André Fraissenon est un jeune retraité stéphanois qui est parti au Japon début au printemps 2023 pour accomplir le pèlerinage de Shikoku. Il raconte son aventure, les rencontres, les leçons de vie et ce à quoi soit s’attendre tout futur pèlerin sur le chemin des 88 temples.
“Le poids du sac, c’est le poids de ses peurs.”
André Fraissenon
Pèlerinage de Shikoku : le “Compostelle Japonais”
André Fraissenon : “J’ai d’abord entendu parler de ce pèlerinage grâce au livre de Jean-Christophe Rufin, Immortelle Randonnée. Plus tard, sur le camino del norte de Compostelle, dans une albergue en Cantabrie, des hospitaliers nous faisaient visiter le lieu ; s’étendait sur un mur une grande carte de l’île de Shikoku avec, pour légende, le compostelle japonais.
L’île de Shikoku est la plus petites des quatre îles principales de l’archipel Japonais. C’est un endroit très rural qui recense 4 millions d’habitants. Le pèlerinage est un parcours circulaire consacré au moine Kūkai (774 – 835), plus connu sous son nom posthume de Kōbō-Daishi. Ce moine, homme de lettres, philosophe, calligraphe et poète, est le fondateur du bouddhisme Shingon, qui signifie “parole de vérité” : “la vérité, c’est connaître sont propre esprit tel qu’il est vraiment”.
Le chemin de Shikoku devient populaire au XVIIe siècle ; il comprend 88 temples pour un parcours d’environs 1200 kilomètres. Bien qu’il se fasse traditionnellement à pied, de nombreux pèlerins l’entreprennent en bus ou en voiture. Dans certains temples, on voit arriver des cars entiers de pèlerins, souvent Japonais.
Que signifie le pèlerinage de Shikoku pour ceux qui l’entreprennent ?
La première motivation des pèlerins est religieuse : suivre les traces de Kūkai. Et il y a de nombreuses autres raisons sous-jacentes : certains prient pour la guérison ou pour la sécurité de leur proches, d’autres pour leurs terres ou pour avoir de bonnes récoltes. Des pèlerins viennent avec une photo de proches décédés. D’autres souhaitent simplement s’éloigner, passer du temps seul, pour réfléchir, prendre du recul.
Les 88 temples du pèlerinage représentent les 88 passions, mauvaises ou bonnes, du bouddhisme. Faire le pèlerinage permettrait de se libérer de ces passions. En plus de ces temples principaux, il y a 20 temples annexes appelés les Bekkaku. Au total, 108 temples qui font écho au chiffre sacré des 108 épreuves du Bouddha pour atteindre l’illumination. Ce chiffre symbolise également le tout ; 1 étant l’unité, 0, la vacuité, et le 8, l’infini.
Sur le chemin, beaucoup revêtent la tenue traditionnelle du pèlerin. Elle comporte un chapeau de paille conique, une veste blanche, un bâton avec une clochette. Le bâton représente Kōbō-Daishi. La couleur blanche représente la mort, les pèlerins la portent en signe de deuil.
Quelle saison privilégier pour vivre le pèlerinage de Shikoku ?
Ce pèlerinage s’effectue en automne ou au printemps. En été, on risque d’affronter typhons et pluie ; en hiver, le froid peut être saisissant. Je suis parti à la saison des cerisiers en fleurs, qu’on appelle les sakura au Japon. Mon voyage a duré 57 jours. Après avoir fini le pèlerinage de Shikoku, un bateau m’a ramené sur l’île principale, en dessous d’Osaka. J’ai rejoins une ville sacrée, le mont Kōya, où se trouvent les reliques de Kōbō-Daishi. Là-bas se trouvent 117 autres temples ! C’est très impressionnant.
Choisir la sobriété
La marche, c’est l’éloge de la lenteur. On n’a besoin de rien : ni accessoire, ni véhicule, juste le pied gauche suivi du droit. Quand on marche, on est entièrement présent à ce qu’on est, on se reconnecte à soi-même et on se libère de certaines choses.
Concernant ce qu’on doit emporter, on remarque vite une chose : que l’on parte un mois ou trois, le sac est le même. On dit que le poids du sac, c’est le poids de ses peurs. La peur d’être à nu (de manquer de vêtements de rechange), la peur de l’inconfort, de l’ennui, de la faim… !
Mon conseil ? Privilégier la sobriété et laisser le chemin vous émerveiller de ses miracles.
Pèlerinage de Shikoku : la préparation
Quand on veut partir pour des marches sur de longues distances – et donc de longues périodes – il est nécessaire de se préparer.
Pour préparer son corps, on commence par marcher près de chez soi, d’abord un peu, puis de plus en plus. On s’entraîne ensuite avec le sac à dos, avec les chaussures qu’on va emporter sur le pèlerinage. D’ailleurs, sur une marche au long cours comme à Shikoku, on n’est pas obligé de faire 30 bornes par jour. Chacun fait comme il l’entend, à son rythme.
La préparation n’est pas que physique, il y a aussi une anticipation psychique et spirituelle à accomplir. Il faut notamment se préparer à la solitude, celle de la marche et celle générée par la langue. Il faut se préparer à passer des moments seul – moments très intéressants soit dit en passant. C’est une expérience à la première personne, en soi et sur soi. Je pense que pour un pèlerinage long comme Shikoku, c’est plus intéressant de partir seul. D’autant que l’on est rarement seul en route. On rencontre beaucoup de monde : Japonais, bien sûr, mais aussi des pèlerins du monde entier.
Les camarades de route
Le premier lien que j’ai noué avec les Japonais était celui d’être pèlerin, ensemble. Ne serait-ce qu’avoir le même costume, ça unit. Les Japonais sont assez réservés culturellement ; ils ne vont pas s’ouvrir très facilement. En revanche, quand vous demandez un renseignement, ils sont capables de se couper en quatre pour vous rendre service. Ils sont d’ailleurs d’autant plus prêts à vous aider que vous êtes pèlerin.
Sur le chemin, des personnes vont s’arrêter sur la route ou sortir de chez elles pour vous faire une offrande. On appelle ça un osettai : une bouteille d’eau, une barre énergétique, un cageot d’oranges… Souvent ce sont des personnes qui ne peuvent pas faire le pèlerinage elles-mêmes mais qui, en vous offrant un osettai, font une offrande à Kōbō-Daishi à travers vous. En acceptant l’osettai, vous réalisez le pèlerinage pour eux aussi.
Se loger sur le pèlerinage de Shikoku
Il existe plusieurs types de logement sur la route de Shikoku.
On peut se loger dans des temples, ce qui vous permet d’accéder aux différentes pratiques du soir et du matin. On loge dans des logements traditionnels, avec un tatami au sol et, dans un coin de la pièce, un futon qui n’est déplié que le soir, au moment d’aller se coucher.
Il y a des logements beaucoup plus chers, les ryokan. Ce sont des auberges traditionnelles haut de gamme. Ils mettent à votre disposition des bains, une tenue, et des repas. C’est l’occasion de visiter de belles maisons traditionnelles.
Il y a également les minshuku. Ce sont des bed & breakfast moins chers mais de belle qualité. Là aussi, vous avez le repas du soir mis à votre disposition à une heure très précise qu’il faut respecter.
Finalement, il y a aussi un site qui s’appelle Henro House qui permet de réserver des chambres privées ou une place dans un dortoir. Quand on fait le pèlerinage de Compostelle, on est un jacquet ; à Shikoku, on est un henro.
Déconnecter complètement ?
J’avais réservé à l’avance une carte de téléphone valable deux mois. Cela m’a permis de réserver les logements d’un jour à l’autre. Mais également la possibilité d’utiliser deux outils indispensables : le GPS et une application de traduction : Papago. Grâce à lui j’ai pu communiquer avec des locaux et prendre des photos et en avoir la traduction – par exemple, un panneau d’indication dans la rue ou en pleine campagne – ; je m’en servais également pour les menus, même s’ils sont souvent rédigés de manière poétique et que les traductions étaient rarement compréhensibles. Imaginez devoir traduire “pomme de terre en robe de chambre” et vous aurez une idée des situations dans lesquelles un pèlerin non Japonais se trouve au quotidien !
Le pèlerinage de Shikoku : un zeste de magie
À mes yeux, chaque chemin spirituel est magique, c’est aussi vrai pour Shikoku que pour Compostelle. Je pense que ces chemins ont une force.
Au moment où votre paire de chaussure commence à tomber en lambeaux, c’est justement là que vous trouverez un magasin alors que vous n’en avez pas croisé un seul depuis des jours – vous tombez dessus quand vous en avez besoin.
À cause de ces fameuses chaussures que j’ai pu acheter miraculeusement dans la campagne Japonaise, j’ai attrapé des grosses ampoules aux pieds. Devinez sur qui je suis alors tombé ? Un Danois costaud qui travaille… chez Compeed, la marque qui fait les pansements pour ampoules !
Ces petits hasards – ainsi que les rencontres des personnes qui vous offrent quelque chose sans rien attendre en retour – rendent le chemin magique.
Conseils et littérature
Pour les personnes qui souhaiteraient s’engager sur le pèlerinage de Shikoku et devenir un henro, j’ai quelques recommandations. Il faut d’abord savoir que c’est un chemin difficile ; il vaut sans doute mieux commencer par une expérience plus facile comme celle de Compostelle.
Quelques conseils lectures : Le pèlerinage de Shikoku de Sophie Lavaur. Comme une feuille de thé à Shikoku, de Marie-Édith Laval. Les 88 temples de Shikoku, d’Olivier Dunskus, un passionné du Japon, qui explique à quoi correspond chacun des temples du pèlerinage. C’est très intéressant et presque indispensable sur le chemin.
Pour finir, je voudrais partager un message lié au pèlerinage. C’est le maître Benkei, un moine guerrier japonais qui disait Ne cherchez pas à atteindre la sagesse, mais plutôt à voir la vie telle qu’elle est, avec toutes ses imperfections.”
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