L’énergie nucléaire : beaucoup d’idées reçues, de méconnaissance et d’inévitables associations à de tristement célèbres accidents – Tchernobyl, Fukushima. Bernard Fourest, consultant en sûreté nucléaire, fait le point et explique les nouvelles caractéristiques qui garantissent la sûreté des EPR nouvellement construits.
“L’analyse des accidents passés et le partage d’expériences au niveau international sont deux éléments clef pour une réduction maximale du risque nucléaire.”
À propos de Bernard Fourest
Ingénieur ESPCI (86e promotion, diplômé en 1971), Bernard Fourest a travaillé au cours de ses 40 ans de carrière pour les principaux acteurs du nucléaire français : AREVA, le Commissariat à l’Énergie Atomique, l’IRSN et EDF.
En parallèle, ses activités se sont développées à l’international où il a pu nouer des contacts approfondis tant auprès d’organismes internationaux comme l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) et l’Agence de l’Énergie Nucléaire (AEN) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qu’auprès des industriels et des Autorités de Sûreté de nombreux pays.
En particulier, de 2006 à 2011, il a présidé le groupe Sûreté des Réacteurs d’ENISS, l’organisation des exploitants nucléaires européens qui œuvre pour l’harmonisation des règles de sûreté en Europe.
L’énergéticien a donc participé à l’échelle internationale aux efforts visant à améliorer la sûreté de la technologie nucléaire.
Les leçons tirées du passé
Les trois accidents majeurs de la production nucléaire sont chronologiquement Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima.
Ces événements ont permis d’énormes avancées en termes de sûreté nucléaire au cours des cinquante dernières années. Jusqu’alors, on envisageait la sûreté sous un angle technique, voire architecturale ; ces incidents ont montré l’importance du facteur humain. Il s’agit donc aujourd’hui de prendre mieux en compte les aspects managériaux et organisationnels et de s’assurer que les structures conservent la sûreté comme priorité absolue (avant les raisons politiques ou économiques, notamment).
Par ailleurs, on a pu remarquer l’impact de l’ergonomie des salles de contrôle des centrales nucléaires sur la manière dont les techniciens perçoivent les incidents émergents. La conception de ses salles, inspirée des bonnes pratiques internationales, a donc nettement évoluée.
Autre élément d’importance : la nécessité d’avoir une autorité de sûreté – tant nationale qu’internationale – qui soit indépendante des gouvernements. L’analyse des accidents passés et le partage des expériences au niveau international, aussi bien entre exploitants qu’entre autorités de sûreté, sont deux éléments clef pour une réduction maximale du risque.
Le nucléaire, une technologie dangereuse ?
Si les incidents comme Tchernobyl ont véhiculé une image dangereuse du nucléaire, ils ont aussi permis d’en augmenter la sûreté. L’utilisation militaire de l’atome a également créé une confusion entre la bombe et la centrale nucléaire dans l’imaginaire collectif.
Un manque de compréhension scientifique doublé d’une histoire chargée d’incidents a généré de forts antagonismes au sujet du nucléaire. Il faut aussi reconnaître que certains acteurs, notamment dans le secteur pétrolier, ont su tirer avantage de la peur générée par la technologie nucléaire.
Fabrication d’EPR : plus sûrs aujourd’hui ?
L’EPR de Flamanville se distingue des centrales précédentes en ce qu’elle comporte de nouvelles caractéristiques de sûreté. La conception de l’EPR prend en compte le risque de fusion du cœur qui pourrait générer du corium capable de percer la cuve, puis la dalle de béton de l’enceinte du réacteur, ce qui provoque alors une contamination de l’environnement extérieur. La cuve comporte donc un récupérateur de corium qui, en le refroidissant, sécurise cet élément et le conserve à l’intérieur. Par ailleurs, une coque en béton recouvrant le bâtiment réacteur et ses auxiliaires les protège contre d’éventuelles chutes d’avions.
La difficulté du chantier de la centrale de Flamanville vient principalement de la délocalisation et de l’évolution du tissu industriel spécialisé en nucléaire. Les industriels ne perçoivent plus l’intérêt d’investir dans ce secteur dont l’avenir semble incertain ; ce manque de perspective démotive. D’autant qu’après une quinzaine d’années d’inactivité en France, nous avons perdu une partie de notre savoir-faire.
La décision de programmer six EPR est une bonne nouvelle. Un effet de série est indispensable pour redémarrer le secteur de l’énergie nucléaire. En Angleterre, par exemple, on construit les centrales deux par deux. Mais pour rester terre-à-terre, l’unique question qui demeure sur ce projet est celle des capacités humaines et financières : en avons-nous suffisamment pour le mener à terme ? C’est un véritable défi pour EDF et l’ensemble de la filière industrielle.
Doit-on nourrir des espoirs concernant la fusion nucléaire ?
Il faut faire la part des choses entre les connaissances scientifiques sur la fusion nucléaire et les possibilités d’application industrielle. Pour cette dernière, est évoquée comme horizon l’année 2050 ; mais déjà en 1974, on croyait que la fusion nucléaire serait industrialisée en 20 ans.
Aujourd’hui, nous construisons pour 30 milliards d’euros un réacteur à Cadarache qui ne sera pas prêt avant 2030. Ce réacteur ne servira pas à produire de l’électricité mais uniquement à réaliser des expériences. Je ne crois personnellement pas à la possibilité de produire de l’énergie grâce à la fusion nucléaire !
Quelle gestion des déchets nucléaires ?
Parce qu’elle a lieu en continuité depuis 20 ans, on a su conserver le savoir-faire de la gestion des déchets. Plusieurs choses à savoir sur le sujet.
- 95 % du volume de déchets représente 5 % de l’activité. Ce sont des déchets à vie courte que l’on stocke dans un site dans l’Aube. Ils seront revenus au niveau de l’irradiation naturelle d’ici quelques centaines d’années.
- Les 5 % restant concentrent 95 % de la radioactivité. Ces déchets-ci sont vitrifiés et on prévoit de les stocker dans un site géologique à Bure, dans la Meuse. Le site sera profond d’environs 500 mètres et les déchets pourront en être extraits, si nécessaire, pendant les 100 prochaines années. Au terme de cette période, la cavité sera bouchée et ces déchets à vie longue y resteront jusqu’à que leur activité radiative ait complètement disparu.
Pour poursuivre votre lecture sur les énergies de demain: https://www.ecologiehumaine.eu/methaniseur-compiegne/