Marie, journaliste, revient sur le Pénélope Gate et propose une réflexion sur ce que ça dit du métier de journaliste.
“Le 27 novembre dernier, comme 66 % des participants à la « primaire ouverte de la droite et du centre », j’ai voté pour l’ancien maire de Sablé-sur-Sarthe. Et puis j’ai contemplé, pantoise, la chute par paliers du « presque-roi ». Chaque heure qui passe, c’est une marche descendue dans l’escalier si durement gravi des sondages. J’ai alors repensé aux heures de file d’attente pour mettre mon bulletin dans l’urne, à mes deux euros pour contribuer à l’organisation de la campagne, au suspense devant ma télé en attendant les résultats… Tout ça pour ça ! Le Canard Enchaîné* est allé patauger dans la gadoue des usages abusifs de fonds parlementaires. Dans son édition du 25 janvier, il titre : « Les 600 000 euros gagnés par Pénélope qui empoisonnent Fillon ». Et puis, la sentence tombe : Monsieur Fillon, vous avez utilisé vos proches pour vous approprier des fonds publics, c’est mal.
Le Pénélope Gate illustre à merveille la thèse de Julia Cagé, Normalienne, titulaire d’un doctorat à l’université de Harvard et professeur à Sciences po Paris. Dans Sauver les médias. Capitalisme, financement participatif et démocratie*, elle défend l’idée selon laquelle La société de médias à but non lucratif est le seul modèle qui garantit l’indépendance des journalistes, garants du bon fonctionnement de la démocratie. Ces héros qui tombent le masque des hommes politiques vantant leur probité tandis qu’ils traînent des casseroles. Alors il faut les protéger en sacralisant l’actionnariat de leurs journaux. « De même qu’une véritable démocratie ne peut survivre au financement de sa vie politique par un petit nombre d’individus aux ressources infinies, de même les médias, garants de la qualité du débat démocratique, ne peuvent être placés sous influence exclusive de millionnaires aux poches sans fond. D’où la nécessité de penser, au-delà du pluralisme des titres de presse et des chaînes de télévision, le pluralisme de la propriété des médias : un actionnariat multiple, diversifié, où la majorité des droits de vote ne soit pas entre les mains d’une minorité d’individus. » Vous aurez comme moi fait le rapprochement… Le Canard Enchaîné, instigateur du Pénélope Gate, est le seul journal français financé exclusivement par ses lecteurs et détenu par ses auteurs et ses fondateurs. Une exception de l’histoire. Un rescapé d’Hachette et de Patrick Drahi.
Pourtant, l’indépendance ne fait pas tout. Elle n’est qu’un cadre de travail. Elle n’est pas le talent, ni l’honnêteté. On peut être journaliste indépendant financièrement… et partisan ! On peut posséder son média et être idéologue. L’autonomie financière permet d’écarter les influences malsaines d’actionnaires ou d’annonceurs, mais elle ne fait pas un honnête journaliste.
Un enquêteur qui sévit pour le compte d’un média indépendant n’est pas un justicier. Oui il peut, il doit même puisque c’est son rôle, dénoncer ceux qui usent abusivement des lois, à condition de viser le bien commun. Vouloir abolir une loi, obtenir le remboursement de fonds publics injustement perçus, ce n’est pas la même chose que provoquer la chute d’un homme ou d’un parti. Certes la tentation est forte, dans un contexte de campagne présidentielle, de camoufler un engagement partisan derrière un acte de bravoure démocratique. Pourtant, c’est malhonnête. Les écoles de journalisme ne sont pas le lieu où l’on défend de telles positions. Alors il reste quelques bastions où l’on apprend encore l’honnêteté intellectuelle et le respect des autres. L’école et la famille.”
* Le Canard Enchaîné. Édition du 25 janvier 2017.
*Capitalisme, financement participatif et démocratie. Julia Cagé. La République des idées, Seuil. 11,80 €.