PAÏS, une initiative qui lutte contre les déserts médicaux

28 Avr, 2021 | FAMILLE, SOLIDARITÉS & SOCIÉTÉ, MÉDECINE, TERRITOIRES VIVANTS

Dans le cadre du forum Territoires Vivants 2021, Solweig Dop, déléguée générale du Courant pour une écologie humaine, a interviewé Patrick Expert, co-fondateur de PAÏS, une initiative qui lutte dans les territoires pour prendre soin au mieux des patients qui en ont besoin.

Solweig Dop : Patrick Expert, vous êtes directeur d’hôpital honoraire au Centre hospitalier Simone Veil de Blois et consultant et cofondateur du dispositif PAÏS – Plateforme Alternative d’Innovation en Santé. Ce dispositif a un bel objectif : lutter contre les déserts médicaux.

Avec l’autre cofondateur de Païs, le docteur Isaac Gbadamassi, vous venez du Loir-et-Cher. C’est là qu’au début des années 2000, tous les deux, vous faites face à une progression constante des passages aux urgences. Et vous prenez conscience que ce service des urgences est devenu le seul recours pour de nombreux patients présentant des pathologies relevant de la médecine générale. Il me semble que c’est cela qui vous a donné l’idée de mettre en place Païs.

Peut-être pouvez-vous nous raconter les origines du projet et comment, aujourd’hui, il fonctionne concrètement ?

Patrick Expert : “Effectivement, le constat de départ que j’avais fait avec ce médecin hospitalier qui exerçait, comme moi, au Centre Hospitalier de Blois, était un afflux de patients aux urgences.

On a fait une estimation (qui n’est pas propre à Blois) : près de 60 % des passages aux urgences hospitalières ne relèvent pas du monde hospitalier mais plutôt de la médecine de proximité, exercée par les médecins généralistes. C’est donc cela le point de départ de Païs.

On déplorait de voir un nombre important de personnes patienter si longtemps dans les couloirs des urgences, jusqu’à y passer parfois la nuit, alors qu’ils auraient été bien mieux pris en charge à proximité de leur domicile, auprès de leur médecin généraliste, si ce dernier avait été disponible.

Les solutions proposées au niveau national, qui sont toujours d’actualité, comme les maisons de santé pluriprofessionnelles, ne trouvaient pas l’écho attendu.

Donc avec le docteur Isaac Gbadamassi, nous avons inventé une solution locale qui, aujourd’hui, s’étend et rencontre un écho croissant, tant auprès des patients qu’auprès des médecins généralistes.

Cela a commencé dans la vallée du Cher, où des médecins ont décidé de travailler autrement grâce au principe qu’on leur a proposé et que l’on a co-construit avec eux. C’est un dispositif assez simple quand on l’expose.

Le premier point est de renforcer le secrétariat des médecins généralistes, car, en France, un médecin généraliste a en tout et pour tout un secrétaire pour environ 20 % du temps. Cela veut dire que le reste du temps, c’est lui qui décroche et qui régule. Le premier complément qu’on apporte grâce à PAÏS est donc un complément financier, qui permet au médecin de renforcer son secrétariat médical. Cette aide pour le filtrage des appels et les tâches administrative est un grand confort pour lui et cela lui fait gagner entre une heure et une heure et demie par jour. Les secrétaires sont formés gratuitement par le SAMU dans le cadre du dispositif, pour leur apprendre à repérer les détresses qui vont nécessiter une intervention du médecin généraliste, si elles appartiennent effectivement à son domaine de compétence (sinon le/la secrétaire orientera vers des solutions adaptées)

On demandera aux médecins de réinvestir le temps gagné de deux manières.
D’une part, en réinvestissant le champ délaissé de la prévention collective. Ils vont donc travailler avec certains patients qui présentent a priori des risques (diabète, prévention de l’obésité, des risques cardio-vasculaires…)
Et puis, on les amène à travailler à l’échelle d’un territoire, cela aller de dix à vingt communes. C’est d’ailleurs pour cela qu’on a choisi l’acronyme PAÏS : pour dire que la médecine générale ne s’organise plus à l’échelle de la commune, mais à l’échelle d’un pays, conçu comme un territoire de vie naturel. Et à cette échelle, chaque médecin, à tour de rôle, ne prend pas de rendez-vous un jour donné, pour se rendre disponible aux patients qui arrivent de façon non-programmée et bien sûr justifiée.

Cela a des conséquences majeures : ça désencombre considérablement les urgences hospitalières, ça rend ses lettres de noblesse à la médecine de proximité, puisque les médecins généralistes sont en première ligne pour cela ; ils remplissent donc la mission qui leur est assignée.

Sans cela, chaque médecin, travaillant isolément dans un système traditionnel différent de PAÏS, bourre ses journées de rendez-vous parce qu’il n’a pas de secrétaire et qu’il y a une demande croissante et ses journées finissent à pas d’heure.
Avec PAÏS, comme chaque médecin, à tour de rôle, assure les soins sans rendez-vous, celui dont ce n’est pas le tour peut parfaitement avoir une activité professionnelle conciliable avec les horaires d’une vie normale. Et ça, c’est un élément très positif en termes d’attractivité pour les nouveaux médecins, notamment. De fait, on insiste pour que la quasi-totalité des médecins qui intègrent PAÏS soient maîtres de stage, c’est-à-dire qu’ils s’engagent à prendre des futurs médecins au sein de leur cabinet. On veut démontrer qu’une autre médecine de proximité est possible, qu’il n’y a pas de fatalité à la désertification médicale et qu’on peut générer une forte attractivité.


Aujourd’hui, PAÏS, c’est 35 médecins dans le Loir-et-Cher sur quatre secteurs différents. Et puis on a également depuis plusieurs années un secteur qui marche très bien à côté de Pau, à Nay précisément, et d’autres secteurs vont démarrer.

Grâce à PAÏS, tous les départs de médecins sont remplacés, voire mieux, parce qu’il y a plus d’arrivées que de départs ; on combat donc la désertification médicale.

Comme on est une initiative locale, on a un devoir de démontrer la valeur ajoutée de ce que nous faisons (c’est un combat permanent). On a donc obtenu, avec le Concours de l’Agence Régionale de Santé et de la Mutualité Française du Centre, une évaluation externe qui a montré des gains qualitatifs majeurs, une réduction sensible du recours aux urgences (un tiers de passage en moins), une diminution sensible des transports sanitaires (-21 %) et 15 % d’hospitalisations en moins du fait de la prévention. Et tout ceci en finalement assez peu de temps.

C’est rapide à mettre en œuvre, une solution comme PAÏS, puisqu’on ne crée pas de locaux et on prend l’offre de soin en l’état. On invite simplement les médecins, avec des compléments financiers, à travailler plus intelligemment entre eux. Et les résultats sont probants !

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