Par Anne Battestini. « Les Gens que l’on appelle les Français » est une étude née d’une série de questionnements sur la recherche de ce qui unit les Français aujourd’hui : les valeurs, les images, les histoires qu’ils partagent…
Des questions telles que :
1. De qui parle-t-on et à qui parle-t-on quand aujourd’hui on évoque les Français ?
2. Comment se construisent-ils ?
3. Quelles sont les représentations auxquelles ils restent attachées et qui donnent sens à leur mode de vie ?
En effet, les classements par sexe, âge, classe sociale ne rendent pas toujours compte de ce qui construit la collectivité identitaire nommée « Les Français » et comment les individus eux-mêmes construisent leur identité culturelle et sociale.
L’intérêt est donc ici de redonner des clés de compréhension de la société actuelle. En sillonnant divers lieux de France (en termes de région, structure de foyer, âge, profession…) pour repérer les invariants de ce qui constitue une forme de cohésion sociale et culturelle, au travers d’entretiens et d’un décodage sémiologique, cette analyse aborde des thématiques comme la manière dont la classe moyenne se représente culturellement, la manière dont ils conçoivent la structure sociale, leur rapport à l’argent, au travail, à la consommation…
N° 7. Media, savoirs et autres connaissances
Les medias et la consommation sont les deux lieux où l’individu expose le mieux ses propres paradoxes. En effet, il est à la fois dans la défiance par rapport à une possible manipulation des médias et du marketing mais aussi attiré pour leur forte capacité à captiver et faire s’évader dans le “lâcher-prise”.
La télévision est un bon exemple. A la fois décriée, elle est toujours autant, voire plus regardée (plus de 5 heures en moyenne par jour). Les téléspectateurs éprouvent une légère culpabilité d’être eux-mêmes futiles. Mais apprécient ces moments de partage ludiques et collectifs offerts par le petit écran : une forme de « socialisation bienveillante ».
« Je suis à fond toute la journée jusqu’à ce que les enfants soient couchés et là j’ai besoin de m’asseoir, d’avoir un moment où je ne suis pas stimulée… cela me permet de décompresser. Comme quand je regarde une série à la télé, je n’ai pas besoin de réfléchir, je regarde tout ce qui se passe à la TV. »
Comme si les deux étaient distincts, s’ils rejettent la télévision, c’est plus l’instrument de « formatage » ou de conditionnement, et moins les contenus qu’ils critiquent. Des contenus que l’on consomme de plus en plus en différé, même si l’écoute directe garde un caractère cocooning ritualisé.
Plus largement en ce qui concerne les médias et quels que soient les milieux, l’attrait pour l’information et la connaissance répond à une soif de savoir et un besoin de s’isoler (de se couper avec le flux de « sinistrose ambiante »). Grâce au développement de la technologie et de la multiplicité des sources d’informations, les Français disent rechercher et avoir de la diversité des points de vue, de l’information internationale mais aussi locale et la possibilité d’avoir des moments de lâcher prise intellectuel.
En même temps, ils reprochent l’info-obésité (trop d’informations, une actualité trop abondante), la course à l’information qui favorise le choc au détriment de l’analyse, le manque d’investigation, une parole homogène, une trop grande réactivité sans assimilation, un calendrier media qui oriente les opinions. Ils pointent aussi la sinistrose :
– des media qui véhiculent fortement l’ambiance de crise de la société actuelle,
– des images renforcées par les expériences de vie de chacun (dans leur vie et dans leur surf sur le net).
Ils se sentent en perpétuelle sollicitation sans avoir de réelle latitude d’action.
«C’est souvent super violent, les scénarios sont trash. Le silence fait du bien. … »
« Je m’intéresse à peu près à tout mais je me sens débordée par l’actualité… il y a tellement de catastrophes tous les jours que j’ai du mal à appréhender tous les problèmes… »
« C’est difficile de s’intéresser à tout. Le développement durable, les nouvelles choses que l’on peut mettre en œuvre dans notre vie »
Aujourd’hui, l’information est à disposition constante. Si l’on cherche à être informé, cela est possible. Toutes les sources d’information sont disponibles.
Nous sommes donc devant une vaste bibliothèque de textes, de sons et d’images. Mais dans ce vaste champ beaucoup restent dans l’obscurité, ne voient que la surabondance de messages. Car pour être éclairé, il faut du temps, de l’affranchissement du regard subjectif. Aussi, si beaucoup de frontières du savoir et de la connaissance ont été affranchies, peu de place a été faite à la science du discernement qui nécessite non seulement du temps mais aussi du recul et de l’objectivité. Dimensions peu en phase avec les exigences de la société actuelle qui répond au flux, à la réactivité.
Les démarches de bien-être individuel, sport, spiritualité ou autres, pour ceux qui s’y intéressent, aident à se replacer au cœur de ses propres priorités et de son flux. Elles valorisent la conscience du mouvement perpétuel de la vie et permettent de prendre de la hauteur par rapport à ce flux que l’on peut nommer « nocébo » qui véhicule des images négatives.
Anne BATTESTINI
Docteur en Sciences du Langage, Anne BATTESTINI a été enseignante-chercheure à (Université de Paris III et Paris XII) et directrice conseil au sein d’instituts d’études (Sorgem, A+A Healthcare, Ipsos Media). En 2010, elle a créé une offre d’études et de conseils indépendante : Iconics.biz.
Directement auprès d’annonceurs ou en partenariat avec des instituts d’études, régies publicitaires et agences media, elle conçoit et réalise des investigations qui cherchent à déceler ce qui créé aujourd’hui du sens et révèlent les freins et les leviers à l’adhésion d’un produit, d’un service, d’une marque.
Elle a depuis toujours à cœur de replacer l’humain au centre des problématiques. Ce qu’il ressent, ce qu’il pense, comment il se comporte, comment il se créé des quêtes, comment il se relie aux autres… et de quelles manières se construit son identité personnelle, sociale et culturelle.
En lire plus :
1 – Modèle de vie et légendes personnelles : entre pessimisme collectif et optimisme individuel
2 – sous le signe du lien, entre complexité individuelle et mixité sociale
3 – Le social et le besoin de solitude
4 – La société française sous l’œil des Français, les grands écarts
5 – Ce que les 24-35 ans apportent comme enseignements sur l’époque