Docteur en philosophie, Pierre d’Elbée intervient depuis plus de 20 ans dans les organisation professionnelles et associatives. Il cherche à établir des ponts entre le monde du travail et la philosophie, trop souvent cantonnée à un domaine académique. Ci-dessous, il s’interroge sur la notion de bientraitance : pourrait-elle devenir un outil managérial au sein des entreprises ?
La bientraitance serait-elle adaptée à l’entreprise ? Quand on constate la trop fréquente souffrance managériale, on ne peut éviter de se poser la question.
Pierre d’Elbée
Le scandale du management toxique
“Au cours de leur vie professionnelle, rares sont ceux qui n’ont jamais été confrontés à cet adversaire redoutable qu’est le manager toxique. Autoritaire ou pernicieux, toujours injuste, à la limite de la légalité, harceleur, imprévisible, il est d’autant plus nocif qu’il peut être compétent et sait à merveille montrer à ses supérieurs sa valeur ajoutée.
Il n’a pas de profil précis mais on remarque simplement que ses équipes sont toujours sur le qui-vive, il alimente une ambiance désastreuse, sape le moral des plus motivés… Il est en grande partie responsable des « 44 % des salariés qui s’estiment en situation de détresse psychologique, dont 14 % de détresse psychologique élevée, selon un baromètre OpinionWay pour Empreinte humaine, publié en mars 2023 ». Il correspond à l’adversaire « injuste et puissant » selon Kant, qui demande tout notre courage.
La bienveillance commence. . .
On n’est pas habitué à parler de bientraitance dans les entreprises. Déjà, la bienveillance a suscité des incompréhensions, par son aspect gentillet, irréaliste, doucereux… Et pourtant, la bienveillance est un bon commencement : on sort de l’indifférence ou de cette terrible neutralité relationnelle qui n’exprime rien, qui reste indéchiffrable et entretient la suspicion. La bienveillance est le premier pas vers une confiance mutuelle, complément indispensable d’un bon sens de l’organisation.
. . . La bientraitance poursuit
La bientraitance franchit un pas supplémentaire : avec elle, on n’en reste pas au déclaratif ou à l’intention, on transforme celle-ci en action visible, efficace ; on prend soin des autres. Ce n’est pas pour rien que la bientraitance est un terme qui vient du monde de la santé et concerne en priorité les personnes malades, les seniors ou encore les enfants.
La bientraitance vise en premier le soin du corps exposé, et c’est là une nuance particulière. Du monde de la santé, elle s’est largement diffusée dans celui de l’éducation. Face au fléau du harcèlement psychologique ou sexuel, de nombreux établissements scolaires cherchent à développer un véritable climat de bientraitance au sein des élèves et du corps enseignant.
La bientraitance en entreprise ?
La bientraitance serait-elle adaptée à l’entreprise ? Quand on constate la trop fréquente souffrance managériale, on ne peut éviter de se poser la question. Ceux qui ont la chance de travailler dans une entreprise ou un service qui respecte les personnes, auront peut-être le réflexe de trouver qu’il s’agit là de maternage. Un management excessivement prévenant infantilise en effet. Je militerais pourtant volontiers en faveur d’un management de la bientraitance pour au moins trois raisons :
- La bientraitance est concrète : elle fait sortir le manager du déclaratif pour l’engager visiblement sur le terrain,
- Elle alimente la confiance des équipes en donnant des preuves visibles de ses bonnes intentions,
- Elle redonne au management sa dimension essentiellement éthique et humaine, condition sine qua non de sa pérennité.
De là à dire que la bientraitance est un remède nécessaire au management toxique, il n’y a qu’un pas…”
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