Gérard Langlois Meurinne, psychiatre, psychothérapeute et membre du CEH propose régulièrement une chronique du Mycelium, réflexion axée sur l’écologie humaine. Il s’agit cette fois d’un conte sur un chemin intérieur.
Vous en souvenez-vous, chers lecteurs ? Dans ma dernière chronique, je vous contais ma mésaventure avec Para Noia, la petite sœur assez folle de Meta Noia. Para m’avait joué un tour du style « ça lui apprendra ! » et j’étais presque devenu « maboul ». L’intention n’était pourtant pas mauvaise et l’expérience m’a beaucoup appris sur mes peurs, méfiances et doutes. Et, comme vous, lecteurs, j’ai souvent remarqué que la vie aimait nous surprendre de mille façons pour nous faire toujours découvrir et apprendre… mais « pour quoi faire », avons-nous envie de lui demander ? Si la vie parlait, elle nous répondrait probablement : « pour mieux que tu m’apprécies, mon ami ». Elle nous joue donc plein de tours et détours : passions, chutes, extases, épreuves, amours, farces, trahisons, émerveillements et accouchements de toute sorte. « Apprends et grandis encore et encore », nous suggère-t-elle !
Je ne veux plus mépriser cette jeune folle qu’est Para Noia, mais je brûle d’envie de fréquenter sa sœur Meta Noia. On m’en a dit tellement de bien ! : elle serait, parait-il, inspiratrice du « changement de vue », ou du « renversement de la pensée », autant dire que Meta est la muse de la « transformation intérieure » : c’est elle qui nous fait avancer au cœur du monde et fait avancer le monde au cœur de nous.
Mais d’abord, rappelez-vous : Para, en me quittant, m’avait bien précisé que ce serait à moi de reconnaître sa grande sœur Meta, restant toujours incognito. Ma quête allait avoir quelque chose d’excitant !
Je me mis donc à la recherche de Meta Noia. Meta était peut-être cette avenante vendeuse ou cet aimable plombier ou encore ce sympathique épicier ? A force, je finissais par trouver tout le monde pas mal du tout. La race humaine s’améliorait finalement au fil des générations, comme je le rêvais dans mon enfance. Je dois dire que cette interrogation subtile et constante de mon âme face aux âmes qui m’entouraient réenchantait bellement le monde dans lequel j’évoluais, « Ne serais-tu pas Meta ? » semblais-je les questionner tous les jours. Mon monde (le monde ?) était en train de se « Meta-morphoser » mais avec le temps j’ai fini par revenir à ma vie d’admirations et de dédains habituels. Rien de spectaculaire, rien de triste… mais une certaine pauvreté banale que vous pouvez imaginer.
Finalement, une nuit j’ai rêvé que Meta m’avait déjà visité. J’avais alors une piste : C’était en moi que j’avais à trouver Meta et non pas à l’extérieur. Une autre quête m’attendait : chercher dans mon monde intérieur les traces et les souvenirs qu’elle avait déposés.
Alors, je vais vous conter trois de mes rencontres avec elle. N’en attendez rien d’extraordinaire : autant je suis trop fier, autant Meta sait rester humble et discrète.
Première rencontre : « Rassembler les vivants »
En ce jour de Toussaint, nous étions peu nombreux, réunis au petit cimetière de Gardedeuilh pour fêter nos morts. Une femme venait pour la première fois, une métisse qui nous était inconnue et qui prit les choses en main. Autant j’ai oublié ses prières et paroles, autant reste présent tout le reste : chaleur et ferveur exprimant le recueillement, l’émotion et la tristesse et qui disaient en même temps la vie avec pudeur et délicatesse. Nous l’avons ensuite emmenée vers la tombe d’une personne sans famille et qu’elle ne connaissait pas. Elle s’est comportée comme une parente éloignée à laquelle on raconte ce qui s’est passé en son absence. Depuis, je songe avec bonheur à ce moment vécu là-haut dans notre cimetière : loin d’être un temps de simple devoir accompli, ce fut un temps de rassemblement des vivants, comme si l’esprit de Meta nous réunissait avec une grande simplicité… ayant un goût d’éternité.
Deuxième rencontre : « Semer de la bienveillance » :
J’étais parti marcher au bord de la mer. Tout se présentait bien et pourtant je me suis réveillé mécontent de moi : j’avais été désagréable avec la personne qui m’avait hier indiqué mon chemin. Depuis quelques temps, la même scène en apparence justifiée se répétait. Broutilles, diraient certains, mais pour moi, le chauffeur de VTC qui modifiait le parcours ou l’agent SNCF qui ne pouvait me renseigner ne me semblaient pas respectueux. Et cela me donnait l’envie irrésistible de leur faire la leçon.
Le côté vain de mes réactions m’a ce matin-là sauté aux yeux : il était évident que si j’étais vraiment juste, je serais bienveillant avec ces personnes qui étaient souvent dépassées comme moi par les impératifs du « système ». Et, petit miracle, une sensation de bonheur profond m’a alors envahi. Leur parler juste, mieux considérer les gens et, pourquoi pas, « semer de la bienveillance », cela changerait tout ! A l’évidence, non seulement ces personnes se sentiraient mieux mais finalement j’en serai le premier bénéficiaire. C’est comme si j’allais vivre dans un monde « nouveau », monde devenant intéressant dans ses petits détails, monde d’échanges nexcluant pas la critique juste, monde plus « habité » d’une humanité vivante au quotidien.
Quels résultats, me direz-vous ? : magnifiques au début puis assez décevants par la suite (j’oubliais ou je n’y arrivais plus) et puis peu à peu je sens une » bienveillance active » s’intégrer en moi dans la durée. J’apprends par « essais et erreurs » avec un goût de bonheur qui se renouvelle. C’est bon signe : ce n’est pas une utopie ! J’essaye même « d’échanger de la bienveillance » comme on échange un propos, un regard.
Meta, encore une fois merci car tu m’inspires et tu me guides.
Troisième rencontre : « Vivre le ciel sur la terre »
La montagne. Des chapelles baroques, dont certaines se penchent pour s’agenouiller devant le Mont Blanc. Un art riche et joyeux dans un pays plutôt rude. Croyant connaitre cet art baroque, je l’ai redécouvert récemment lors d’un festival de musique et ce fut comme une révélation, Merveilles des couleurs et sonorités s’alliant pour susciter l’allégresse ! Résonances entre peinture, architecture, musique, entre âme, corps, esprit ! Me revint alors une expression que j’ai vraiment comprise : montrer « le ciel sur la terre », voilà le sens profond de l’art baroque. Je vois cet art comme intemporel, et l’art ne prêche pas, il ne philosophe pas. Il montre, il éveille, pénètre, il réjouit et parfois il élève. Ainsi le ciel s’offre à nous, êtres terrestres, dans ces lieux de hauteur et de recueillement. Parlons en langage plus universel que religieux : nous sommes pétris de terre et illuminés de ciel mais, trop souvent, nous dissocions ces deux sphères.
Merci à toi, Meta, muse qui préside et participe à ce mystère du « ciel sur la terre » que nous portons au tréfonds de nous.
Vivre le « ciel sur la terre » ?
En ces temps immensément troublés, certains de mes amis lecteurs, je vous sens dubitatifs. Et pourtant : je songe à nos ancêtres de l’époque baroque qui ont chanté le ciel sur la terre tout en survivant à des guerres, famines et épidémies. Et pourtant : je vois aujourd’hui autour de nous des portes et des cœurs qui s’ouvrent, des amis qui se confient un peu plus, des parents qui se rapprochent, des aspirations nouvelles pour le futur qui apparaissent et osent enfin se dire. Ensemble prenons le temps qu’il nous faut pour s’occuper de nos peurs, peut-être de nos tristesses et pour assurer notre survie. Voyons en même temps le ciel, la vie et le printemps qui arrive car « le printemps ne sait pas » qu’il y a crise, comme le dit le poète. Pourquoi ne pas choisir cette période pour rencontrer notre Meta Noia, humble, discrète et invisible, et tout autant forte, résiliente et guidante ?
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