Alice Capron-Valat est architecte du patrimoine DPLG et maître d’oeuvre sur le chantier de restauration de l’abbaye de Chiry-Ourscamp. Lors d’un webinar mi-juin 2023, elle nous a raconté en quoi ce projet était pionnier. On vous laisse découvrir !
Conserver, rénover, restaurer : le but d’un chantier “monument historique”
Alice Capron-Valat, architecte du patrimoine DPLG : “Le principe même d’un chantier monument historique – comme celui de Chiry-Ourscamp – est de conserver l’existant pour sa valeur patrimoniale. Un monument historique classé est un édifice que nous nous devons de préserver et transmettre aux générations suivantes.
Un tel chantier implique donc de valoriser la conservation, la restauration, la réutilisation de l’existant. C’est donc une démarche fondamentalement écologique puisque le but premier est d’éviter le gaspillage !
Par ailleurs, l’architecture est une discipline profondément humaine ; elle réunit un ensemble de corps d’états et d’intervenants d’excellence pour restaurer un monument ; l’artisan avec son outil et son savoir-faire accomplit une tâche guidée par le maître d’œuvre et commandée par un maître d’ouvrage. Le chantier est un lieu d’échanges entre hommes et femmes pour faire progresser une restauration.
Le monument historique classé : définition
Un monument historique classé est un édifice d’intérêt et de forte valeur patrimoniale – dont la conservation présente un intérêt public au point de vue de l’histoire ou de l’art. En France, existent des monuments historiques classés – l’Abbaye d’Ourscamp en fait partie – et des monuments historiques inscrits. Le monument historique classé dépend du code du patrimoine (et c’est le plus haut niveau de protection qui puisse exister sur un objet, tant œuvre d’art qu’édifice), tandis que le monument historique inscrit dépend du code de l’urbanisme.
Seule une certaine catégorie d’intervenants et d’acteurs sont à même de surveiller, entretenir et restaurer un monument historique classé : la DRAC, en l’occurrence la DRAC Hauts-de-France, puisque l’abbaye se situe dans l’Oise, les conservateurs, les ingénieurs techniciens du patrimoine ; les maîtres d’œuvre architectes doivent être soit Architecte en Chef des Monuments Historiques – il y en a environ une cinquantaine en France actuellement – soit être architecte du patrimoine et pouvoir justifier d’une expérience de plus de dix années dans le domaine de la restauration des édifices patrimoniaux.
L’abbaye de Chiry-Ourscamp : un peu d’histoire
Ourscamp est une abbaye cistercienne qui a été fondée en 1129 par l’évêque de Noyon. Elle est composée de trois bâtiments principaux classiques datés de la fin du 17e, modifiés au 18e et 19e siècles.
La congrégation des Serviteurs de Jésus et de Marie occupe le site depuis le début du XXᵉ siècle. S’y trouve aujourd’hui une trentaine de moines qui ont à cœur de restaurer ce site.
Lors de la Révolution française, l’abbaye a été revendue comme bien national à un propriétaire privé qui en a fait un usage industriel – comme bon nombre de monuments historiques en France à cette époque. Il s’agissait en l’occurrence d’une filature pour le textile.
Pendant la seconde guerre mondiale, le site a subi de nombreux bombardements ; les Allemands étaient réfugiés à l’arrière de l’aile de Lorraine.
Le Comte Paul Biver finit par reprendre possession du site et protéger un tant soit peu l’aile de Lorraine. Il fait notamment construire un toit en béton armé pour éviter la dégradation du monument. Depuis cette transformation, l’aile de Lorraine n’a plus été touchée ; jusqu’en octobre 2022, date à laquelle les Serviteurs de Jésus et de Marie se sont engagés dans ce grand chantier de rénovation écologique et solidaire.
Pourquoi rénover l’aile de Lorraine de l’abbaye d’Ourscamp ?
C’est un peu contrainte et forcée que la congrégation s’est posé des questions quant à l’accueil des groupes de retraitants sur le site ; les maisons d’accueil actuelles ne sont plus tout à fait aux normes. La congrégation a alors considéré la réutilisation de l’aile de Lorraine.
Elle a rapidement donné son programme, en exprimant le souhait d’intégrer à la réhabilitation une chapelle d’hiver. Au rez-de-chaussée du bâtiment, nous avons donc conçu un grand espace pour les messes et les offices, jouxté d’une sacristie, de confessionnaux et de salles de réunion. Par ailleurs, 17 chambres peuvent accueillir plus d’une cinquantaine de personnes.
L’objectif fixé avec la DRAC était de travailler avec l’existant, en faisant preuve d’une grande humilité ; habiter la coquille – à l’instar d’un Bernard-l’hermite – et redonner vie en restaurant l’édifice selon les besoins de la congrégation.
Abbaye d’Ourscamp : une restauration Laudato Si’
Il était très important pour la maîtrise d’ouvrage de repartir de la deuxième encyclique du pape François, Laudato Si’.
Ce n’est pas commun, quand on est architecte, de devoir se projeter dans des considérations autres que des CCTP, des maquettes et des plans ! Or, pour la congrégation, il était vraiment important que le projet s’évertue à considérer les enjeux environnementaux et sociaux lors de sa concrétisation.
Le volet social
La maîtrise d’ouvrage a passé un contrat avec les entreprises qui interviennent sur le chantier pour suivre et contrôler les clauses d’insertion sociale. Il impose le respect d’un certain nombre d’heure d’insertion de travailleurs éloignés de l’emploi dans le chantier de restauration et de réhabilitation, avec une attention particulière pour les jeunes sortis sans qualification à l’issue de leur scolarité ou sans expérience professionnelle.
C’est Pôle emploi qui présente aux entreprises des profils adaptés et qui se charge ensuite de contrôler, avec la maîtrise d’ouvrage, le nombre d’heures effectuées par ces personnes.
Nous avons un AMO – assistant à la maîtrise d’ouvrage – social ; il pilote ce volet pendant toute la durée du chantier. Tous les mois, il récupère les feuilles de paye et vérifie le temps passé par chacun sur le chantier. Nous avions un objectif de 8000 heures d’insertion sociale ; Or, pour le lot principal (maçonnerie, pierre de taille, échafaudages), nous sommes déjà au dessus du quota alors que le chantier est en cours ! C’est notamment grâce à certains locaux qui, au-delà de s’attacher à un travail, s’attachent au bâtiment et demeurent sur le chantier au sein de différents lots.
Le volet environnemental
Nous avons également un AMO environnemental qui a travaillé sur une charte que les entreprises se sont engagé à suivre. Pour la rendre concrète et accessible, de nombreux visuels ont été diffusés sur le chantier.
Les entreprises qui travaillent avec nous doivent être très conscientes des impacts environnementaux de leurs actions. En pratique, cela se concrétise par la réutilisation de matériaux ; un exemple : l’abbaye disposait d’un stock de pierres du 19e siècle, nous les avons retaillées et réemployées pour les mettre en œuvre sur le chantier. Le recyclage est bien sûr un sujet important ; les réponses varient énormément d’un matériau à l’autre.
Pour éviter le gaspillage, nous avons mis en place des fiches de déchetteries. Elles nous permettent de répertorier ce que l’on met à la benne. Chaque mois, nous surveillons les relevés de consommation d’eau afin de détecter d’éventuels pics, pouvant être dus à des robinets laissés ouverts ou des fuites d’eau ; c’est en contrôlant que l’on peut y remédier.
Et puis nous avons sensibilisé chaque acteur du chantier sur les mégots de cigarette, les bouteilles d’eau, les masques, l’électricité, les propos vulgaires, les tenues adaptées, la musique trop forte (ce qui peut s’avérer problématique dans un endroit où une congrégation religieuse, ayant soif de silence, habite !)… Les sujets ne manquent pas !
Usage du bâtiment final : écologique jusqu’au bout !
La congrégation a déjà mis en place à l’échelle du site un système de chauffage au miscanthus. C’est un élément végétal séché que l’on brûle pour chauffer un circuit d’eau. Le chantier de l’aile de Lorraine s’est branché sur cette installation qui répondait aux enjeux écologiques du projet.
L’isolation était l’une des problématiques clefs. Il était impensable de la faire par l’extérieur et de défigurer la façade. Nous avons donc travaillé sur des doublages intérieurs en fonction des zones de vie afin de ne pas doubler inutilement tout l’édifice.
Le sujet des menuiseries était plus complexe car la déperdition thermique se fait souvent à la jonction de deux éléments des portes et des fenêtres. L’enjeu était de concevoir des menuiseries dont le dessin répondait parfaitement au cahier des charges d’un monument historique classé, tout en renforçant la qualité du vitrage. Le vitrage a été réalisé en double vitrage avec lame de gaz. La façade extérieure dispose d’un vitrage monument historique avec un verre étiré. L’intérieur dispose d’un verre plus classique pour limiter les coûts.
Nous explorons toutes les possibilités pour optimiser au mieux l’usage final de bâtiment !
Travailler sur un site religieux : quelques règles
Les sites sensibles, que ce soit pour des raisons religieuses, culturelles, ou de sécurité militaire par exemple, impliquent des contraintes additionnelles. En l’occurrence, Ourscamp est le lieu de vie d’une congrégation, avec des temps de prière et de silence réguliers, scandé tout au long de l’année par des fêtes religieuses importantes. Nous mettons donc le chantier en pause pour les fêtes religieuses : Pâques, Noël, Pentecôte…
Il nous revient de faire attention à rester dans le cadre du chantier et de ne pas obstruer la circulation de la congrégation ou des visiteurs. Nous sensibilisons nos compagnons au fait que c’est un lieu de prière qui requiert certaines règles. La musique, comme je vous le disait, est interdite. Et l’on demande aux compagnons de ne pas être torse nu. Cela représente un réel effort de leur part, sachant qu’en été, un couvreur peut rapidement travailler sur un matériau à plus de 40, voire 45 degrés !”
Crédit des vues aériennes : Alexis Hertz – SELUO / Crédit panneaux communication chantier vert : BOPRO