Anciennement enseignant en histoire-géographie, Étienne Joubert s’est reconverti dans le maraîchage en permaculture. Quelles sont les joies et les difficultés de cette reconversion ? Etienne livre un témoignage puissant qui incite à renouveler notre regard sur l’incroyable fécondité de la nature.
Pourriez-vous commencer par votre présenter en quelques mots ?
Étienne Joubert, maraîcher : “Je suis maraîcher en permaculture depuis maintenant huit ans. Avant cela, j’étais enseignant en histoire-géographie. Mon passage à l’agriculture a été en grande partie motivé par la lecture de l’encyclique Laudato Si’ du pape François, qui m’a profondément chamboulé.
Même si je suis fils de paysan et que j’ai grandi dans le milieu agricole, j’ai redécouvert la beauté du travail manuel à travers un parcours à la fois intellectuel et spirituel.
Où est située votre exploitation et pourquoi l’avez-vous nommée Dans le jardin de mon Père ?
J’habite près de Grenoble, entre le Vercors, derrière moi et le massif de la Chartreuse devant moi. Sur ce territoire se trouve une terre propice au maraîchage, sur laquelle – avant qu’elle ne soit endiguée au cours du XXᵉ siècle – l’Isère débordait régulièrement.
J’ai choisi de nommer mon entreprise « Dans le jardin de mon Père » pour trois raisons :
- c’est effectivement l’exploitation de mon père que j’ai repris,
- ce nom fait écho à une chanson populaire, “Auprès de ma blonde“, qui raconte l’histoire du chevalier Joubert pendant la guerre de Dévolution, au XVIIᵉ siècle ; cela relie à la fois mon nom de famille et mes études d’histoire,
- enfin, le « P » majuscule de « Père » symbolise le fait que je me considère comme gestionnaire d’une petite portion de la création divine.
Parlons un peu saisonnalités : comment s’organise votre calendrier ? Quelles sont les différentes temporalités auxquelles vous devez vous plier ?
Mon emploi du temps est très calé sur les saisons. L’hiver et la fin de l’automne sont des périodes plus calmes, propices à la gestion de l’entreprise et à la planification des cultures. Le printemps et l’été sont les périodes les plus intenses, avec beaucoup de travail de plantation, d’entretien et de récolte.
Je divise ma semaine en trois phases :
- Les lundis, mardis, mercredis sont vraiment des journées de production. Je suis constamment sur ma ferme et je travaille au champ : préparation des sols, culture, récolte.
- Les jeudis, vendredis, samedis sont davantage dédiés à la vente au marché.
- Le dimanche, j’essaie de le préserver pour le repos ou les visites à la ferme. De fait, elle est accessible à vélo de Grenoble ; de nombreux clients sont intéressés !
Qu’est-ce que la permaculture et comment l’appliquez-vous dans votre travail ?
La permaculture est une approche de l’aménagement du territoire qui cherche à imiter les systèmes naturels pour créer des environnements stables et autosuffisants. L’objectif est de concevoir des systèmes qui fonctionnent en harmonie avec les cycles naturels, réduisant ainsi la dépendance aux interventions humaines et aux ressources externes. Cette méthode repose sur l’observation des processus naturels et leur reproduction dans un cadre cultivé. En appliquant ces principes, on peut concevoir des systèmes de production alimentaire qui sont résilients, diversifiés et durables.
Dans mon exploitation, la permaculture se traduit par plusieurs pratiques concrètes visant à minimiser les besoins en interventions extérieures, tout en maximisant la productivité et la santé du sol. Par exemple, je privilégie la culture de légumes vivaces (qui reviennent chaque année), réduisant ainsi le besoin de semis annuels et de labourage. J’intègre également des auxiliaires de culture tels que des insectes bénéfiques qui aident à contrôler les nuisibles naturellement.
De plus, j’encourage l’auto-régénération des plantes en utilisant des techniques comme le compostage et le paillage, ce qui améliore la fertilité du sol et soutient la biodiversité. En suivant ces pratiques, je m’efforce de créer un écosystème de culture qui fonctionne en harmonie avec la nature, offrant des récoltes abondantes tout en préservant l’intégrité écologique de mon terrain.
Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans le métier de maraîcher ?
Ce qui me passionne dans le métier de maraîcher, c’est la diversité qu’offre la permaculture. En jouant sur les différents étages de production, je peux cultiver une grande variété de légumes, de fruits et même de fleurs. Cette approche permet non seulement de diversifier les récoltes, mais aussi de créer un écosystème équilibré qui favorise la santé des plantes et la qualité des produits. Chaque jour est différent, et cette diversité me permet de rester constamment engagé et enthousiaste dans mon travail.
Un autre aspect essentiel de mon métier est le lien profond avec la terre. Nous avons la chance de travailler sur un sol extrêmement fertile, situé sur les limons de l’Isère, qui est idéal pour le maraîchage. Ces terres riches offrent des conditions optimales pour la croissance des cultures, ce qui se traduit par des produits de haute qualité, à la fois savoureux et nutritifs. Ce lien direct avec la terre et la possibilité d’observer les fruits de mon travail jour après jour est une source de satisfaction immense.
Enfin, être situé à proximité de Grenoble est un avantage considérable. La demande croissante pour des produits locaux, frais et cultivés de manière durable, est en pleine expansion. Cette demande me pousse à continuellement améliorer mes pratiques agricoles, et à innover pour répondre aux attentes de mes clients. Le fait que les consommateurs puissent voir d’où viennent leurs aliments renforcent le lien avec la communauté, rendant mon travail encore plus gratifiant
Quelles sont les difficultés du métier ?
Le métier de maraîcher comporte de nombreux défis, notamment les incertitudes liées aux conditions climatiques.
Les variations imprévisibles de la météo peuvent avoir un impact direct sur la qualité et la quantité des récoltes, rendant difficile toute prévision précise des revenus annuels. Pour gérer ces risques, j’adopte une approche prudente en matière d’investissements. Je veille à limiter les dépenses excessives et à éviter l’endettement, ce qui me permet de maintenir une certaine stabilité financière, même en cas de mauvaise saison. Cette prudence est essentielle pour pérenniser mon activité.
Face à cela, le soutien des clients au marché est une source de motivation inestimable. Chaque semaine, leur retour positif et leur fidélité m’apportent une véritable bouffée d’oxygène. Les échanges avec eux sont enrichissants ; ils renforcent mon goût pour ce métier et m’encouragent à surmonter les difficultés pour continuer à offrir des produits frais et de qualité à ma communauté.
Pouvez-vous nous donner un exemple concret de votre travail en permaculture ?
Un exemple récent de mon travail en permaculture est la culture des concombres mexicains, une variété que j’ai introduite cette année ; tous les ans, je me lance des défis de culture étonnantes ! Ces petits concombres, qui ressemblent à des tomates cerise par leur taille et leur apparence, se sont révélés être un excellent choix en termes de qualités gustatives et esthétiques !
Le processus a commencé par une recherche théorique approfondie, puis la sélection des graines et une période de culture pour garantir une récolte optimale. Les résultats ont été très positifs : les concombres mexicains ont été accueillis avec enthousiasme au marché et je n’ai eu qu’un regret : celui de ne pas en avoir semé plus !
Voici donc une excellente illustration de cette démarche en permaculture : l’expérimentation et la diversité sont au cœur de ma pratique. La permaculture ne se limite pas simplement à appliquer des méthodes établies ; elle encourage également l’exploration de nouvelles idées et la découverte de variétés qui peuvent enrichir le jardin tout en répondant aux besoins des clients. En intégrant des produits inhabituels comme les concombres mexicains, je vise non seulement à diversifier mes cultures mais aussi à offrir à mes clients des expériences uniques et intéressantes, tout en enrichissant l’écosystème de mon exploitation.
Quel est votre rapport à la transmission des connaissances dans ce métier ?
La transmission est un élément-clé pour moi, même si le travail de maraîcher est plus solitaire que celui d’enseignant. J’ai tout de même la joie d’accueillir régulièrement des stagiaires avec lesquels je partage non seulement les techniques de permaculture que j’applique, mais aussi mon expérience et ma passion pour le jardinage durable. Ces moments d’échange sont précieux car ils permettent de faire passer le savoir pratique tout en inspirant (espérons-le) une nouvelle génération de jardiniers et de consommateurs.
Je ressens parfois un manque en ne côtoyant plus la jeunesse au quotidien. Mon objectif est de transmettre une vision positive et pragmatique de l’avenir, en montrant que, bien que les défis existent, il est possible d’agir efficacement et de manière optimiste. Par cette approche, j’espère encourager les jeunes à s’engager activement dans des pratiques durables et à voir l’avenir sous un jour plus lumineux.
Un dernier message ?
Je dirais qu’il est possible d’être épanoui en tant qu’agriculteur et qu’il est tout à fait envisageable de changer de métier au cours de sa vie. Cela ouvre des opportunités incroyables. Soyez audacieux, osez le changement, mais faites-le de manière raisonnée, en gardant toujours une saine prudence.”
Pour aller plus loin, découvrez tout ce qu’il y a à savoir sur la semence, avec Véronique Chable.