Franck Spriet, avocat en droit social au barreau de Lille, explique ce qu’est la médiation, un moyen trop peu connu pour régler des litiges de façon pacifiée et pérenne, hors des palais de justice.
Franck Spriet, avocat : “Je suis avocat depuis un peu plus de vingt ans au barreau de Lille, qui compte 1300 avocats. J’exerce dans mon cabinet que j’ai fondé il y a une quinzaine d’années et qui est spécialisé dans le droit des affaires, tandis que ma compétence particulière est le domaine du droit social.
Pourquoi parler de médiation alors qu’on parle de justice ? On pourrait presque se demander dans quelle mesure cela n’est pas antinomique. La justice est là pour trancher et la médiation est là pour se réconcilier ; à tout le moins pour trouver un accord. Néanmoins, la justice promeut aujourd’hui la médiation : la judiciarisation de notre société a augmenté les conflits alors que le processus de médiation permet de les régler d’une manière différente, pacifiée et pérenne.”
Quel est l’intérêt pour la justice de promouvoir la médiation ?
F. S. : L’intérêt est double. Si l’on voit les choses d’une manière économique, il permet de sortir bon nombre de conflits de la sphère judiciaire et donc de faire faire des économies à l’État, pour lequel le budget de la justice est relativement conséquent ; qui dit justice dit juge, greffier, employés de justice, Palais de Justice… autant de frais qui sont impératifs pour mener à bien l’œuvre de justice.
Si l’on sort du champ économique, pour la justice, la médiation se focalise sur ce qui ne peut être tranché que par le juge. Chacun peut l’expérimenter dans sa vie personnelle : lorsque les relations présentent des difficultés, celles-ci peuvent être résolues entre les personnes elles-mêmes, pour autant qu’il y ait un cadre.
La justice a donc tout intérêt à voir tout un champ de litiges sortir de son cadre naturel.”
Dans quel cadre se vit la médiation ? Quel processus suit-elle ?
F. S. : “La médiation s’inscrit dans un cadre : c’est la règle du jeu. Paradoxalement, l’intérêt de la médiation est justement de sortir de ce cadre. Je ne peux entamer une médiation avec des personnes que si celles-ci sont d’accord pour entrer en médiation et je délimite les règles impératives dans lesquelles va se dérouler cette médiation.
Ces règles impératives sont d’avoir recours à un médiateur qui est tout sauf un arbitre du litige. Il est neutre et nécessairement impartial et, en même temps, il va conduire une médiation pour permettre aux personnes de dialoguer entre elles sur le conflit qu’elles ont, tout en les guidant pour qu’elles puissent trouver le bon accord qui va mettre fin au litige. Enfin, si nécessaire, on peut homologuer l’accord, c’est-à-dire le rendre équivalent à un jugement. Ce n’est donc pas une fantaisie, mais bien quelque chose de très sérieux, encadré notamment par nos textes légaux, repris dans ce qu’on appelle le Code de procédure civile. C’est important de le rappeler parce qu’il peut y avoir des confusions entre médiation, conciliation et arbitrage. Tout cela existe mais la médiation est quelque chose de tout à fait spécifique.
Pour vous donner un exemple, il m’est arrivé d’être médiateur pour un litige important dans le domaine du droit du travail, entre une responsable et son subordonné, qui est également délégué syndical. Cette nouvelle responsable n’est autre que son ancienne collègue, placée, donc, auparavant, au même niveau hiérarchique. Lui se sent discriminé et vit cela comme une souffrance au travail. Elle, de son côté, se trouve dans l’impossibilité de mener à bien la mission qui lui est demandée, ce qui insupporte son N+1. Cette entreprise relativement importante de l’agroalimentaire m’a donc demandé de mener à bien une médiation pour que ces deux personnes, au-delà de leurs fonctions, de leur promotion et de leur représentation, puissent continuer à travailler ensemble.
L’enjeu est donc non seulement les personnes qui sont en conflit mais également l’entreprise elle-même, puisque les autres collaborateurs souffrent forcément d’un conflit entre les personnes avec lesquelles ils travaillent. Nous avons donc mené cette médiation qui a permis de libérer la parole. Nous l’avons fait à pas cadencés : il est important d’avoir un calendrier relativement précis. Puis, la parole se libérant, on arrive à trouver les moyens de lister à la fois les difficultés et les possibilités de revenir sur le travail, sur la façon d’organiser celui-ci et de respecter les compétences et les pouvoirs qu’ont chacun.
C’est un gros travail d’approche et la justice n’aurait rien pu faire à cela, même si c’est un litige. Mais, modestement, en écoutant et en respectant chacune des personnes, nous sommes arrivés à ce qu’elles trouvent un accord ensemble.
La médiation est un processus volontaire ; on ne fait jamais une médiation malgré soi. En tant que médiateur, on veille toujours à ce que les personnes entrées en médiation réitèrent leur consentement. Pour avoir ce consentement, il faut en rappeler régulièrement le cadre. Il y a d’ailleurs quelque chose d’important à souligner : en médiation, il n’y a rien de coercitif puisque vous pouvez la quitter à tout instant sans qu’il n’y ait de conséquences. Autrement dit, si j’entre en médiation et que, in fine, je considère que je fais fausse route, qu’on ne pourra pas trouver d’accord ou que je n’ai plus envie, pour des raisons personnelles, de poursuivre cet exercice, aucun juge, si le litige devait prendre une tournure judiciaire, ne pourrait me faire grief d’avoir abandonné ma médiation. C’est totalement confidentiel. Mais, en théorie, si j’entre en médiation et si cela m’a été bien expliqué, j’ai envie tout de même d’aller au bout du processus. Ce qui ne veut ne veut pas dire que je vais nécessairement trouver un accord. Donc, il y a bien deux choses : je peux quitter la médiation et/ou je peux aller au bout de la médiation sans qu’il y ait pour autant un accord avec celui avec qui j’étais en conflit.”
Diriez-vous que toutes les médiations se valent ?
F. S. : “Je dirais que non. En effet, cela concerne des personnes : les médiés et le médiateur. Qui dit personne dit différence. Ainsi, forcément, quand vous êtes médiateur, vous menez une médiation avec ce que vous êtes et ce que vous avez acquis en termes de formation ; pour autant vous êtes vous-même et il faut que le courant passe avec les médiés, qu’ils vous acceptent, qu’ils comprennent votre langage, qu’ils adhèrent à la façon dont vous “animez” la médiation.
Pour les médiés, vous avez forcément des personnes qui sont davantage disponibles que d’autres à ce type d’exercice lequel est, je dois dire, toujours un peu troublant, parce qu’il vous fait sortir de vous-même et il vous fait entrer dans des chemins que vous n’aviez pas forcément pressentis lorsque vous êtes entré en médiation. C’est pour cela que je vous disais préalablement que la médiation, c’est aussi “sortir du cadre”. C’est là que la “magie” s’opère : ce que vous pensiez au départ en tant que médié n’est pas ce qui va sortir, in fine, de la médiation.”
Je ne connais aucun médié qui est sorti d’une médiation en claquant la porte, alors que le lieu pourrait le permettre car celui-ci est neutre sans caméra, sans policier, etc. Pour autant, quand un médié quitte une médiation, il la quitte de manière tout à fait correcte ; ce qui me fait dire que la personne en médiation panse déjà quelques blessures dans le sens où être écouté, c’est déjà un chemin pour considérer être respecté, pour pouvoir être entendu. Je forme le vœux que la justice, comme la médiation, puisse contribuer à la paix, ce qui n’effacera aucun litige mais ce qui permettra de les régler.”
Estimez-vous que, dans la société, il y a de moins en moins de lieux permettant de libérer la parole et d’être écouté avec respect ?
F. S. : “Je suis formé et rompu à la justice puisque j’y ai consacré une grande partie de ma vie professionnelle. Je suis donc très respectueux de la justice qui est un pilier de notre société démocratique. Je milite d’ailleurs pour que nous ayons des Palais de justice qui soient dans la rue, très accessibles parce que c’est très important que le justiciable citoyen reconnaisse son Palais de justice. Je pense que c’est aussi un endroit solennel ; ce caractère symbolique est aussi extrêmement important. Je veux ainsi “prendre ma part” là-dedans. Ma volonté n’est pas d’opposer la médiation à la justice mais je dois reconnaître que la justice, malheureusement, est devenu un endroit beaucoup plus fermé qu’il ne l’était auparavant, que la distance entre le justiciable et le juge est de plus en plus importante, que le droit à la parole est maintenant quelque peu bridé. J’en veux pour preuve, les avocats, où on plaide de moins en moins parce que tout est de plus en plus écrit, bien évidemment l’écrit est nécessaire ; mais la parole est ô combien importante, notamment pour celui qui est derrière vous, c’est-à-dire votre client, qui entend sa cause plaidée. Partant de là, puisque la justice a décidé, pour des raisons diverses, de brider quelque peu la parole, la médiation est un espace de parole, à mon avis, très important et qui a un avenir absolument certain.”
Y a-t-il des réseaux de médiateurs ?
F. S. : “Les réseaux de médiateurs existent. Chaque barreau de France ou en tout cas la grande majorité, ont un ou plusieurs centres de médiation où se retrouvent des avocats formés à la médiation. Ainsi, les personnes qui souhaitent avoir recours à ce processus parce qu’elles en ont entendu parler se présentent à une Maison de l’Avocat ou en mairie. Là, on leur indique des coordonnées pour rejoindre une médiation.
La fonction de médiateur n’est pas réservée aux avocats. Elle est ouverte à tous pourvu qu’on ait une appétence à traiter des conflits ou, tout du moins, à apporter sa pierre pour trouver une solution humaine et durable. Ainsi, le psychologue, le médecin, l’infirmier, l’assistant social, l’ingénieur, s’il trouve de l’intérêt à investir ce champ de règlement des litiges, peut se former pour devenir médiateur. La confrontation et l’association de toutes ces compétences, dans des champs très divers, deviennent extrêmement vertueuse.”
Selon vous quels sont les plus beaux fruits d’une médiation réussie ?
F. S. : “Les plus beaux fruits de la médiation c’est notamment de permettre de poursuivre les relations qui ont été abîmées avec l’autre personne. Je prend l’exemple d’une famille déchirée qui ne se parle plus, pour des raisons diverses d’héritage et de relations abîmées et à l’occasion de la médiation, au bout du processus, ils se reparlent, se serrent la main, voire s’embrassent.
La médiation est non pas du temps perdu, mais du temps gagné pour des relations restaurées.”
Quel est le coût de la médiation ?
F. S. : “L’honoraire de médiation est libre. Il n’y a pas de réglementation.
Pour le cas de la médiation judiciaire, puisque c’est le juge qui nomme le médiateur, c’est lui qui va fixer une provision due au médiateur. On a un peu tous les cas de figure, entre 100€ à 150€ de l’heure pour les médiateurs.
En médiation conventionnelle, on va trouver ce même type de barèmes, entre 150€ et 200€ de l’heure, en sachant qu’une médiation ne doit normalement pas durer plus de trois mois et que la médiation ne se tient pas quotidiennement. On fait en sorte que la médiation ne dure pas trop longtemps pour que le coût soit possible pour les médiés, en sachant que, dans le cadre de la médiation, sauf cas exceptionnels, les frais sont partagés entre les deux médiés.
La convention de médiation prévoit le prix qui sera à payer et définit exactement les modalités de celui-ci. Il n’y a donc pas de piège pour les médiés qui savent exactement dans quelle fourchette de prix cette médiation va se dérouler.
Il n’y a jamais eu de contestation ni sur l’honoraire ni sur le coût final parce que je crois qu’en général le succès de la médiation est bien plus important que le coût qui a été supporté et l’économie qui est réalisée derrière. En effet, dans ce cas-là, on a plus gagné à s’entendre qu’à s’étriper pendant des années, avec un aléa judiciaire important.”