Bénédicte Sillon, psychologue clinicienne et formatrice, auteur de Les blessures d’enfance : les connaître, s’en remettre (sept 2023, éditions Mame), définit ce que sont les blessures affectives et le chemin à parcourir pour en guérir.
Bénédicte Sillon, en quelques mots
Bénédicte Sillon, psychologue clinicienne et formatrice : “Je suis maman de trois enfants et, depuis une vingtaine d’années, j’exerce mon métier de psychologue dans des environnements variés, notamment en accompagnement individuel d’adultes et de grands adolescents. Je suis également formatrice d’adultes (communication, professionnalisation des pratiques relationnelles et d’aide…) et enseignante, notamment, auprès de futurs psychologues.
Repérer la blessure affective
L’être humain est un être de relations – au point que, sans cela, le bébé se laisse mourir. De terribles expériences ont été réalisées dans l’Histoire à ce sujet.
Comment repérer que l’on porte une blessure ? Il y a d’abord des automatismes, des actions ou réactions qui surviennent malgré moi. Par exemple, je suis quelqu’un qui porte beaucoup d’attention à l’ordre. Pour autant, dans certaines circonstances, tout est en bazar chez moi, sans que je le souhaite. Ou encore, je pense être quelqu’un de convivial, chaleureux, sympathique, mais, régulièrement – c’est souvent particulièrement visible en entreprise, dans le cadre professionnel – on me renvoie que je suis quelqu’un d’hautain. Il y a donc un écart entre la réalité et ce que je souhaite (crois) être. Cet écart est souvent la manifestation d’une blessure.
Cela signifie que je me suis construit une identité qui ne correspond pas au réel – parce que je me suis adapté. Ce n’est pas que je sois fou ou hypocrite. Mais cet écart entre la représentation que j’ai de moi et de la réalité de mes comportements montre que je n’ai pas la main dessus, je ne le vois pas.
Il va donc falloir que j’apprenne à le voir, à l’accueillir, à le reconnaître avec l’aide des autres.
Mais au départ, je ne me rends pas du tout compte et je tombe des nues.
La blessure : source de déploiement de nos talents ?
La blessure peut nous aider à déployer nos talents et notre créativité, selon certaines conditions – le fait de l’accueillir, notamment.
Nombre d’artistes étaient des écorchés vifs ; ils ont fait des choses extraordinaires sans forcément avoir suivi quinze ans de thérapie. Et peut-être pourrait-on dire que c’est parce qu’ils n’ont pas fait quinze ans de thérapie qu’ils ont eu autant de génie ! Ca n’est pas complètement impossible, bien sûr, mais parfois, avec des coûts humains tant pour eux que pour leurs proches, tout sauf neutres ; la souffrance génère la souffrance…
La blessure va clairement générer une certaine sensibilité. On peut facilement le constater sur le plan somatique. Je m’ouvre avec un couteau et me fais une plaie. Au début, ça fait mal. Quand j’en prends soin correctement, ça finit par faire une cicatrice. Cette cicatrice perdure. Elle deviendra une zone toujours un petit peu plus sensible, un plus réactive que les autres zones de mon corps qui n’ont pas été blessées. De ce fait, je vais développer là une forme d’hypersensibilité, de capacité à percevoir des choses et à déployer aussi des stratégies particulières.
C’est un peu la même chose avec la blessure affective et les conséquences psychiques qu’elle induit. Elle pourra générer une dynamique positive s’il n’y a pas d’infection (trop de répétition, de précocité dans la blessure, de gravité, etc.).
Prendre soin de ses blessures, vivre avec et tenter de les guérir ou de les transformer, va mobiliser des ressources parfois incroyables, très belles, et des talents qui pourront, in fine, être mis au profit de tout le monde.
Pourquoi est-il important d’essayer d’en guérir ?
Prenons l’exemple de l’animal ; blessé, il va se retirer et tenter de guérir seul, dans son coin. Cette attitude n’est pas neutre pour le reste de l’écosystème : il y a un individu de moins dans la meute, ce qui peut créer des vulnérabilités.
Ce qui est vrai chez l’animal est – dans une relative mesure – également vrai chez l’humain.
Voilà un enfant qui ne va pas bien et qui s’enferme dans sa chambre : cela modifie l’équilibre familial. C’est douloureux pour lui, bien sûr, mais pas seulement ; on a besoin de tous, chacun a sa place, son rôle, ses relations dans les écosystèmes humains et sociétaux.
Par ailleurs, une autre réaction – rarement choisie – est l’attaque : je vais tenter de me défendre contre le sentiment de douleur et de blessure, par exemple en étant agressif ou en manipulant les autres. Ces comportements vont nuire aux autres, de façon directe ou indirecte.
Ainsi, au début des consultations, de nombreux parents me confient : « je viens vous voir parce que je crie sur mes enfants / je leur donne des claques alors que je m’étais toujours dit que je ne le ferai pas parce que j’ai vécu ça enfant. Je sais ce que ça fait et je n’ai absolument pas envie de le reproduire. Sauf que je n’arrive pas à m’en empêcher !”
Il est donc important de guérir de ses blessures pour que les générations qui suivent – nos enfants et tous ces autres enfants que l’on côtoie. On est tous responsables et contributeurs de la croissance d’une ribambelle d’enfants que l’on croise – dans la rue, dans nos interactions familiales, sociales, etc. Les blessures qui n’ont pas été travaillées, guéries, vont venir impacter ces relations avec les autres : réactions brusques, propos inappropriés, vision du monde négative, etc.
Et ça, ça pollue vraiment. Donc prendre soin de soi et donc de ces blessures, c’est une façon aussi de contribuer à un monde meilleur.
L’effet Pygmalion : kesako ?
L’effet Pygmalion a été décrit il y a une quarantaine d’années, quand on a essayé de comprendre comment des comportements surviennent par influence. L’expérience qui l’a mis en lumière a été réalisée avec des enfants scolarisés. Leurs bulletins scolaires ont été collectés en fin d’année et les appréciations en ont été modifiés.
Les bons élèves sont ainsi devenus de moins bons éléments tandis que les élèves qui avaient le plus de difficultés devenaient les têtes de classe. Ces carnets ont été remis à la maîtresse de l’année suivante, en cachant tout de la manipulation effectuée.
Et qu’est-ce qu’on a observé ? Celui qui était un bon élève s’est transformé en mauvais élève et inversement ! Le dernier de classe – dont on disait tout au long de l’année précédente que, franchement, il ne faisait aucun effort -voit ses résultats s’améliorer.
Voilà qui a mis en lumière quelque chose que l’on observe assez fréquemment : je me conforme à l’image que l’autre a de moi – notamment quand cet autre a une forme d’autorité, quand il est censé contribuer à ma croissance. Si quelqu’un croit en moi, je vais assez automatiquement et inconsciemment mobiliser mes ressources pour répondre à ces attentes positives. Et, de la même manière, je vais répondre à ses attentes négatives s’il pense que je ne suis pas capable.
C’est à la fois magique et terrible. Une chose est certaine : ça montre une fois de plus à quel point la relation à l’autre est essentielle pour se construire.
Les substituts à l’amour
Foncièrement, il n’y a pas grand-chose qui se substitue à l’amour. Une bonne nouvelle, en revanche : l’amour que je n’ai pas forcément reçu, qui n’a pas été forcément disponible à un endroit, je peux le recevoir ailleurs.
Ce n’est pas parce que mes parents m’ont abandonné, par exemple, que je suis condamné à vivre sans amour ; la présence d’autres personnes – la bienveillance d’un enseignant, d’une tante, d’un jardinier… – ne va pas remplacer l’amour parental mais allumera des parcelles de moi et qui nourriront mon énergie et noyau intérieur, de façon de plus en plus consistante.
Je suis toujours frappée lors des consultations de voir à quel point la phrase positive dite par la tante X une seule et unique fois peut être vraiment bienfaisante. Grâce à cette phrase, la vie ou la vision du monde des personnes que je reçois s’est complètement transformée.
Si je suis réparé par l’amour que je vais recevoir, il est certain que cet amour peut aussi venir de moi. Souvent, le travail qu’on réalise en thérapie permet à la personne de commencer à s’aimer elle-même.
Et à partir de ce moment-là, j’ai envie de dire, c’est un peu comme un feu, c’est-à-dire qu’on a des étincelles, puis
d’un coup, il y a quelque chose qui prend et la personne qui commence à s’aimer développe et
déploie des capacités à se faire du bien et à générer des choses positives pour elle.”
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