Les grands prédateurs en France métropolitaine : état des lieux et perspectives #ReplayWebinar

18 Nov, 2024 | NATURE & ENVIRONNEMENT

Ours, lynx, loups… on entend de plus en plus parler de ces grands carnivores qui réinvestissent l’Hexagone, et pas toujours de façon positive. Vincent Vignon, écologue de renom, aborde ce sujet sensible et en offre des clés de lecture.

Quels grands prédateurs ont fait leur retour en France ?

Vincent Vignon, écologue : “Un grand prédateur est une espèce qui n’a pas de prédateur à l’âge adulte. On va laisser de côté ce qui se passe dans l’eau, les mers ou dans l’air et se concentrer aujourd’hui sur les prédateurs terrestres avec le lynx, le loup et l’ours.

La question de la présence des grands prédateurs est très liée à celle des grands herbivores. Ce sont leurs proies, notamment pour les plus carnivores que sont le loup et le lynx.

Focus sur le lynx

Le lynx a connu une régression importante en Europe dès la fin de l’époque médiévale. À partir de la fin du 17ᵉ siècle, l’espèce a progressivement disparu du Massif central, du Jura, puis des Alpes et des Pyrénées.

Le retour du lynx est lié à 18 programmes de réintroduction dans plusieurs pays européens – Pologne, Allemagne (au moins 5), Croatie, Italie, France – impliquant le déplacement de plus de 200 lynx.

Aujourd’hui, la population de lynx en France est concentrée à 80 % dans le Jura, mais l’espèce est également présente dans les Alpes et les Vosges, où leur présence est encore très faible. Il est difficile d’estimer précisément la population totale de lynx en France ; il y en aurait plus de 100, peut-être 150.

En ce qui concerne ses caractéristiques physiques, le lynx a une taille similaire à celle d’un chevreuil, avec des femelles légèrement plus petites. Il est nettement plus grand qu’un chat forestier et identifiable grâce à ses taches noires sur le corps, les pinceaux sur les oreilles, une queue courte…

Les empreintes du lynx sont caractéristiques des grands félins, une trace assez ronde avec le doigt interne plus gros que l’autre doigt externe indiquant par exemple un pied droit pour les traces portant le doigt le plus épais du côté gauche. Les canidés ont également 4 doigt, une trace de pas généralement plus allongée, il n’y a pas de dissymétrie des doigts externes et les griffes marquent au sol.

Le lynx est un prédateur strictement carnivore, avec une alimentation principalement composée de chevreuils et de chamois, mais il chasse également lièvres et renards ou encore d’autres espèces d’oiseaux ou de mammifères. C’est un animal territorial, avec des territoires pouvant varier de 100 à 300 km². Dans le Jura, la densité de population varie entre 0,7 et 2,5 lynx pour 100 km².

Aujourd’hui en France, le lynx colonise de nouvelles zones – la Bourgogne (une reproduction en Côte-d’Or en 2022) notamment – avec des dispersions parfois supérieures à 200 km (principalement chez les mâles). Les lynx ont tendance à se déplacer en couvert forestier, en ne s’éloignant pas souvent des lisières des forêts.

Le lynx peut parfois causer des dégâts sur les élevages, notamment de brebis ou de chèvres. Des foyers d’attaques sont apparus dans des prairies enclavées en lisière de forêt, où les troupeaux se sont trouvés plus vulnérables à la prédation du lynx.

Focus sur l’ours

La régression de l’ours a peut-être commencé plus anciennement encore que celle du lynx. En revanche, son aire de répartition a été moins réduite : le lynx avait complètement disparu d’Italie, d’Espagne et des Pyrénées, ce qui n’a pas été le cas de l’ours.

Aujourd’hui, sur notre continent, on trouve l’ours en Scandinavie, à l’ouest de la Russie, dans les Carpates – c’est là où sa population est la plus importante – les Balkans et la Grèce. On trouve également des populations en Italie et en Espagne.

En France, l’ours a bien failli disparaître avant les réintroductions qui ont été réalisée depuis 1996. Le dernier dénombrement est de 83 individus dans la chaîne des Pyrénées.

Il y a donc eu une bonne croissance de la population d’ours, mais 90 % des ours vivants dans les Pyrénées descendent de deux femelles et un mâle. On doit se poser la question du risque génétique de consanguinité qui est une menace potentielle pour la survie à long terme de la population.

L’ours est principalement végétarien, consommant jusqu’à 90 % de végétaux. Il se nourrit de tubercules, fruits (les faînes, notamment, les fruits du hêtre, qui sont disponibles jusqu’à tard dans l’hiver), plantes, miel ainsi que du labeur de l’homme (il adore les pommes, notamment !).

L’ours est un charognard efficace ; en tant que nécrophage, il participe à la décomposition et au recyclage des nutriments des cadavres d’animaux dans l’écosystème. Soit dit en passant, ces cadavres sont des ressources importantes pour la biodiversité.

En revanche, l’ours n’est pas un grand prédateur ; il peut tuer des ongulés dans certaines conditions mais c’est assez rare.

Loup, ours, et Lynx. Source de l’image : défi écologique

Focus sur le loup

Le loup était présent sur l’ensemble du territoire français jusqu’en 1800, avant de connaître une régression rapide. Au début du XXe  siècle, il n’en restait que dans quelques plaines du sud-ouest de la France, notamment dans des zones refuges, couvertes de bruyère à balais, qui s’étaient développées dans les terrains en déprise agricole liée à la disparition des paysans, décédés lors de la Première Guerre mondiale.

Le loup revient en Europe occidentale depuis les années 1990 par l’Italie (loup italien) et à partir de l’Europe centrale mais pas ou peu à partir de l’Espagne (loup ibérique). C’est en 1992, qu’il a été aperçu de nouveau en France, après une absence d’environ 60 ans. En quelques années, des loups ont parcourus tous les massifs montagneux français.

En Allemagne, la colonisation s’est faite rapidement en plaine et dans des zones très humanisées. Les loups ont bénéficié là-bas des camps militaires mis en place sur le territoire allemand à la suite de la seconde guerre mondiale. Ces espaces offrent un refuge relativement sûr et de nombreux ongulés sauvages pour la subsistance et la reproduction des loups.

La dispersion se poursuit aujourd’hui en Europe, avec des observations jusqu’aux Pays-Bas (où neuf meutes de loup ont été recensées !), la Belgique et même le Danemark. Les populations se mélangent génétiquement entre les différentes régions d’Europe. Notons que l’influence des loups en dispersion est observée dans la structuration génétique des loups d’Europe jusqu’à une distance de 850 km des populations sources, ce qui est cohérent avec les distances de dispersions élevée qui caractérise cette espèce.

Le loup est ainsi la seule espèce terrestre en capacité de mettre en relation les espaces naturels à l’échelle de l’Europe. C’est un marqueur des continuité écologique européenne.

En France, en dehors des massifs montagneux, le loup peine à se reproduire en raison des fortes pressions humaines. L’état de conservation du loup est d’ailleurs jugé insuffisant en dehors du noyau de population alpin comprenant ses marges Préalpes et Alpes provençales.

Le loup est un prédateur d’ongulés (chevreuils, cerfs, etc.), mais il peut également s’attaquer au bétail domestique, ce qui a imposé une nouvelle manière de conduire les troupeaux et de les protéger… Il est également charognard et a une grande capacité à s’adapter aux ressources disponibles sur les territoires qu’il occupe.

Pour limiter la prédation sur le cheptel, plus de 7000 chiens de protection ont été mis en place. C’est efficace même si, une partie de ces chiens occasionnent d’autres dommages, comme celle d’attaquer des marmottes ou d’autres espèces ! L’usage des chiens nécessite un apprentissage exigeant et toute leur efficacité et leur comportement sur le terrain dépend de la qualité de leur éducation.

La capacité de dispersion du loup est grande, avec des individus pouvant parcourir des distances allant jusqu’à plus de 1000 km. Grâce à cela, on a pu en apercevoir jusqu’en Bretagne ! Mais tous les individus ne se dispersent pas à de telle distance, la moyenne varie de quelques dizaines à un centaine de kilomètres.

Des aides – tant gouvernementales qu’associatives – existent pour les éleveurs ; elles sont nécessaires et complémentaires. Le programme Pastoraloup de Ferus est un exemple remarquable d’aide et de rapprochement entre la société civile et le monde de l’élevage.
La prudence, l’écoute et la nuance sont de mise pour parler de ces sujets notamment lorsque l’on n’est pas éleveur ou berger donc lorsqu’on n’est pas directement confronté à la présence de ces prédateurs et à l’insécurité que la prédation impose dans la conduite d’un élevage.
Les aides significatives, économiques et techniques, apportées par l’État ont permis de revaloriser le métier de berger en lui redonnant du sens.

En termes économiques, force est de constater que les dégâts réalisés par les grands prédateurs sont finalement assez faibles. Les filières d’élevage sont confrontées à des difficultés économiques bien supérieures comme par exemple, les abattages sanitaires réalisées en raison de prophylaxie mal gérées. Ces pertes sont très supérieures à ce que tous les prédateurs peuvent générer.

Notons encore que l’augmentation du nombre de loups de plus de 10 % par an ces dernières années – atteignant aujourd’hui un millier d’individus – n’a pas entraîné une augmentation du nombre de dommages sur les troupeaux.
L’élevage, notamment ovin, ne diminue pas en zone de présence du prédateur comme c’est le cas général en France. Il a même eu tendance à progresser dans certains massifs du fait des aides apportées à l’élevage. Il n’y a donc pas d’incompatibilité entre le maintien d’un élevage en montagne et la présence des grands prédateurs. C’est également vrai pour l’ours dans les Pyrénées et évidemment pour le lynx dans les Vosges, le Jura ou les Alpes.

Pour conclure sur les grands prédateurs

Les grands prédateurs apportent une dimension symbolique très forte aux territoires dans lesquels ils se sont maintenus ou dans ceux qu’ils ont pu recoloniser ou encore dans les espaces naturels où ils ont été réintroduits. Cette valeur symbolique est mise à profit dans de nombreuses régions d’Europe en Allemagne, Espagne, Italie. Quand cela sera-t-il possible en France pour valoriser notre patrimoine naturel ?”


Découvrir le webinar du mois d’octobre 2024 : Le cidre, mystérieux fruit du terroir, avec Matthieu Lacour-Veyranne

Je soutiens le Courant pour une écologie humaine

 Générateur d’espérance