La mobilisation massive contre l’établissement par l’État d’une filiation homoparentale montre l’importance des repères symboliques autour de ce que le psychiatre Jean Guyotat a appelé la « filiation instituée » [8]. En effet, établir pour l’enfant de nouvelles règles de filiation, telles qu’être l’« enfant de deux pères » ou l’« enfant de deux mères », bouleverse profondément les repères qui participent à la construction psychologique de l’identité. L’enfant incarne alors une équation inconcevable dans la réalité : aucun être humain ne peut être conçu de deux hommes ou de deux femmes, si ce n’est par un artifice technique dont on sait qu’il sera autorisé officiellement par la suite.
LA MAÎTRISE DE L’HOMME SUR LA PROCRÉATION HUMAINE EN QUESTION
En réalité, ces questions de l’homofiliation et de l’homoprocréation interviennent avant tout comme un révélateur. La crise est antérieure et doit conduire à une réflexion critique sur la maîtrise postmoderne de la procréation humaine (contraception, interruption de grossesse, diagnostic prénatal, procréation médicalement assistée). Ces pratiques, aujourd’hui synonymes de libération et de progrès, constituent un bouleversement sans précédent dont nous commençons tout juste à prendre la mesure [4,5,7,10,11]. Il s’agit d’en analyser les logiques sous-jacentes.
En particulier, cette révolution sexuelle et procréatique est impossible sans une instrumentalisation de l’enfant à naître. Nous sommes passés du rapport de domination homme-femme, dénoncé par le féminisme, à un rapport de domination du couple sur l’enfant à naître. En témoigne la logique de « surproduction », de sélection et de « surconsommation » des embryons et des fœtus humains. De quoi s’agit-il ? Voici quelques chiffres. En France, dix ans de pratique de la fécondation in vitro au rythme actuel (10.000 enfants par an) nécessitent la production de 2,2 millions d’embryons humains, chiffre vertigineux (« rendement » de 3 à 5 enfants nés pour 100 embryons fécondés in vitro) ! Toujours dans notre pays, la contraception par stérilet favorise vraisemblablement la procréation et l’élimination de quelques millions d’embryons humains par an, en raison de l’activité antinidatoire de ce mode de contraception (environ 3,5 millions d’utilisatrices en 2010). Les deux cent mille interruptions volontaires de grossesse (IVG) annuelles pratiquées depuis 1975 au cours des 10 à 12 premières semaines de grossesse, représentent l’élimination de 7,4 millions d’enfants à naître, soit une population d’environ 4,5 millions d’enfants dits « non-désirés » qui seraient nés si ces IVG n’avaient pas été pratiquées… Le diagnostic prénatal de la trisomie 21, de plus en plus performant, aboutit dans 95% des cas à la pratique d’une interruption médicale de grossesse (IMG). Bientôt, une population entière, génétiquement discriminée, celle des personnes atteintes de trisomie 21, sera ainsi anéantie, ce qui m’a amené à parler de « génocide libéral » [2].
L’ECOLOGIE HUMAINE: ALTERNATIVE A UNE RÉVOLUTION SEXUELLE DÉCEVANTE
Les racines inconscientes de la parentalité postmoderne plongent dans ces statistiques incontournables et pourtant refoulées. Les parents et la société ont un véritable pouvoir de vie et de mort sur l’enfant à naître. L’enfant dit « désiré » de la société procréatique ne bénéficie guère de l’accueil sécurisant que la société croit lui accorder. Il est soumis à une authentique forme de violence sociale : la menace rétrospective de son élimination prénatale potentielle. La parentalité post-moderne s’établit sous un fond d’insécurité existentielle délétère dont la pratique clinique invite à mesurer les enjeux psychologiques [1].
Parallèlement, la révolution sexuelle et procréatique n’est pas une panacée. Il faut la juger à ses fruits. Nous aurions pu croire qu’elle permettrait de construire une harmonie homme-femme plus sereine, mais cela ne semble guère le cas si l’on en juge par le nombre des désunions conjugales et des conflits parentaux. Les souffrances liées à l’interruption de grossesse, pourtant bien présentes à de multiples niveaux, sont également objets de tabou. Peu de cliniciens les recherchent [6, 3]. Et si, pour Freud, la répression sexuelle qu’exerçait la société puritaine de son époque favorisait l’éclosion des névroses, la société d’aujourd’hui favorise davantage des profils de personnalité borderline ou pervers [9] dont les expressions pathologiques ne sont pas moins sévères.
Cette analyse ne doit pas nous laisser sombrer pour autant dans le pessimisme, ou l’idéalisation du passé. Une troisième voie est possible. Exigeante, elle doit prendre en compte les évolutions sociales, en particulier la nécessité d’un féminisme authentique, et doit inventer un nouveau rapport homme-femme respectueux de l’enfant à naître, pour un autre avenir de la procréation humaine. Cette autre voie qui vise à prendre soin de chacun des parents et de l’enfant, s’inscrit précisément dans le courant d’écologie humaine.
1- Bayle B. « L’enfant désiré, la parentalité et la procréatique » Dialogue, 2013 n° 199, p. 85-95.
2- Bayle B. À la poursuite de l’enfant parfait. L’avenir de la procréation humaine. Robert Laffont, 2009.
3- Bayle B. L’enfant à naître. Identité conceptionnelle et gestation psychique. Érès, 2005.
4- Bayle B. L’embryon sur le divan. Psychopathologie de la conception humaine. Masson, 2003.
5- Châtel M.-M. Malaise dans la procréation. Albin Michel, 1993.
6- Clerget S. Quel âge aurait-il aujourd’hui ? Le tabou des grossesses interrompues. Fayard, 2007.
7- Gauchet M. « L’enfant du désir. » Le Débat, 2004, n° 132, p. 98-121.
8- Guyotat J. Filiation et puerpueralité. Logique du lien. PUF, 1995.
9- Lazartigues A. « Réflexion sur les droits de l’enfant, les couples contemporains et l’éducation nouvelle. » La lettre du psychiatre, mai-juin 2006, vol. II, n°3, p. 97-101.
10- Vacquin M. Main basse sur les vivants. Fayard, 1999.
11- Vacquin M. « Filiation et artifice. Nouvelles techniques et vieux fantasmes. Point de vue psychanalytique. » Le Supplément, juin 1991, n°177, p. 131-149