Chef d’œuvre de science-fiction ou tract antispéciste et subversif ? Cyril Douillet donne son point de vue sur Le Règne animal, film réalisé par Thomas Cailley, sorti en 2023 sur nos écrans, en se posant la question : l’animal est-il l’avenir de l’homme ? (Attention, spoilers dans l’article !)
Film sorti il y a deux semaines dans les salles obscures, Le Règne animal a fait grand bruit, suscitant l’enthousiasme quasi unanime de la critique, qui a salué une œuvre à la hauteur des grands films fantastiques américains.
Le règne animal : de quoi s’agit-il ?
L’histoire nous projette dans une société pas très différente de la nôtre, si ce n’est que certains êtres humains mutent et deviennent progressivement des animaux – oiseaux, mammifères ou reptiles – qu’il faut alors soigner et enfermer.
C’est le cas de Lena, la femme de François (incarné par Romain Duris), un quadragénaire parisien. Lorsqu’elle est envoyée dans un centre spécialisé dans le Sud-Ouest, François et leur fils Émile (Paul Kircher), lycéen, viennent s’installer à proximité.
Mais à l’occasion d’un accident de leur bus, les pensionnaires du centre s’échappent dans la forêt landaise, se coulant dans la vie sauvage. Père et fils se mettent alors en recherche de leur épouse et mère.
Le règne animal : une réussite visuelle
Sur cette trame fantastique, le réalisateur a bâti un film assurément ambitieux. D’abord d’un point de vue visuel : pour incarner les fameuses “bestioles”, mi êtres humains, mi animaux, le film use à la fois de costumes et d’effets spéciaux, pour un résultat globalement réussi, échappant au gore comme au ridicule.
Le règne animal : les questions philosophiques
L’ambition est aussi philosophique. Le film multiplie les pistes de réflexion. À travers le personnage d’Emile, qui découvre qu’il se mue lui aussi en animal, la mutation apparaît comme une métaphore de l’adolescence ; temps de transformation du corps et de la personnalité et apprivoisement, par l’individu pubère, de sa part animale, instinctive.
Mais la mutation se veut aussi métaphore de la différence. Dans cette société imaginaire, les bestioles suscitent le rejet de beaucoup, en particulier des pouvoirs publics, mais certains, notamment des jeunes, prennent leur défense, appelant à l’empathie et à la coexistence. On pense aux mouvements de défense des minorités en tout genre.
Enfin, le film esquisse un parallèle avec le covid 19. Les mutants sont l’objet d’un rejet social qui fait penser à l’ostracisation des non vaccinés pendant la crise sanitaire. Parallèle intéressant si l’on se rappelle que l’origine du virus est liée à la commercialisation dans les marchés alimentaires d’animaux sauvages – le pangolin.
Le règne animal : l’animal est-il l’avenir de l’homme ?
Malgré ces digressions, le cœur du sujet, le plus proéminent, demeure dans l’idée de départ : l’abolition de la frontière entre l’homme et l’animal. On a là un fantasme très présent dans notre époque. Que l’on pense à la mode de l’antispécisme, à l’anthropomorphisme appliqué à la vie animale, mais aussi à des expériences-limites, comme celle relatée dans le livre L’homme chevreuil (Les arènes), où l’auteur raconte comment il a imité pendant plusieurs mois le mode de vie d’un cervidé. Il s’agit d’un écart majeur avec l’anthropologie de nos civilisations occidentales, fondées notamment sur la distinction entre homme et le reste du vivant.
Dans le film, dans un premier temps, cet effacement de la frontière homme-animal n’est pas une transgression voulue par l’homme : il s’agit d’une maladie subie par certains êtres humains ; c’est une catastrophe dont il faut se débarrasser par tous les moyens, sanitaires et militaires.
On peut penser au début que le film va développer une parabole pour illustrer le caractère cauchemardesque d’une telle rupture anthropologique. Au contraire, dans l’évolution du scénario, cette mutation va peu à peu être apprivoisée par les personnages principaux. Et c’est là le point le plus ambivalent du film. Le point de vue du cinéaste rend ces êtres hybrides plus fascinants qu’effrayants. Lorsque l’homme-oiseau parvient à voler, ne touche t-il pas à l’émancipation ultime ? Le retour à la vie sauvage ne semble pas si négatif, au contraire. Jusqu’à ce final où Émile, avec la bénédiction de son père, rejoint lui aussi la forêt, à grandes enjambées de canidé, qu’il est en train de devenir…
De subie et repoussante, la mutation en animal devient finalement enviable. De toutes les pistes qu’ouvre le film, c’est celle-ci qui l’emporte. La vie sauvage, au fil du récit, apparaît comme un univers souhaitable, à rebours de la société oppressive, polluante, à la consommation effrénée, qui est décrite tout au long du film.
Le règne animal : un léger malaise
C’est là que le malaise grandit… Repenser la place de l’animal dans nos sociétés est sans doute un progrès, après de trop évidentes dérives dans l’exploitation des bêtes. De même que l’on peut considérer qu’il faut redécouvrir la part instinctive de notre humanité, parfois niée par la modernité. Mais on risque bien de passer d’un excès à l’autre, en promouvant un retour radical au « sauvage ». Non sans une grande naïveté et ignorance : comme si le monde des bêtes était idyllique et pacifique !
Tout film repose sur une trajectoire. Celle du Règne animal est claire : l’animal est l’avenir de l’homme. Cela peut passer pour un fantasme bien inoffensif, le temps d’un film : en ces temps propres à tous les basculements, où les repères éthiques s’effacent, il y a là au contraire une subversion dangereuse qui creuse son sillon. Car de la confusion nait toujours la violence et le nihilisme. En barbotant dans ces eaux, Le Règne animal y contribue complaisamment.
Et vous ? Qu’avez-vous pensé de ce film ? Vous a-t-il fait réfléchir ? N’hésitez pas à laisser vos commentaires !