Le lobbying autrement – Gaëtan de Royer

25 Nov, 2024 | DROIT & JUSTICE, FAMILLE, SOLIDARITÉS & SOCIÉTÉ

Requestionner les méthodes du lobbying, afin de les rendre plus horizontales – en associant davantage la société civile – et plus transparentes – en le faisant aux yeux de tous. Voilà les objectifs de Gaëtan de Royer, consultant en affaires publiques et auteur de Le lobbying autrement (édition LibriSphaera, octobre 2024). Pourquoi ? Comment ? Il révèle tout ci-dessous.

“Le lobbying est, à mon sens, une respiration démocratique.”

Gaëtan de Royer
Gaëtan de Royer

À propos de Gaëtan de Royer

Gaëtan de Royer, 45 ans, est consultant en affaires publiques. En lançant le cabinet de conseil Koz, en 2017, il requestionne le lobbying au profit de méthodes plus horizontales et transparentes.

Fondateur de The Good Lobby France, en 2021, il contribue à démocratiser l’accès aux décideurs en connectant un réseau d’expertises pro bono avec des porteurs de projets, responsables associatifs, etc.

Dans ce cadre, il fonde notamment l’association des Oubliés de la République en 2022, avec l’objectif d’organiser et de promouvoir la prise de parole publique des victimes de grande exclusion.

Qu’est-ce que le lobbying ?

Gaëtan de Royer, auteur de Le lobbying autrement : “Le lobbying rassemble toute action visant à influencer la loi ou la réglementation pour y intégrer des intérêts particuliers.

Sachant que l’intérêt général – ou le bien commun – se dégage beaucoup plus d’une consultation des intérêts particuliers que d’une vérité unilatéralement professée d’en haut, quand bien même cette dernière est éclairée et pertinente.

Que voulez-vous changer du lobbying aujourd’hui ?

Loin des images de manipulation souvent associées au lobbying, il s’agit avant tout, à mon sens, d’une respiration démocratique.

Le lobbying permet aux décideurs de s’ancrer dans la réalité du terrain avant de légiférer ou réglementer. Il n’est pas souhaitable qu’un homme politique, dans sa tour d’ivoire, prenne des décisions sans se soucier de la manière dont elles seront appliquées. Il en va de la pertinence de la mesure mais également de la bonne adhésion de l’ensemble des acteurs à la loi. La démocratie est un fragile équilibre ; elle est constituée d’intérêts multiples qu’il s’agit de concilier pour réussir à vivre ensemble.

Je pense également qu’à force d’être un peu naïf sur le lobbying, on laisse cette arme aux cyniques et à ceux qui ont énormément de moyens. Or, en réalité, ce n’est pas très compliqué de participer au débat public !

Et c’est la couleur que je souhaite aujourd’hui apporter au lobbying : ouvrir un dialogue plus large et plus égalitaire entre la société civile et nos gouvernants ; davantage associer les expertises citoyennes – même des plus petites associations – aux délibérations gouvernementales ; permettre à ceux qui expérimentent sur le terrain des recettes qui peuvent bénéficier à l’intérêt général d’accéder à des outils professionnels de sensibilisation de nos dirigeants.

Pourquoi avez-vous écrit Le lobbying autrement ?

J’ai écrit Le lobbying autrement parce qu’en tant qu’observateurs attentifs du débat public, nous avons des choses à dire sur la crise démocratique que nous traversons. Cette crise touche tant les mécanismes de la démocratie – l’inégalité d’accès au débat public, par exemple – que sa finalité – pourquoi et pour qui décide-t-on ?
Trop souvent, les décisions publiques semblent inefficaces ou déconnectées des besoins réels.

Plus profond encore : quelle est la finalité de nos sociétés ? Pendant les dernières décennies, il s’agissait avant tout de produire et de redistribuer. Cet objectif faisait consensus, avec des interprétations différentes selon la Gauche ou la Droite.
Or, que nous dit la crise climatique aujourd’hui ? Que le consensus autour de la production en train de s’effondrer. Et que le nouveau modèle – de substitution – n’a pas encore vu le jour.

Je suis un militant des vulnérabilités ; je porte énormément de causes qui ont trait à cette question dans le débat public. Les vulnérabilités nous amènent à poser la question des limites : celles de l’homme, de la nature, de nos institutions. Elles soulignent notre interdépendance et plaident pour une collaboration.

Notre conviction – celle des 175 bénévoles, de la vingtaine de directeurs d’affaires publiques de grandes sociétés qui ont rejoint The good Lobby France et la mienne – est que nul homme, nul parti politique, nul pouvoir, ne peut nous sortir du pétrin seul. Coopérer est une nécessité absolue.

Pour conclure sur ce point, je dirai donc que j’ai écrit ce livre pour essayer de réenchanter le débat public et redonner de l’espoir : un autre monde est possible !

Vous dites qu’il faut repenser nos imaginaires : pourquoi ? Et comment faire ?

Je crois en effet qu’il faut repenser nos imaginaires et la place que l’on accorde à l’homme dans la nature.

Nous avons, me semble-t-il, des visions anthropocentrée qui accordent trop d’importance au culte de la force et de la performance. Darwin n’a jamais dit que les espèces qui survivaient étaient les espèces les plus fortes mais plutôt celles qui étaient les plus adaptables et qui, parfois même, coopéraient. Or, nos sociétés sont imbibées de ce culte de la performance qui vient éreinter hommes et écosystèmes.
Par conséquent, je pense que dans le débat public, on doit mettre ce prisme de côté et être davantage attentif à ce que peuvent nous apporter les vulnérabilités.

Par ailleurs, je pars du principe que le regard de la société a perdu toute capacité d’émerveillement et de véritable et profonde attention. Et c’est également vrai en politique. Aujourd’hui, le politique à une incapacité à voir le beau là où il est, une incapacité à voir l’innovation là où elle est.
Il est donc très important d’encourager le politique à se “déprotéger” pour être à nouveau accessible à ce qui est véritablement essentiel.

Les neurosciences montrent que 2 % seulement de l’activité cérébrale est réfléchie ; le reste est automatique. Cela signifie que nos pensées sont souvent conditionnées par des émotions ou des schémas profondément ancrés dans notre inconscient. Ainsi, amener un sujet de façon un peu décalée – je pense à l’opération menée autour du droit des nuages avec Mathieu Simonet – ou être sur le registre de la poésie peut venir court-circuiter cette pensée automatique et permettre d’être véritablement écouté – et donc entendu – par nos interlocuteurs.

Je note d’ailleurs que dans l’histoire de la pensée politique, ceux qui ont été les plus efficaces pour venir requestionner nos imaginaires sont soit des poètes comme Victor Hugo, soit des prédicateurs comme Martin Luther King qui n’ont pas honte de parler de concepts tels que la beauté et l’amour.

Cela me semble très intéressant, dans un débat public sclérosé, d’essayer de réveiller quelque chose du domaine de l’émotion pour sortir de l’analytique pur et ouvrir la partie droite de nos cerveaux. La raison ne suffit pas ; il faut mobiliser plus souvent ces leviers que sont l’émotion, la beauté, la poésie.

Martin Luther King Jr. : “I have a dream…”

Comment faire porter sa voix dans le débat public quand on n’en a pas l’habitude ?

Dans Le lobbying autrement, je propose plusieurs conseils pour “entrer dans l’arène institutionnelle”. Néanmoins, avant de les appliquer, quatre conditions me semblent particulièrement essentielles :

  1. Lutter contre le sentiment d’illégitimité : les personnes qui ont eu une expérience aigüe de vulnérabilité ont souvent été en marge de la société ; elles ont l’impression au plus profond d’elles-mêmes de ne pas valoir grand-chose. Lutter contre ce sentiment d’illégitimité nécessite un travail individuel pour regagner confiance – ma parole peut émouvoir, faire rire et apporter quelque chose au débat public – et redevenir acteur de sa destinée.
  2. Créer les conditions d’une écoute réelle : souvent, il faut reconnecter les politiques avec leur empathie. C’est pour ce faire que l’on a imaginé #ChaquePasCompte : des responsables politiques s’engagent à effectuer, une fois par mois pendant 6 mois, des promenades d’au moins 30 minutes avec le même “Oublié”. Ce dernier arrive avec un objet qui est censé le résumer et le confie au politique qui s’engage à le garder pendant un mois sur son bureau pour penser à lui tous les jours. Voilà une manière décalée de favoriser l’empathie des politiques. Et au sein des Oubliés de la République, nous avons développé de nombreux autres formats percutants.
  3. Favoriser l’action collective : ce qu’on appelle le community organizing décuple de beaucoup l’efficacité et la force du discours.
  4. Collaborer avec le pouvoir politique : c’est la culture même du lobbying, qui est parfois contre-intuitive dans la société actuelle. L’idée est de se positionner en expert plus qu’en militant ; de briller plus par la qualité de ses contributions, par la pertinence de son témoignage, par la capacité que l’on a à articuler un récit individuel avec une approche plus collective et à se faire ainsi reconnaître comme indispensable à la construction des politiques publiques, que pour les seuls décibels que l’on est capable de délivrer dans la rue. Pour moi, c’est une condition d’influence pérenne et durable.

Une action des Oubliés de la république avec François Hollande. Source de l’image.

Comment, selon vous, générer l’amitié entre les membres de la cité ?

Je fais partie de ceux qui pensent qu’aujourd’hui le débat politique est outrancier et trop souvent trop violent, phénomène exacerbé par les réseaux sociaux. Et ce, alors même que nous sommes confrontés à des enjeux majeurs, comme on n’en a probablement jamais connus dans l’histoire de l’humanité : effondrement du vivant, acidification des océans, réchauffement climatique…

Et face à cela, on a des sociétés de plus en plus divisées : phénomène d’archipelisation, replis identitaires, culture du clash, etc. On a des petites îles qui s’éloignent les unes des autres et vivent dans leur bulle. On ne se côtoie plus, ne se parle plus, ne se connait plus et on observe une baisse de l’empathie entre individus.

Pour créer les conditions du changement, il faut que l’on se parle à nouveau, que l’on se sente appartenir à la même humanité. Et pour moi, le politique à cette responsabilité de rassembler ; par les sujets qu’il met sur la table, lui est à charge d’essayer de parler à une même humanité, afin que chacun puisse se reconnaître.

Et selon moi, le thème par excellence pour atteindre ce but est la vulnérabilité sous toutes ses formes. Parce que la vulnérabilité est le propre de l’homme, par sa finitude et son incomplétude, et qu’à travers ce sujet, on peut parler de la nécessaire interdépendance entre tous les éléments du vivant, et donc aborder un certain nombre des enjeux majeurs évoqués précédemment.

Le politique doit réinsuffler de l’amitié entre les membres de la cité. Parce que seul, on n’arrivera à rien, j’en suis convaincu.

Un dernier message ?

Il y a de l’espoir !

L’expérience a montré qu’avec un petit nombre de personnes, un peu de scotch et des bouts de ficelle, on arrivait parfois à déplacer des montagnes.

Tout est question, d’abord et avant tout, de conviction et de capacité à faire bouger les lignes – en requestionnant nos imaginaires, en réveillant les esprits encombrés, embrumés, en faisant un petit pas de côté, en jouant sur la poésie, le beau, les émotions.

Quand on est aligné avec ses valeurs, on peut réussir des choses incroyables !

Mais pour cela, il faut dépasser son sentiment d’illégitimité et surtout, se débarrasser de l’esprit de renoncement. Le “à quoi bon” que chacun peut maugréer dans son coin doit purement et simplement disparaître ! Ca vaut vraiment la peine, parfois, de se battre pour défendre ses valeurs. Que l’on gagne ou pas, ce qui fait la beauté de la bataille, c’est la cause que l’on embrasse !”


Je soutiens le Courant pour une écologie humaine

 Générateur d’espérance