bien l’idée d’Hassan Fathy : l’architecture ne se fait pas avec un architecte d’un côté et des ouvriers de l’autre ; c’est un travail d’équipe. Et c’est aussi l’opportunité pour les habitants d’apprendre des savoir-faire.
  • “Nous devons soumettre la technologie, la science moderne au service des pauvres et des sans-argent et ajouter le facteur esthétique.”
    À garder en tête : le beau ne coûte pas plus cher que le moche !
  • “Si quelqu’un doute de la possibilité de laisser le peuple construire ses maisons, qu’il aille voir en Nubie. Il y verra la preuve matérielle que les paysans sans instruction peuvent faire beaucoup mieux qu’aucune politique du logement.”
La mosquée de Gourna

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