Le fruit royal #ChroniquePotagère

5 Oct, 2021 | ART & CULTURE, NATURE & ENVIRONNEMENT

Raphaèle Bernard Bacot, artiste butineuse et auteure de « Jardiniers des villes, portraits croqués sur le vif » (Éditions Rue de l’Échiquier) et « Potager du Roi, dessins de saisons à Versailles » (Éditions Glénat) propose, au rythme des saisons, sa chronique potagère. En ce début d’automne 2021, nous révérons la poire, considérée comme la royauté fruitière.


Comment les romains auraient-ils pu imaginer à quel point des siècles d’horticulture ont transformé de vilains petits Pyrus communis, durs et secs comme des cailloux, en fruits fondants et sucrés ? Ils n’en auraient pas cru leur palais ! Et pourtant, c’est bien grâce à leur travail de sélection et de greffage que la poire, telle qu’on la connaît, est apparue en Europe.

On l’améliora ensuite encore à la Renaissance. En 1690, La Quintinie dressa une liste de plus de cent soixante-dix poires différentes. La poire devint le fruit royal par excellence car la chair des meilleures poires est fondante comme du beurre, fine et parfumée en bouche. Ainsi, tandis que l’identité des pommes s’était perdue dans les campagnes et la nuit des temps, car renommées différemment suivant les régions, les poires, elles, ont gardé leur pedigree. En effet, plus distinguées que les pommes, elles ont toujours été l’apanage des châteaux et abbayes qui s’enorgueillissaient de leur verger.
Hélas, lorsque l’INRAE ( Institut National de recherche Agronomique) a initié, avec l’aide de différentes associations d’amateurs, l’échantillonnage le plus exhaustif possible du patrimoine génétique français, les poires ne sont devenues plus que des PUNK suivis de numéros. Exit les « Cuisse Madame », « Poire de curé », « Bon chrétien d’hiver », la poire préférée de Louis XIV, ou encore la « Beurré Hardy », poire tardive au goût exquis…

N’est pas arboriculteur qui veut. La taille des poiriers requiert un savoir-faire pointu et une patience que l’on peine à imaginer. Il faut plus de vingt-cinq ans pour qu’un poirier taillé en palmette à cinq niveaux dit « Palmette Legendre » atteigne deux mètres quatre-vingt de hauteur. Quand on regarde les vétérans du Potager du Roi, certains plus que centenaires, forcent l’admiration. Hélas, beaucoup d’entre eux ont dû être arrachés : il ne reste plus que cent ans à attendre pour que les petits jeunes atteignent cette taille impressionnante… S’ils y arrivent sans l’aide d’aucun traitement !

Au fait, pourquoi torturer ainsi les poiriers par la taille ? L’objectif principal est d’augmenter la productivité mais l’élégance des branches enlacées symétriquement le long des treillis ou des espaliers, ajoute au plaisir des yeux. Chaque étape est surveillée de près : la taille, le palissage, l’ébourgeonnage, l’effleurage et enfin l’éclaircissage, tant qu’il y aura des jardiniers. En effet, un défi est lancé aux anciens comme aux plus jeunes. Pourvu que la cause de la bonne poire soit entendue par les deux générations… Et honni soit qui mal y pense. 


Ci-dessous, les actualités de Raphaëlle Bernard-Bacot.

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