Docteur en Philosophie, Pierre d’Elbée intervient depuis plus de 20 ans dans les organisations professionnelles et associatives. Il cherche à établir des ponts entre le monde du travail et la philosophie, trop souvent cantonnée à un domaine académique. Il propose ci-dessous quelques attitudes à adopter face à l’incertitude.
Deux cas d’incertitude
« Covid-19 : l’épreuve de l’incertitude », titrait récemment Les Echos. « Avec la crise actuelle, nous savons désormais que nous ne savons pas. Et que le provisoire est là pour durer » souligne la philosophe Marylin Maeso. Le discours rationnel n’est pas toujours suffisant pour sortir de l’incertitude. Et pourtant, il faut agir, même dans l’incertitude, sans quoi l’on augmente le risque.
« Une étude américaine -rappelle Christian Morel portant sur des catastrophes aériennes dans lesquelles l’erreur humaine est établie, a abouti au constat qu’un accident a plus de chance de survenir quand c’est le commandant de bord qui est aux commandes. La raison à cela n’est pas que les commandants sont moins performants que leurs copilotes, c’est généralement le contraire, mais […], quand le pilote en fonction est le commandant et qu’il se trompe, il est plus difficile au copilote de lui dire qu’il commet une erreur et de la rectifier ». Un copilote, hiérarchiquement inférieur, a peur de heurter son commandant, et il n’est pas sûr d’avoir raison. Cette incertitude le pousse à se taire, jusqu’à provoquer un désastre.
La difficulté de décider dans l’incertitude
Ces situations nous incitent à réfléchir : face à l’incertitude, quelles sont les bonnes attitudes à adopter ? La première qui vient à l’esprit est la décision. Une situation urgente et incertaine conduit généralement à une décision risquée, avec le blâme en cas d’échec et l’éloge si l’on réussit. Contrairement à ce qu’on croit, réduire le risque n’est toujours la meilleure solution. On peut préférer prendre une décision risquée, parce qu’elle promet un gain supérieur, là où le risque minimum ne promet qu’un avantage dérisoire. Cette remarque toute simple est le début d’une réflexion : quelle rationalité introduire dans une décision, avec ses critères de choix, et son échelle du risque.
Avant la décision, l’émotion
Mais l’histoire du copilote nous apprend autre chose. Avant que nous prenions une décision, l’incertitude provoque des émotions : la peur, l’anxiété, le stress. Elles sont parfois si vives qu’elles provoquent la paralysie, le déni, l’absence de réaction comme notre copilote. A l’inverse, on peut adopter une position excessive, qui a (pour celui qui en est dupe) le mérite de faire sortir de l’indécision. Le conformisme, ou encore l’esprit de contradiction, peuvent devenir les critères premiers de ceux qui ne savent que décider. La position inflexible prend le pas sur le jugement raisonnable, et l’entêtement parodie la suite dans les idées.
De l’émotion au conflit
Ne minorons pas le rôle des émotions dans un climat d’incertitude : elles prennent le pas sur la raison et penchent naturellement vers l’excès et les conflits. Certaines familles se déchirent entre les pro et les anti-vaccins. Dans les entreprises, on a beau jeu de contester les décisions difficiles, quand l’enjeu est important et incertain. Derrière les arguments pseudo rationnels, on ne se rend pas toujours compte que se cachent des émotions. Comme la peur qui inspire des arguments insuffisants, voire faux, mais dont l’emprise reste impressionnante.
Communiquer dans l’incertitude
D’où la remarque de la philosophe Cynthia Fleury : « C’est très compliqué de communiquer autour de l’incertitude ». « Ne pas communiquer, c’est prendre le risque de renforcer la défiance ; communiquer, celui d’augmenter le sentiment d’insécurité. » Quand l’enjeu est fort, la menace proche, la décision difficile, l’émotion s’accroît et l’on n’est pas totalement rassuré par un discours raisonnable. Nouvelle incertitude : pour rassurer les incertains, il n’est pas certain qu’une communication soit efficace. Une seule certitude : ne rien faire va faire empirer la situation. Alors ?
Combattre le chaos
Devant cette situation chaotique, il me paraît utile de rappeler la sagesse d’Aristote concernant la sagacité : lorsqu’une situation devient très incertaine et manque cruellement de sens, il appartient au sage (au responsable dirait-on aujourd’hui) de combler lui-même ce vide. Un exemple ? J’ose rappeler l’appel du 18 juin 1940, cet incroyable pari sur l’avenir, sur les hommes, sur la France, dans un univers tellement incertain et hostile ! Tant qu’il y a de la vie, le génie humain dispose de ce pouvoir de combattre la confusion des situations et des émotions, et d’augmenter les chances de succès : le chaos ne peut jamais être vaincu que par une surabondance de sens.
Pour en savoir plus : Iphae Conseil