Helpicto, s’aider d’images pour se comprendre

20 Jan, 2022 | ÉDUCATION & ENSEIGNEMENT, SCIENCES & TECHNOLOGIES

Anthony Allebée est aujourd’hui dirigeant de Corpus Solutions, une société toulousaine spécialisée dans la conception d’applications qui améliorent la qualité de vie des personnes en situation de handicap. L’une de ces applications, Helpicto, permet de passer de la communication verbale à la communication visuelle. D’où est venue cette idée ? À qui s’adresse cet outil de traduction et comment fonctionne-t-il précisément ? Anthony Allebée raconte.

Une fragilité, et un univers s’ouvre

Anthony Allebée, Corpus Solutions : “Je suis arrivé dans le monde du handicap assez simplement, par ma fille, dysphasique. La dysphasie, c’est un trouble du langage. Elle fait partie de la grande famille “des troubles dys” – dyslexie, dyspraxie ou tout ce qui relève des troubles de la coordination. J’ai découvert cette situation assez brusquement, en discutant avec l’institutrice de maternelle de ma fille. Elle m’a dit : “vous savez , votre fille passe toute la récréation à côté des adultes. Les autres enfants, ses pairs, ne la comprennent pas”.
Ma fille était entrée sans langage à l’école… Mais ça n’est qu’à ce moment-là que nous avons pris conscience des difficultés de notre fille pour s’exprimer.

On a très rapidement rencontré des professionnels du langage – orthophonistes et neuropédiatres – et le diagnostic de la dysphasie est tombé. Cela sous-entend de mettre en place tout un tas d’accompagnements. On a découvert l’existence de métiers – psychomotriciens, psychologues, orthophonistes – en restant dans une vie très ordinaire, métro, boulot, dodo.

Nous sommes des parents chanceux : notre fille a, certes, des difficultés pour construire certains mots ou phrases, mais aujourd’hui, elle arrive globalement à s’exprimer et à se faire comprendre. Et la richesse qu’elle m’apporte au quotidien me donne la motivation pour mener à bien mes missions professionnelles.”

Un contexte porteur, une rencontre inspirante, et un outil nait

A. A. : “Avant de créer Corpus Solutions, j’étais chez Equadex où je dirigeais une équipe de développeurs. Dans cette entreprise, on aime beaucoup favoriser l’innovation. La thématique proposée en 2016 était l’intelligence artificielle. L’objectif était donc que chaque salarié imagine une solution innovante, dans son domaine de prédilection.

À la même époque, j’ai rencontré Carine Mantoulan, docteur en psychologie, qui accompagne une centaine de personnes porteuses du trouble du spectre de l’autisme.

Lors d’une séance d’accompagnement éducative, elle a ressenti une nervosité chez un adolescent, Arthur. Il ne pouvait pas exprimer sa demande. Dans ce type de situation, la psychologue a recours à un classeur d’images. En désignant une suite d’images plastifiées et les alignant sur une bande scratch, le jeune peut parvenir à communiquer.

En l’occurrence, les images venaient à manquer et l’interaction se grippait. La psychologue a dû sortir de la pièce pour chercher de nouveaux pictogrammes. L’idée lui est alors venue de rendre possible un échange fonctionnel grâce à l’usage d’un algorithme novateur : Comment gagner en instantanéité langagière et rendre possible un échange constructif entre deux individus ayant des fonctions cognitives différentes ? On a tous un téléphone dans la poche et on est tous capable de lui parler pour écrire du texte. En parallèle, quand je m’adresse à une personne en situation de handicap, je vais avoir d’un côté le classeur de communication dans lequel je vais aller piocher des pictogrammes et j’ai de l’autre côté mon smartphone, à qui je peux dicter du texte… Ne peut-on fusionner les deux et faire en sorte d’avoir un téléphone à qui l’on va parler et qui va afficher des pictogrammes ?

Au sein de l’équipe, on a décidé de créer un “POC”, une preuve de concept, le prototype d’une application à qui on va parler et qui sera en mesure de traduire ces mots par des pictogrammes. En présentant notre projet lors du concours annuel d’Equadex, on a été élus “meilleure application innovante” : dire si l’idée a plu !

On a donc décidé d’aller plus loin en menant une étude à Toulouse, auprès de sept personnes porteuses d’autisme, aux âges divers. Une nette amélioration de la qualité de vie et de l’autonomie de ces personnes ont été constatés : une magnifique nouvelle !”

Les usages d’Helpicto

A. A. : “Helpicto est donc un traducteur qui permet aux personnes utilisant un langage verbal de parler sous forme d’images, dans une démarche “je parle et je te montre”. L’information verbale est enrichie par des pictogrammes et des images personnalisables.

Imaginez un jeune de 16 ans, une force de la nature, dont la frustration – parce qu’il ne comprend pas ce qu’on lui dit ou qu’il n’arrive pas à se faire comprendre – va se traduire par des coups, des griffures et des bousculades. Si l’on est dans une grande surface, à pousser un lourd caddie, cette situation peut s’avérer assez complexe à décrisper.

L’enjeu d’Helpicto est d’ intégrer dans la communication que l’on a avec son enfant, un outil qui traduise et décrypte ses besoins ou ce que l’on attend de lui. Par exemple, je vais lui demander “Est-ce que tu veux boire ?”. Sur mon écran, va s’afficher sa photo avec le pictogramme d’un bonhomme en train de boire. Oui ? Non ? Le jeune va pouvoir pointer l’écran pour dire “oui, j’ai soif” ou “oui, j’ai envie d’aller au toilette”.

Dès lors que l’on sort la tablette, le jeune sait que l’on va entrer en situation de communication ; ne serait-ce que grâce à cela, son comportement va évoluer.

Helpicto comporte plus de 15 000 images différentes qui correspondent à des activités du quotidien – fruits et légumes, transports, loisirs, etc. Il y a des jeunes qui apprennent avec des pictogrammes noirs sur fonds blancs ; il y en a d’autres qui vont avoir besoin d’un dessin un peu plus imagé, type dessin animé ; d’autres encore qui vont avoir besoin de photos. Helpicto est un caméléon : en fonction du profil de la personne, on va aller chercher le bon pictogramme qui va permettre de fluidifier la communication.

On intervient dans les deux versants du langage : le versant réceptif – je parle à Helpicto, ça traduit sous forme d’images. Par exemple, si je lui dis qu’il va y avoir une pause pendant 10 minutes, Helpicto va afficher un pictogramme où l’on voit l’enfant en train de se reposer et une barre de progression qui va avancer pendant 10 minutes. Le jeune va comprendre que là, ce que l’on attend de lui, c’est d’aller se reposer.
Et on va également pouvoir proposer au jeune une tablette sur laquelle il y a des pictogrammes qu’il va pouvoir sélectionner et mettre en haut de l’écran, sur une bande-phrase, pour qu’il soit en mesure de s’exprimer.”

Changer de regard

A. A. : “Je pense qu’il faut mettre les personnes en situation de handicap au cœur de notre société. Ils ont des choses à apporter. De belles initiatives se créent où les personnes porteuses de handicap peuvent travailler : les cafés joyeux, par exemple, ou Avencod, une entreprise niçoise dont les salariés se définissent comme les Avengers du code. Ils créent un environnement de travail propices aux personnes autistes Asperger, qui, s’ils ont souvent des difficultés avec les interactions sociales, ont également un souci du détail, de la précision, dans les missions qui leurs sont confiées.

Si je ne me trompe pas, en France, il y a une personne sur cinq en situation de handicap, ou qui va le devenir, même ponctuellement : on ne peut pas mettre ces personnes de côté et se concentrer exclusivement sur les personnes dites ordinaires. Non ! Il y a des personnes dites extraordinaires qu’il faut pouvoir inclure !

Qu’est-ce que cela implique ? Cela sous-entend que lorsqu’un jeune se balade avec une tablette et qu’il entre dans une boulangerie pour commander une chocolatine ou une baguette, il faut je comprenne ce qu’est le handicap, les besoins des personnes qui en sont porteuses, et les adaptations à faire pour en faciliter l’accueil. Ainsi, quand ce jeune entre avec une tablette, l’idée est que je ne sois pas étonné du fait qu’il me demande quelque chose avec des pictogrammes.

Quand on inclut dans sa société des personnes en situation de handicap, ça ne doit pas être une obligation, ça doit être juste normal. Ces personnes peuvent aussi apporter de la valeur, il ne faut pas avoir peur de le dire !”

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