Avec ses 73 000 m² de galeries (l’équivalent de dix stades de foot), ses 14.5 km de couloirs, ses 403 pièces, ses 10 000 marches, ses 73 ascenseurs et ses 2 000 portes, Le Louvre est l’un des plus beaux musées du monde et l’un des plus grands. À raison de 10 secondes devant chaque œuvre, des scientifiques ont d’ailleurs estimé qu’il faudrait environ quatre jours complets pour visiter le Louvre entièrement.
Or, les 9 à 10 millions de visiteurs annuels (soit 50 visiteurs par minute) sont loin de se douter que seule une petite partie des œuvres est visible. Le Musée renferme bien des trésors dans ses réserves, situées jusqu’en octobre 2019 dans les sous-sols du Palais Royal. Depuis, elles ont été déménagées vers le nouveau centre de conservation situé sur la Commune de Liévin, dans les Hauts de France. On vous raconte pourquoi.
Des collections en péril
Avec près de 35 000 œuvres exposées dans l’ancien Palais Royal du premier arrondissement Parisien et 35 000 supplémentaires affichées dans les antennes d’Abu Dhabi (Émirats arabes unis) et de Lens, le Louvre est reconnu comme un joyau de la culture française et internationale.
Or, rares sont ceux qui savent que le Louvre renferme encore plus de trésors dans ses “arrière-boutiques”. Ce sont à peine 20 % des collections du Louvre qui sont accessibles au grand public, alors que 250 000 objets supplémentaires sont conservés à l’abri des regards !
Jusqu’en octobre 2019, ces richesses étaient stockées dans plus de 60 réserves, dispersées dans la capitale ou en région parisienne, et majoritairement situées en zone inondable.
À chaque montée des eaux ou événement climatique inhabituel, les conservateurs du Musée étaient en alerte, suivant avec intérêt l’ampleur de la crue et attendant avec appréhension le signal de leur directeur, Jean-Luc Martinez, les informant de la nécessité de déménager les collections vers des zones émergées.
Pour protéger leur trésor, chacun s’employait à emballer avec soin les objets sous sa responsabilité en vue de les stocker dans des lieux plus sûrs. C’est ainsi que pour une courte période, les œuvres des réserves étaient remontées dans les salles principales du Palais Royal et côtoyaient les fameuses collections permanentes. Une fois le phénomène passé, elles retournaient sommeiller à leur place initiale.
Bien rodées, certes, mais chronophages : ces mesures de protection contre les risques d’inondation étaient coûteuses et surtout périlleuses pour ces collections, toutes plus fragiles les unes que les autres du fait de leur grand âge et de leur rareté.
La crue de 2016 attesta d’ailleurs des faiblesses dans ce protocole. L’ampleur du phénomène fut telle que “seulement” 15 % des collections (35 000 œuvres) purent être mises à l’abri au cours des 48 heures que durèrent l’aléa. Par chance, la montée des eaux n’impacta pas les sous-sols du Musée et les œuvres qui y avaient été entreposées ne furent pas détériorées.
Un déménagement nécessaire
Las de ce stress permanent et soucieux qu’un événement similaire aux crues de 2016 ne puisse se reproduire dans les années à venir, Jean-Luc Martinez et le comité de direction du Musée actèrent la nécessité de déménager les réserves du Musée dans des lieux plus adaptés à la conservation de ces joyaux du patrimoine humain.
Pendant plusieurs mois, des investigations furent menées pour choisir LE lieu idoine. Taille des locaux, conditions atmosphériques, accessibilité, sécurité, loyers… de nombreux paramètres furent étudiés. La région parisienne fut écartée, car les loyers y étaient bien trop onéreux et la superficie nécessaire bien trop grande.
La zone de recherche fut donc, petit à petit, agrandie jusqu’à atteindre Liévin, une ancienne citée minière du Pas de Calais (Hauts de France), hébergeant tout juste 30 000 habitants. L’abordabilité des loyers, l’ampleur de l’espace disponible, l’accessibilité du site et surtout la proximité du lieu avec l’antenne de Lens convainquirent les dirigeants du Musée et le Ministère de la Culture.
Un accord de coopération entre le Ministère de la Culture, le Musée du Louvre, la Région Hauts de France et la Communauté d’Agglomération de Lens-Lévin fut signé en mai 2017 et les travaux débutèrent en décembre de la même année.
Un choix tant controversé qu’acclamé
Bien que jugé nécessaire par beaucoup, ce déménagement fut le sujet de nombreuses controverses au sein de la communauté scientifique.
Craignant que la localisation des nouvelles réserves ne soit néfaste à la bonne continuité de l’activité et surtout aux démarches de recherches initiées dans les sous-sols de l’ancien Palais Royal, de nombreux chercheurs contestèrent ce choix. Signée par plus de 42 conservatoires, une lettre ouverte fut envoyée au Ministère de la Culture, à laquelle fut très vite jointe une pétition de protestation soutenue par plus de 2 700 chercheurs.
Ces revendications peuvent se comprendre, car comme le dit l’un des pétitionnaires, “les réserves d’un musée, c’est un peu comme les cuisines pour un restaurant ou les coulisses pour un théâtre, on n’imagine pas éloigner les coulisses d’un théâtre de 200 km…”
La nouvelle fut accueillie bien différemment dans la commune de Liévin, qui vit en ce déménagement une manière de redynamiser son territoire marqué économiquement, socialement, paysagèrement et culturellement par la fin de l’industrie minière.
De fait, entre 1960 et 1970, 0 des 67 puits de charbon de la ville furent fermés, plaçant dans la précarité près de 43 % des actifs locaux.
Et le coup de grâce fut porté le 27 décembre 1974, lorsqu’un coup de grisou (explosion accidentelle de gaz dans une mine) emporta 42 mineurs et conduit la commune à arrêter définitivement son activité minière. La décadence initiée par la récession s’accentua, le taux de chômage ne cessa d’augmenter, atteignant certaines années 30 % de la population de la commune et conduit une partie des habitants à déserter.
Les cicatrices de cette période sont encore bien visibles sur les murs de la ville, comme l’illustre le clocher de l’église, qui affiche l’heure exacte à laquelle le fameux coup de grisou a eu lieu, portant un coup fatal à la quiétude de la ville de Liévin, ou encore par les corons laissés à l’abandon.
C’est d’ailleurs sur l’un de ces anciens quartiers que les nouvelles réserves du Louvre ont été construites en 2019. Cédé pour 1€ symbolique à l’État français, la commune a ainsi pu purger ce lieu des vestiges d’une époque meurtrie.
Un lieu de stockage unique au monde
Dessiné par le cabinet d’architectes britannique Rogers Stirk Harbour + Partners, le centre de réserve du Louvre a été conçu pour devenir l’un des pôles d’étude et de recherche le plus important d’Europe. On doit, notamment, aux architectes britanniques le 122 Lendenhall building, l’un des plus hauts gratte-ciels de la City Londonienne ou encore le terminal A3 du Taoyuan Airport de Taïwan.
En plus de ses réserves exceptionnelles, le vaste quadrilatère de 18 500 m² abrite un espace de 1 700 m² dédié à l’étude et au traitement des œuvres. Chercheurs, archéologues et historiens d’art peuvent y consulter les œuvres et approfondir leurs recherches.
Le déménagement a également permis une numérisation complète des collections des réserves, en vue d’une intégration dans le nouveau catalogue numérique nommé “Collections en ligne”, successeur de la célèbre mais archaïque base Atlas, qui devrait voir le jour au printemps 2021.
Visiteurs, enseignants, étudiants… pourront consulter, via cette plateforme Internet, l’intégralité des collections affichées dans le Louvre et ses antennes ET celle des réserves.
Ce déménagement a donc permis de rendre accessible, tant physiquement que numériquement, des trésors inconnus, en plus de sécuriser les collections.
Qu’en est-il un an après ?
Depuis l’inauguration du site, le 8 octobre 2019, plus de 80 000 objets sont déjà arrivés à Liévin. Ainsi, en 124 voyages de semi-remorque, 300 conservateurs aidés de 2 000 agents du Musée ont pu déménager un tiers des réserves. C’est bien loin des 150 000 initialement prévus, mais les grèves de décembre et janvier ainsi que le confinement du printemps 2020 ont quelque peu mis à mal ce planning ambitieux.
Mais si la direction du Musée a dû revoir le programme, elle n’en a pas pour autant changé l’échéance : l’objectif d’avoir déménagé les 150 000 œuvres des réserves inondables ainsi que les 100 000 pièces des réserves externalisées ou non-inondables est bien maintenu à décembre 2024. Les équipes tentent donc, dans la mesure du possible, de garder le rythme et tenir les délais.
Pour aller plus loin
Cette aventure vous intéresse ? N’hésitez pas à visionner le reportage d’Arte “La Seine, un danger pour l’Art” : il vous en apprendra encore plus sur l’un des plus grands déménagements jamais réalisés !
Sources