Bernard Mugnier, membre de l’alvéole Oasis*, s’émerveille : en rentrant chez lui, à Montpellier, il prend conscience de la présence du bien commun l’environnant et de son importance. Et si, comme lui, nous ouvrions grands nos yeux… et nos cœurs ?
« Les grands discours ne sont pas nécessaires, fais, donne et tu recevras »
“Nous n’étions pas nombreux mercredi 2 octobre pour notre rentrée « Oasis ». La soirée fut cependant studieuse, et même féconde pour moi, comme le montre ce qui va suivre. Réfléchissant ensemble autour de notre thème du bien commun, je me sentis personnellement un peu dans la confusion : oui, faire l’expérience dans nos vies quotidiennes du bien commun est une bonne chose, mais cela ne doit-il pas aussi déboucher sur une vision générale du sujet, et pourquoi pas sur l’élaboration d’une Déclaration Commune de ce que nous appellerions « Le Bien Commun » et qui pourrait servir de guideline à nos prises de position dans nos vies individuelles et sociales ? J’avais en tête ce genre de réflexion mais Gérard, le responsable de notre alvéole, insista à nouveau pour que nous restions aussi concrets que possible et que nous ne partions pas dans de grandes envolées lyriques : nous nous réunissons à Oasis pour partager nos expériences autour du bien commun, non pour épiloguer sur lui ! En accord au fond avec les remarques de Gérard, je ressentais pourtant une résistance à complètement le suivre sur ce chemin, presque une forme d’ennui, vis-à-vis de quelque chose qui serait d’une trop grande banalité…
Le même soir, rentré chez ma fille, me vint l’idée que j’étais, peut-être, face au bien commun comme le poisson dans son eau, qui ne sait pas qu’il doit à celle-ci le fait de vivre. Je décidais de passer un peu de temps de ma journée suivante à intégrer la simple expression « Bien Commun » à mes diverses activités, aussi naturellement que possible. Ma journée consistait pour l’essentiel à prendre le train pour rejoindre Montpellier.
Je quittais l’appartement de ma fille avec la femme de ménage qui avait rendez-vous dans un cabinet dentaire proche. Nous parlâmes en route de l’Algérie où elle avait passé ses premières vacances de veuve, auprès des siens. Elle évoqua un peu mes petits-enfants qu’elle aimait avec leurs différences, et qu’elle connaissait depuis leur naissance. Quand nous fûmes ainsi dans la rue, elle en femme d’Afrique du Nord et moi en occidental typé, il me traversa l’esprit la remarque suivante : « il faut de tout pour faire un monde et la diversité est un autre mot pour la richesse ».
La laissant entrer dans le dispensaire, je pensais à cette adresse facilement accessible depuis la rue, aux soins qui allaient lui être prodigués, au temps nécessaire de formation de ces spécialistes, de la méticulosité de leur travail, de leur utilité. Me vint alors la pensée : « le bien commun, avant toute chose, n’est-il pas dans tout ce factuel, parfois insignifiant, mais parfois plus conséquent, qui accompagne nos journées ? Dès que nous posons un regard un peu conscient sur ce qui nous entoure, le bien commun, ou son absence, deviennent évidents. Oui, nous baignons en permanence dans une sorte de bain constitué de beaucoup de bien commun, sans toujours nous en rendre compte ».
Quelques minutes plus tard, j’arrivai à la gare de Bécon-les-Bruyères, encore en rénovation, une rénovation conséquente avec une certaine recherche esthétique. Observant quelques talus laissés en jachère, je me demandai si l’on penserait à les débroussailler, car cela faisait un peu tâche dans ce décor soigné. Il n’empêche, une gare a une place importante dans nos vies, c’est un point de départ et aussi d’arrivée de toutes sortes d’événements, petits et grands, et ne faut-il pas considérer ce genre d’endroit comme un bien commun à préserver et protéger ? En tout cas certains s’en soucient et agissent !
À droite du quai où j’étais descendu, se trouvait un TER en stationnement, neuf ou presque et, me le rappelant opportunément, sans les tags vus deux jours avant sur des trains sales à Montpellier. N’était-ce pas là une manifestation toute simple d’un respect naturel de tout un chacun à l’égard des autres, respect et attention qui finalement rendent la vie ensemble plus agréable ?
Mon train, à l’heure et tout aussi propre, m’emmena en quelques minutes à Saint-Lazare. Le long de la voie, mon ancien quartier : j’ai vécu 25 ans aux Batignolles ou à proximité, avec femme et enfants, et ce vieux quartier qui fut à une certaine époque une sorte de quartier bobo (quartier de l’Europe) contraste avec le nouveau quartier ultra-moderne et s’offre désormais comme un havre de paix pour des happy hours, des repas d’affaires ou entre amis. « Le bien commun, pensais-je, c’est à nous de le construire, de le préserver, de le reconstruire éventuellement ! il est une intention bienveillante que nous décidons d’avoir les uns pour les autres, où que ce soit et quelles que soient les données initiales. La volonté et la foi en ce bien commun, il nous faut les avoir chevillés au corps, et alors il se déploie assez spontanément ».
Lors du trajet de la ligne 14 qui va de la gare Saint-Lazare à celle de Lyon, je questionnai mon humeur pour savoir quel livre emporté j’allais lire. Face à cette liberté de choix, je me sentis intérieurement l’obligé de tous ceux qui allaient contribuer à faire de mon voyage, le conducteur du TGV en premier, mais aussi les autres personnes gravitant autour, une parenthèse personnelle plaisante : « Ce cadeau qui m’est offert et dont je mesure le prix, comment puis-je en exprimer ma reconnaissance ? Comment puis-je donner ma gratitude, sinon à ceux qui me font voyager confortablement et en sécurité, du moins à d’autres personnes ? Sans doute suis-je en train de prendre conscience de ce que peut être l’économie du bien commun qui va bien au-delà d’une simple dimension mercantile ».
Quelle ne fut pas ma surprise de voir, en pénétrant sur le quai de la Gare de Lyon, un panneau publicitaire où était inscrit sur un fond bleu, couleur de l’espoir, la mention « Pour le Bien Commun » ? La leçon était pour moi claire, évidente : « il t’a suffi d’ouvrir un peu ton cœur à la notion de bien commun pour que tu en constates aussitôt la manifestation un peu partout, et que sa formulation elle-même s’affiche en toutes lettres et sans aucune ambiguïté sur un mur ! ».
Le voyage qui allait suivre ne pouvait se présenter sous de meilleurs auspices, et il tint ses promesses !”
* L’alvéole Oasis se réunit régulièrement à Paris pour parler d’humanisme et d’écologie humaine.