Selon d’éminents naturalistes, la disparition de l’éléphant d’Afrique semble se rapprocher. Mais pourquoi donc le pays qui a le plus fait pour le sauver vient-il de rouvrir la chasse au pachyderme ? Par Tugdual Derville, co-initiateur du Courant pour une écologie humaine.
L’animal le plus lourd sur terre marche… sur la pointe des pieds. Farce de la nature ! Inapte à la course, l’éléphant garde toujours une patte au sol, mais il peut dépasser vingt kilomètres à l’heure en marchant. Un mâle d’éléphant d’Afrique pèse jusqu’à sept tonnes.
L’éléphant est l’un des animaux terrestres les plus intelligents. Avec le corbeau et certains grands singes, il se reconnait comme vous et moi dans un miroir ; il sait utiliser des outils et lancer des projectiles, pierres ou branches, avec sa fameuse trompe. Cet organe aux cent mille muscles, issu de la fusion entre son nez et sa lèvre supérieure, peut à peu près tout faire : décortiquer une cacahuète, soulever jusqu’à une tonne, aspirer dix litres d’eau, pour boire ou prendre sa douche, voire les pomper dans son propre estomac pour rafraîchir sa peau, la couvrir d’un nuage de poussière protectrice du soleil et des parasites, sentir, barrir et vous envoyer une claque magistrale… On suppose que l’éléphant anticipe les changements de temps à l’ouïe et communique avec ses congénères grâce aux vibrations du sol.
La génétique permet désormais de différencier deux espèces africaines : l’éléphant des savanes et celui des forêts, dont la survie est la plus menacée. Les naturalistes estiment qu’au même titre que les autres grands mammifères africains, l’éléphant est condamné à brève échéance à disparaitre à l’état sauvage, pour ne survivre, comme relique vivante, que dans quelques zoos ou sanctuaires. Quel crève-cœur !
Chacun sait le désastre provoqué par le juteux trafic de son ivoire, enfin prohibé dans le monde entier. Selon une étude de 2016, trente à quarante mille éléphants d’Afrique seraient braconnés chaque année, soit près de dix pour cent de la population totale estimée à quatre cent mille têtes ! Mais c’est la disparition de son habitat naturel qui menace le plus sa survie. Nous parlons ici de l’herbivore emblématique de la faune sauvage, qui fascine petits et grands ! Quelle perte écologique et culturelle !
L’éléphant a besoin d’espace et de beaucoup de nourriture. Son mode de vie peut poser d’énormes problèmes aux populations locales. Il est difficile à canaliser. La dispersion des jeunes les pousse à envahir les cultures. Un spécimen déplacé à cent kilomètres peut décider de retourner à l’endroit dont on l’a délogé.
Alors que l’éléphant africain régresse partout, un pays a réussi à inverser sa courbe démographique : il s’agit du Botswana. Grâce à un programme de conservation exemplaire, 135.000 éléphants y vivent, soit un tiers de la population africaine. Hélas, le triplement de cette population en trente ans pose des problèmes ingérables, y compris écologiques. D’où la décision des autorités de ré-autoriser la chasse au pachyderme. Option cornélienne, certes limitée, qui atterre, car elle pourrait relancer le trafic d’ivoire. Mais il faut comprendre : à plus de quarante mille dollars par trophée, les riches chasseurs peuvent compenser les sacrifices consentis par le Botswana et ses agriculteurs pour sauver l’habitat de l’éléphant.
Qu’un animal promis à l’extinction redevienne chassable a quelque chose d’effarant. Quant à moi – et cela n’a rien à voir avec le sort réservé par Alain de Brunhof à la mère du petit Babar avant qu’il humanise son héro – j’ai peine à croire qu’on ait encore plaisir à tirer sur l’éléphant.