Observer les oiseaux : une méthode de réenchantement du monde

26 Sep, 2023 | NATURE & ENVIRONNEMENT

Jean-Noël Rieffel, Directeur de l’Office français de la biodiversité de la région Centre-Val de Loire, auteur de « Éloge des oiseaux de passage, journal d’un ornithologue un peu perché » (Éditions Équateurs, 2023), propose de lever le nez pour s’intéresser d’un peu plus près à nos voisins à plumes. Attention : en faisant cela, un monde sauvage et enchanteur va s’ouvrir à vous !

Il nous faut réapprendre cette expérience de la nature. Nous l’avons perdue en devenant de plus en plus urbains, connectés et épileptiques vis-à-vis de notre rapport au temps. Notre époque moderne nous fait souffrir en prônant écrans, réalité augmentée, intelligence artificielle ; elle ignore trop le silence, la patience, la concentration et la contemplation.

Jean-Noël Rieffel

Jean-Noël Rieffel en quelques mots

« Vétérinaire de formation, je suis aujourd’hui au service du Ministère chargé de la transition écologique et j’ai la chance de diriger, pour la Région Centre-Val de Loire, les équipes motivées et d’un grand professionnalisme de l’Office français de la biodiversité, établissement public chargé de préserver et restaurer la biodiversité, qu’elle soit aquatique, terrestre ou marine.

Je viens de réaliser un des projets qui me tenait à cœur : écrire et être publié aux Éditions des Équateurs, un livre intitulé Éloge des oiseaux de passage, journal d’un ornithologue un peu perché, nos amis à plumes étant l’une des grandes passions de ma vie.

Observer les oiseaux, une école d’ouverture des sens

L’ornithologie, c’est l’école du regard et de l’ouïe ; observer les oiseaux est une expérience multisensorielle. Nous devons garder nos sens à vif, en éveil : si la vue est importante, développons une approche auditive pour identifier, à leurs chants et leurs cris, certaines espèces qui ne se montrent pas facilement. Quand on a l’oreille musicale, c’est encore mieux !

Par ailleurs, il nous faut revenir à des postures qui se perdent dans notre époque moderne effrénée : ralentir le pas et attendre, savoir être patient, immobile, rester concentré, dans le silence et à l’affût. Replaçons notre humanité au sein de la nature, en contemplation ; il n’y a pas de secret : c’est seulement de cette façon que l’on verra passer des animaux, dont des oiseaux.

Retrouvez notre entretien avec Jean-Noël Rieffel en podcast

Pourquoi les oiseaux chantent-ils ?

Le chant est majoritairement l’apanage des mâles ; ils chantent pour des raisons biologiques : délimiter leur territoire, charmer la femelle et pouvoir se reproduire. 

À ce sujet, des études scientifiques ont démontré que certains individus développaient des capacités de chant incroyables : on y retrouve des imitations (de sons anthropiques, parfois !) et des enrichissements multiples et variés. Les mâles aux sifflements les plus extraordinaires auront – de fait – plus de facilité à s’apparier à une femelle.

Le chant des oiseaux nous conduit au bien-être

Notre monde est moins en moins silencieux : des études ont démontré que les lieux dénués de bruits anthropiques sont de plus en plus rares. Cette stimulation sonore permanente, notamment dans les grandes métropoles, provoque chez l’être humain stress, augmentation de la tension artérielle, maladies cardiovasculaires, etc.

Or, quand vous écoutez les oiseaux, à l’écart du vacarme du monde, cette musique de la nature génère immédiatement un profond bien-être et diminue les effets mentionnés ci-dessus.

Les oiseaux chantent davantage à l’aube parce que c’est le moment où le calme est le plus important, il y a moins de bruit de fond et ils sont le plus facilement audibles par leurs congénères. Leurs chants sont liés à la photopériode ; ils se remettent à chanter en février / mars, lorsque les jours rallongent (c’est le cas du merle).

Quelle merveille, d’ailleurs, que ce chorus matinal ! Tous les instrumentistes ont leur séquence. Au printemps, le rougequeue initie dès 4 heures du matin, suivi du merle, du rouge-gorge, de la mésange puis de la tourterelle… Et on arrive petit à petit à un magnifique cortège ! C’est le chant de la Terre qui s’offre alors à nous, un véritable baume sonore, réparateur. Quel délice de se réveiller avec cette musique dans les oreilles !

Quelques techniques pour approcher les oiseaux

Il existe de petites astuces pour attirer les oiseaux ; on peut, par exemple, émettre un bruit – le pishing  – qui imite les cris d’alarme de certains oiseaux émis lorsqu’un prédateur est présent. En période de reproduction, cette technique fonctionne particulièrement bien auprès des mésanges et des fauvettes. Elles viennent découvrir d’assez près quel individu produit ce son-là, inquiètes, sans doute, de la présence d’un prédateur potentiel qui viendrait accaparer leur nichée.

La repasse est une autre technique (devant être utilisée avec parcimonie) : elle consiste à émettre le chant d’un oiseau à l’aide d’un téléphone ou d’une enceinte. Et l’oiseau, s’il est présent, va répondre : il aura identifié un congénère faisant intrusion. L’oiseau provoqué va venir se percher à proximité et se mettre à chanter : là est son territoire !

Sur quels outils s’appuyer pour se transformer en ornithologue ?

Il faut sans doute commencer par un bon guide d’identification. Aux éditions Delachaux et Niestlé, Hachette, Larousse, on en trouve de bien faits et joliment illustrés. Photos ou dessins permettent de se familiariser avec les espèces que l’on peut rencontrer à proximité de chez soi.

Autres outils indispensables : une paire de jumelles – pour repérer les oiseaux, leurs couleurs, attitudes, etc. – ainsi qu’un carnet et un crayon – pour retranscrire sur le vif ses observations sur le comportement de l’oiseau et son ressenti. Il peut être utile d’avoir un appareil photo avec un téléobjectif ou un zoom pour immortaliser certains oiseaux : décortiquer les photos permet de mieux identifier l’espèce.

J’en profite pour rappeler que la photographie naturaliste est un art magnifique mais qu’elle doit se faire dans le respect des espèces ; il s’agit de pas les déranger, notamment en période de reproduction.

Les pratiques à éviter quand on interagit avec les oiseaux

Il ne faut en aucun cas nourrir les oiseaux toute l’année ; ils ne doivent pas devenir dépendants d’une source alimentaire artificielle, au risque de les rendre incapable de trouver la nourriture par eux-mêmes. Les graines doivent donc être réservées à la période hivernale, quand la ressource alimentaire se raréfie.

Cette pratique est d’autant plus à éviter quand on sait qu’en agrégeant différentes espèces d’oiseaux sur une même mangeoire, on augmente les contacts entre elles, ce qui favorise la circulation de virus mortels (variole aviaire).

Retrouver l’esprit sauvage

Je trouve les propos de Baptiste Morizot, enseignant-chercheur en philosophie, très justes : nous traversons une
crise de sensibilité au vivant. Cette perte de connexion à la nature est manifeste. Si la nature sauvage n’est pas évidente à trouver aujourd’hui, on peut quand même facilement passer une nuit en forêt, près de chez soi, par exemple. C’est une expérience très enrichissante, à la portée de tout le monde. Sommes-nous encore capables de cela ? En coupant les téléphones, en prenant de la distance avec tous nos écrans, nos notifications et nos actualités sur les réseaux sociaux ?

Il nous faut réapprendre cette expérience de la nature. Nous l’avons perdue en devenant de plus en plus urbains, connectés et épileptiques vis-à-vis de notre rapport au temps. Notre époque moderne nous fait souffrir en prônant écrans, réalité augmentée, intelligence artificielle ; elle ignore trop le silence, la patience, la concentration et la contemplation.

Cette crise de sensibilité me semble problématique. Plantons, au contraire, dès le plus jeune âge, les graines d’émerveillement pour le vivant dans la tête de nos bambins ! Apprenons dès l’enfance à faire l’école buissonnière ! Aller ramasser des crabes à marée basse, regarder ce qui se passe sous les rochers, écouter au printemps, en forêt, les oiseaux chanter, etc. ! La nature se sent, se regarde, se touche et s’écoute : nos enfants en ont un besoin crucial.

L’émerveillement est essentiel ; c’est le premier pas vers le respect : si nous sommes indifférents à la nature, si elle ne nous traverse pas d’émotions, comment pourrions-nous être en mesure de la respecter dans nos actes quotidiens, dans nos manières de nous nourrir, de nous loger, de nous déplacer ? Nous devenons alors incapables de la protéger.

Quand la nature diffuse un nouveau rapport au temps

Nous sommes dans un processus d’accélération permanente de nos vies. Paul Virilio, urbaniste et essayiste français, et Hartmut Rosa, sociologue-philosophe allemand, notamment, l’ont parfaitement pensé. Et pourtant, nous continuons d’accélérer toujours plus, avec une obsession : gagner du temps.

Or, ce temps que nous cherchons à gagner nous fait perdre en saveur de l’existence.  La contemplation des oiseaux m’a rendu le temps en offrande. C’est un éloge de l’attente, un approfondissement de la patience. Vous pouvez rester des heures devant un buisson en espérant l’éclat d’une aile et ne rien voir, finalement. Mais vous aurez été en communion avec la nature. Et puis, à un moment, un oiseau apparaîtra : si c’était l’oiseau convoité, vous tomberez dans une sidération émotionnelle. Plus l’attente aura été longue, plus le moment sera savoureux. Combien de fois ai-je éprouvé cela !

Dans ce rapport au temps, il y a une forme d’ermitage, d’ascèse qui est rude, dont on n’a plus l’habitude dans notre modernité qui prône le « tout, tout de suite ».

Contempler les migrations : grande leçon d’humilité

C’est une grande leçon d’humilité que de contempler les migrations. Voir ces oiseaux capables de parcourir des distances incroyables, parfois sans se poser… c’est fabuleux ! Et chaque année, elles réapparaissent à la même époque !

Il y a bien quelques changements à cause du réchauffement climatique – certaines espèces en pâtissent plus que d’autres – mais ce sont de grands cycles biologiques qui reviennent et nous dépassent complètement. Ces migrations me rassurent, au fond : nous ne maîtrisons pas totalement les secrets de la migration des oiseaux ; la vie continue et ces grands phénomènes biologiques nous relient au mystère de la création.

La sterne arctique est l’oiseau qui parcourt la plus grande migration : elle relie les deux pôles – arctique, antarctique. C’est donc l’oiseau qui voit le plus le soleil au cours d’une année !

Autre oiseau incroyable : le martinet qui parcourt chaque année plus de 10 000 kilomètres, pour aller de France en
Afrique et revenir à nouveau, après l’hiver. Comme la sterne arctique, c’est un oiseau qui ne se pose quasiment jamais. Il va jusqu’à dormir en volant !

Le syndrome du changement de base

Le syndrome du changement de base est le syndrome de l’oubli de l’abondance passée de la biodiversité. Nous avons tous un rôle à jouer pour lutter contre cette forme d’amnésie écologique, à cette acclimatation des êtres humains – de génération en génération – à la dégradation de la biodiversité.

Nous vivons une crise majeure de l’érosion de la biodiversité : elle va très vite, plus vite que ce que l’on pouvait imaginer. Déjà 800 millions d’oiseaux ont disparu en l’espace de 40 ans en Europe…

Je pense donc qu’il faut développer une présence plus fraternelle avec les oiseaux, insectes, etc. Le sort de l’humanité est intimement lié au leur. Ils sont les vecteurs de la beauté et de la poésie du monde. Leur apparition est toujours, à mes yeux, un surgissement de grâce. Laissez-vous donc ravir par nos amis les oiseaux !


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