Raphaèle Bernard Bacot, artiste butineuse et auteure de « Jardiniers des villes, portraits croqués sur le vif » (Éditions Rue de l’Échiquier), propose, au rythme des saisons, sa chronique potagère. Au menu pour ce mois de février, du navet, du navet et encore du navet !
Si le navet n’a pas toujours eu bonne réputation chez les gourmets, il a souvent volé la vedette aux autres légumes d’hiver dans les contes pour enfants. Connaissez-vous, par exemple, l’histoire du navet géant ? Un navet si monstrueux qu’il devint impossible à déraciner ! On eut beau tirer à un, à deux, à dix, y compris avec les animaux de la ferme venus à la rescousse des jardiniers, rien n’y fit, jusqu’à ce que – patatras – ils tombent tous à la renverse. Ils finirent par une bonne soupe… au navet.
Ce conte de Tolstoï, en souvenir de son enfance sur les bords de la Volga, continue à faire rire dans les datchas. En France, c’est le conte des bons amis de François Paul, dans la collection du Père Castor, qui attendrit petits et grands devant l’esprit de solidarité qui anime les animaux de la ferme, encore eux. Au creux de l’hiver, ils bravent les intempéries pour s’offrir successivement les uns aux autres un bon navet trouvé par surprise sous la neige.
Ainsi la culture du navet a nourri populations et bêtes jusqu’au dix-huitième siècle pour être ensuite détrônée par la pomme de terre et le haricot. Et ce n’est qu’en 1880 que le légume racine réapparut avec un feuillage moins volumineux et surtout en délicieux primeur.
Le navet apprécie les sols légers, frais et bien fumés. Sa culture est facile mais il faut veiller à ce qu’il ne subisse pas de stress par manque d’eau ou par chaleur excessive qui rendrait les racines fibreuses et parfois amères, d’où l’expression peu flatteuse que l’on attribue à une œuvre sans saveur, voire complètement ratée.
Le navet est issu de la grande famille des légumes brassicacées qui comprend chou, chou-fleur, chou de Bruxelles, rutabaga et radis. Au Québec, on l’appelle encore chou de Siam en raison de ses origines asiatiques ou encore rutabaga qui signifie « chou-navet ».
Grâce à un ami, descendant de l’illustre famille d’horticulteurs, j’ai pu retrouver ici une image provenant du catalogue Vilmorin présentant en 1925 jusqu’à 34 variétés de navets. En effet, comme toutes les plantes très anciennes, l’espèce a produit beaucoup de variétés. Mais la palme des régions revient probablement à l’Ile de France dont les plus connus sont le navet de Croissy, le navet des vertus ou navet Marteau, ou encore le navet de Montesson. Ces deux premiers font partie des navets précoces. Tandis que les variétés tardives, comme celle du navet blanc globe à collet violet que j’ai dessiné ici dans une neige fondante, peuvent rester l’hiver en terre, même gelée. D’autres variétés sont récoltées en automne comme le navet de Nancy, ou encore le navet jaune boule d’or.
Quant à la cuisine, on trouvait au siècle dernier dans les livres encore de nombreuses recettes de navets, seuls ou en accompagnement, comme le célèbre canard aux navets. À présent, les petits navets nouveaux glacés ont plus de succès, tout comme le consommé de fanes de navets fraîches, ou alors en salade à l’instar des Anglais.
Enfin, quelle que soit la saison, les navets se cultivent avec bonheur, comme les bons amis.