Gérard Langlois Meurinne, psychiatre, psychothérapeute et membre du CEH propose régulièrement une chronique du Mycelium, réflexion axée sur l’écologie humaine. Il partage ci-dessous les enseignements qu’il tire de l’exemple de Bernadette Soubirous, à qui en février 1858, alors qu’elle ramassait du bois avec deux autres petites filles, une Dame apparaît au creux du rocher de Massabielle, près de Lourdes.
« Je l’ai vue, oui… je l’ai vue » Qui parle ainsi ? Toute sa vie, Bernadette Soubirous répétera doucement ces mots à ceux qui l’interrogeront ou douteront de ses apparitions. Oui, elle a vu la « Dame ». Voici les faits* : en février 1858, Bernadette, 14 ans, issue d’une famille pauvre de Lourdes voit une « Dame » dans la grotte de Massabielle en allant ramasser du bois avec d’autres écolières. Celles-ci, qui n’ont rien vu, sont fortement impressionnées par l’attitude de Bernadette, qui rayonne et fait rayonner bonheur, beauté et lumière. À quelques rares reprises, la Dame lui parlera également. Sur ses indications, Bernadette creusera la terre pour découvrir une source méconnue et cette source sera vite considérée par beaucoup comme miraculeuse. Il y aura encore dix-sept « apparitions », étalées sur cinq mois et toujours réservées à la seule Bernadette. De façon étonnante, le phénomène se propage : les « autres » suivent, et c’est bientôt une foule qui l’accompagne à Massabielle. Le groupe de quelques dizaines de voisins s’élargit vite, rassemblant bientôt quelques milliers de personnes. En un temps très court, toute la France parle de Bernadette et de Lourdes, s’émerveille et s’interroge.
Sans aller à Lourdes, j’ai eu la chance de croiser cet été le chemin de Bernadette, me laissant attirer par un vieux livre de poche intitulé « Le chant de Bernadette ». L’auteur, Franz Werfel, écrivain juif autrichien et mari d’Alma Malher, ne m’était pas inconnu : il avait été l’un des premiers à dénoncer en Europe le génocide arménien. Mais comment Werfel avait-il rencontré Bernadette ? J’ai alors découvert une très belle histoire : Franz et Alma, cherchant à traverser les Pyrénées pour fuir le nazisme ont été amenés à séjourner à Lourdes. Franz fit alors le vœu d’écrire un livre sur Bernadette, qui aura un immense succès en 1942 aux Etats-Unis, où finalement il a pu émigrer.
Bernadette est « transformante » pour ceux qui l’approchent
En lisant ce livre j’ai eu le sentiment que cette rencontre avec Bernadette avait transformé la vie de Franz Werfel. Sa perception du « phénomène mystique » de Massabielle est très profonde et subtile, sans pour autant éluder le phénomène de crédulité populaire ni les questionnements scientifiques légitimes.
Outre Franz Werfel et quantité d’autres, y compris nombre d’incroyants, je fais partie de ceux qui se sentent transformés par Bernadette. Et, pourtant, celle-ci n’a jamais cherché à convertir ou à prêcher. Elle n’a jamais cru vraiment que des miracles avaient lieu grâce à la source de Massabielle. Ce n’était pas son affaire. Bernadette est toute intériorité et a laissé aux autres la « gestion » du phénomène populaire. Si elle voyait les multitudes venant prier et s’agenouiller à Lourdes aujourd’hui, elle serait impressionnée. Et soyons sûrs qu’elle serait émue par la souffrance humaine et émerveillée par la foi, par le courage et le dévouement des accompagnants. Mais croirait-elle pour autant aux miracles de l’eau de Lourdes ? Rien n’est moins sûr.
Bernadette en son temps n’expliquait rien. Son message n’est ni moral ni philosophique.
Pour moi, elle est transformante pour les autres parce qu’elle-même s’est transformée de façon inspirante. Sa transformation se voit sur son visage et dans ses attitudes et invite par l’exemplarité à la transformation intérieure d’autres qu’elle. Elle a laissé émerger en elle la Beauté pure, l’Amour pur, la Compassion pure, la Noblesse et l’Humilité pures, qui étaient là, semées en elle dès sa conception comme en tout être humain. Contrairement à la plupart, elle n’a pas gardé cachées ses richesses intérieures. Sa vision de la « Dame » incarne l’émergence, le surgissement de ce qui était là. Et, dans la foulée, Bernadette, habitée par une innocence extraordinaire, a osé « partager » à ses compagnes et compagnons sa vision personnelle : la Dame de Bernadette est alors devenue une Dame d’amour et de grâce universelle, offerte à tous.
Ses attitudes nous parlent encore aujourd’hui : elle est vraie, n’invente pas, n’embellit pas ; elle est naturelle, elle fait confiance, se tourne vers les autres qu’elle associe à son expérience ; elle reste humble, ne se sent pas importante, elle « est » tout simplement ; elle accepte sa condition ; elle est juste et ne juge personne ; enfin elle donne « gratuitement » sans chercher quelque chose en retour.
Ses visions témoignent d’un merveilleux qu’elle perçoit qui est beauté, grâce, noblesse et qu’elle offre à ceux qui « ne voient pas » comme elle ; elles transmettent un message subtil de bonheur, qui peut également être vu comme message de progrès et même de guérison intérieure.
Comment recevoir et comprendre aujourd’hui les visions de Bernadette ?
Sans faire toute une analyse psychologique de l’expérience de Bernadette, il est légitime de chercher à expliquer ce phénomène étonnant qui se poursuit de nos jours.
Elle a « vu la Dame ». Ne serait-ce pas une façon de nommer son expérience d’une transcendance, de rendre hommage à un plus grand que soi en soi, de percevoir au fond d’elle-même le principe animé de la vie ?
Allons plus loin : n’avons-nous pas tous une « Dame intérieure » que nous pourrions mieux voir ? Mon expérience de psychothérapeute me fait dire que nous sommes habités d’un « guide intérieur » qui ne se trompe pas. Mais l’écouter n’est pas toujours facile et l’écouter ne suffit pas : car il s’agit ensuite de mettre en œuvre le choix que nous propose notre guide.
Le témoignage si simple de Bernadette est d’abord une invitation à retrouver notre propre innocence en lui faisant confiance sans y voir une réaction infantile. Devenue adulte, Bernadette a toujours cru dans la vision de l’adolescente qu’elle était à 14 ans. Elle n’a pas changé, embelli ou dégradé sa vision de jeune fille. Elle est restée fidèle à elle-même. Et, sans jamais revoir la Dame, sa vie en est restée irradiée…de l’intérieur.
C’est son expérience d’innocence, préservée comme une source subtile jamais tarie, qui m’a inspiré. J’ai pu ainsi commencer à fréquenter le chemin de ma propre innocence : depuis, je vis celle-ci comme porteuse d’un renouvellement constant, comme source d’humilité, comme présence à l’âme de ce monde, comme hymne de reconnaissance envers la vie qui m’a été donnée. J’ai confiance que j’irai plus loin sur ce chemin neuf à condition d’y revenir souvent, d’apprendre à bien le connaître et à l’apprivoiser.
À l’invitation de Bernadette, ne pourrions-nous pas rejoindre notre « cœur d’origine » d’avant ses déformations dues aux aléas de la vie ? Nos visions et nos espérances de jeune, qui sont un trésor précieux, nous pouvons encore aujourd’hui les cultiver. Creusons pour le retrouver et redonnons-lui vie.
Alors, nous pourrons dire nous aussi, humblement : « je l’ai vue, oui je l’ai vue ».
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