La sécurité sociale de l’alimentation : une utopie mobilisatrice ?

22 Jan, 2024 | AGRICULTURE, CONSOMMATION, DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, SOCIÉTÉ DE BIEN COMMUN

Tanguy Martin, membre de l’association Ingénieurs sans Frontières, groupe agricultures et Souveraineté Alimentaire, présente la sécurité sociale de l’alimentation (SSA), développée dès 2019. Un projet qui a pour ambition de diffuser plus de démocratie et d’équité dans la société. Quoi de plus mobilisateur ?

La sécurité sociale de l’alimentation : le projet

Tanguy Martin, Collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation : “La sécurité sociale de l’alimentation est une idée qui s’est construite entre 2010 et 2019, à travers des échanges entre diverses organisations dont Ingénieurs sans frontières, autour de questions d’agriculture durable, d’éducation populaire, de démocratie économique et d’accès à une nourriture saine et de qualité pour tous.

La SSA est donc un moyen imaginé pour réaliser le droit à l’alimentation en France au XXIᵉ siècle.

On est parti d’une analogie avec la Sécurité sociale et l’assurance maladie ; on l’a étendue à la question de l’alimentation, en décidant de s’appuyer sur trois principes fondateurs : l’universalité, la démocratie et un financement prélevé directement la valeur ajoutée (cotisation sociale).

Un futur possible ?
Source de l’image : https://isf-france.org/articles/pour-une-securite-sociale-de-lalimentation

La sécurité sociale de l’alimentation : le contexte de départ

On vit dans un système économique capitaliste où toutes les activités humaines tendent à être régies par le marché dans un but unique : produire du profit. Si l’on pousse cette logique, on peut imaginer que la production agricole, la transformation des produits à destination alimentaire et leur distribution ne vise pas, in fine, à répondre à un besoin fondamental des êtres humains – celui de se nourrir – mais bien à faire du profit.

Que des personnes se nourrissent à partir de là est un effet secondaire heureux, mais ça n’est pas le but premier de ces activités, telles qu’elles sont actuellement mises en œuvre. Ceux qui défendent ce système capitaliste disent que finalement, bon gré mal gré, ça permet tout de même de répondre aux besoins des êtres humains.

Force est de constater que, aujourd’hui, en France – pour ne parler que d’ici – pour l’agriculture et l’alimentation, cette logique ne fonctionne pas. On est l’une des plus grandes puissances – tant agricole qu’économique – du monde. Et pourtant, une part importante de nos agriculteurs vit bien en-dessous du seuil de pauvreté par rapport au reste de la population et agriculteur est une profession qui connait l’un des taux de suicide le plus important.

En parallèle, un sondage est sorti dans l’Hexagone en septembre 2023 : une personne sur trois en France saute de temps en temps un repas pour des questions de difficultés d’accès à l’alimentation. Et cela concerne des personnes qui ont un emploi, qui ne sont même pas considérées comme vivant sous le seuil de pauvreté ! C’est insoutenable.

Cela entraîne une augmentation des personnes qui recourent à l’aide alimentaire.
Si ce phénomène a été amplifié par des crises récentes (la guerre en Ukraine, pour ne citer qu’elle), il vient de bien plus loin, en réalité. Ça pose un problème majeur auquel il faut répondre.

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La sécurité sociale de l’alimentation : 150€ par mois et par personne

La proposition de la sécurité sociale de l’alimentation est de donner 150€ par mois et par personne – sans distinction aucune – en France, exclusivement pour répondre aux besoins alimentaires, somme qui couvre la plupart des besoins en ce domaine, notamment pour les personnes qui sont dans la plus grande difficulté financière. Ce budget aurait comme effet concret de rendre solvable toute la population pour l’alimentation DE SON CHOIX. Ça permet déjà une espèce de justice économique et un accès fondamental au droit.

Car on le sait : l’alimentation est la variable d’ajustement du budget des personnes ; dans un système de dépenses contraintes – logement, énergie, mobilités, téléphone, etc. – la chose la plus facile pour rester dans le budget est bien de sauter quelques repas. Cette première étape peut sembler basique, mais elle est vitale : on donne de l’argent aux personnes afin qu’elles puissent se nourrir avec !

Évidemment, on pourrait imaginer d’augmenter les minimas sociaux, les salaires ou autre. Mais ceci ne répondrait pas forcément à notre problématique : les loyers, le prix de l’énergie, etc. pourraient augmenter ; les plus précaires se retrouveraient alors dans les mêmes circonstances.

On nous pose souvent la question : pourquoi cet argent ne serait pas donné juste aux personnes qui en ont besoin ? Cela parait en effet contre-intuitif d’imaginer Bernard Arnault, l’homme le plus riche du monde, bénéficiant de cette aide. Ce qui sous-tend ce choix est le désir de “faire société”.

Aujourd’hui, on vit dans un quasi apartheid alimentaire : certains ont le choix de leur alimentation quand d’autres ne l’ont pas. Ces derniers récupèrent les restes de ce que les plus aisés n’ont pas voulu consommer – les surplus de l’industrie agroalimentaire et les invendus ; l’anthropologue Bénédicte Bonzi, auteur de La France qui a faim (éd. Seuil, 2023), parle de “violences alimentaires”.

Ainsi donc l’idée que tout le monde bénéficie de ces 150 € vise à faire société ; on n’est plus dans une logique de charité où les pauvres bénéficient de la générosité des riches. Et évidemment, il y a une justice économique derrière, via le système de cotisation : la valeur ajoutée produite par tout le monde va bénéficier à tout le monde. C’est la part que la société se donne à elle même de ce qu’elle produit pour assurer les besoins fondamentaux de la société. À travers cela, on refait corps.

On refait d’autant plus corps que les produits que l’on va acheter sont décidés dans des caisses de sécurité sociale de l’alimentation. Ensemble, démocratiquement, nous allons décider de que nous allons manger !

Bénévole et associations
France, Paris, November 10, 2020 Food distribution by Secours Populaire. France, Paris, 10 novembre 2020 Distribution alimentaire du Secours Populaire. Isabelle Eshragi / Agence VU

La sécurité sociale de l’alimentation : transformer le modèle agricole et alimentaire

Ce qui est important de comprendre, c’est que les organisations qui cherchent à développer une agriculture durable – quels que soient les mots que l’on mette derrière – sont focalisées depuis très longtemps sur la production de cadres techniques, agronomiques et institutionnels qui permettent de développer une agriculture vertueuse (et par là-même, une alimentation saine). Force est de constater – là encore – que ça ne marche pas.

Pourquoi ? Parce que l’agriculture concerne de moins en moins de monde : 1,9 % de la population française ! Tout un pan de la société n’est plus relié à la terre, à la production agricole.

Par contre, tout un chacun mange ; ça, c’est quelque chose de très concret pour tout le monde.

La transformation de l’agriculture passera donc par la conviction intime de sa nécessité par les agriculteurs mais aussi par le fait d’embarquer la société entière sur son alimentation et la façon dont elle veut que cette alimentation soit produite. Voilà l’un des grands paris de la Sécurité sociale de l’alimentation.

N’hésitez pas à rejoindre notre initiative sur votre territoire ! >ICI<

Source de l’image : https://chambres-agriculture.fr/actualites/toutes-les-actualites/detail-de-lactualite/actualites/implanter-des-haies-sur-son-exploitation-une-strategie-economique-et-environnementale-gagnante/

Le site de la sécurité sociale de l’alimentation : securite-sociale-alimentation.org

Découvrez également le témoignage de Somhack Limphakdy, enseignante-chercheuse à travers L’eau, source de vie, précieux commun.

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