Le perfectionnisme alimentaire est-il souhaitable ? Peut-on apprendre à se nourrir de façon intuitive ? Existe-t-il des aliments parfaits ? En mars 2022, nous avons échangé avec Anne Moreau, diététicienne, psychonutritionniste et auteur de Ma petite cuisine Laudato Si’, manuel de cuisine saine et durable. Elle nous livre quelques bonnes pratiques.
L’aliment parfait n’existe pas
Anne Moreau, diététicienne et psychonutritionniste : “L’alimentation a un impact sur notre environnement, notre santé, la société et la cité dans son ensemble. Mais manger est avant tout un acte physiologique. On mange parce que l’on a besoin d’énergie. En tant que diététicienne, je ne saurais pas dire ce qu’est l’alimentation parfaite aujourd’hui : c’est à chacun de se connecter à ce qui est bon pour lui. La quête de l’alimentation / l’aliment parfait est probablement une stratégie pour répondre à un manque d’amour de soi, une envie de toujours se montrer sous son meilleur jour.
Je trouve ce qui est bon pour moi de manger. S’il y a un certain nombre d’évidences autour d’une alimentation plus végétale, il y a surtout mon besoin et ce que je vais mettre dans mon assiette pour y répondre.
Deux vérités à garder en tête ; elles sont sans doute à l’origine de beaucoup de frustrations alimentaires :
- Se dire qu’il existe une alimentation parfaite / un aliment parfait et que je passe peut-être à côté est une idée fausse. C’est une invention de la société, des docteurs miracles et autres industriels, largement alimentée par les publicités qui nous parlent de super-food, d’ingrédients magiques, etc.
- Nous ne naissons pas égaux. Chacun de nous reçoit une couleur de peau particulière, des cheveux particuliers, etc. De la même façon, nous ne choisissons pas notre poids. Je comprends que cela puisse paraitre injuste mais c’est une réalité à accueillir avec bienveillance pour vivre et manger en paix.
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L’alimentation intuitive : se reconnecter à ses sensations
Intuitivement, un bébé va pleurer quand il a faim ; il va lâcher le sein de sa mère / son biberon quand il sera rassasié. Personne ne lui a appris ni ce réflexe de succion, ni le bon apport en termes de calories.
Cette capacité à réguler notre prise alimentaire est inscrite en nous. Nous sommes tous des mangeurs intuitifs.
Ce qui abîme peut-être un peu cela sont les injonctions venues de l’éducation, par exemple (termine ton assiette, tu n’auras pas de dessert si tu n’as pas mangé tes haricots…). Par ailleurs, on développe des tensions en se comparant aux autres, à grands renforts de surexposition à des corps parfaits dans les médias, notamment.. Tout cela a déformé notre lien intuitif à l’alimentation.
Beaucoup d’entre nous finissons par manger non plus avec notre intuition mais avec la tête, les émotions, les croyances, la peur de grossir, etc.
Les enjeux spirituels de l’alimentation
Je considère que l’alimentation a une portée politique, agricole, économique, sanitaire, écologique, culturelle, morale, symbolique, etc., qui lui accorde une place unique dans nos vies. Ainsi mes choix alimentaires me permettent de voter pour le monde que je souhaite. Il est de ma responsabilité de me demander – avec douceur, avec et par amour – quelle pierre je veux / peux apporter à l’édifice, quels choix je peux poser à travers mes choix alimentaires.
L’alimentation est un lieu où l’on va rencontrer la Création. On va faire littéralement corps avec le miracle de ce qui pousse sur les arbres et germe de la terre ; un cadeau de la nature et du travail des hommes. Il y a ici une invitation à accueillir les aliments comme un don de la Nature, à célébrer et remercier pour le travail de ceux qui la produise, à cuisiner avec amour et à partager généreusement avec tous.
Personnellement, quand je vois une belle table, ça m’invite à la célébration et à l’émerveillement et éveille un sentiment de gratitude.
L’alimentation bonne pour soi
Trois questions à se poser pour visiter son rapport à la nourriture :
- Qu’est ce qui fonde / guide mon rapport à la nourriture ?
Contrôle ? Perfection ? Rigidité ? Lâchage ? Excès ? Frustration? Conscience ? Effort ? Partage ? Écoute ? Prendre soin ? Santé ? Écologie ? - Sur 10, à combien est-ce que j’estime que je suis épanoui dans mon lien cœur / corps / esprit ?
(10/10 étant “super cohérent & épanoui”) - Quels ingrédients aimerais-je mettre dans ma « recette » d’une alimentation « bonne pour moi » ?
Bienveillance ? Équilibre ? Détente ? Non jugement ? Plus de légumes ? Plus de cuisine ?
Enfin, quelques pistes pour une alimentation intuitive, bienfaisante et bienveillante :
- Prendre le temps. Ne pas regarder d’écran pendant que je me nourris, pour être présent et célébrer ce que je vais manger.
- Développer un pensée de gratitude pour le travail des hommes qui ont permis cette nourriture, pour la nature qui nous en fait cadeau.
- Se répéter je fais du mieux que je peux.
- La proposition des 3V (Végétal, Varié, Vrai) conceptualisée par Anthony Fardet, chercheur de l’INRAE. Avoir autant que possible dans nos assiettes des végétaux avec beaucoup de couleurs, de la variété alimentaire et des aliments vrais – c’est à dire bruts et peu transformés – ce sera porteur d’harmonie.
Mon invitation pour vous aujourd’hui est de prendre conscience de votre rapport à l’alimentation et de voir ce que vous avez envie d’en faire, dans quelle direction vous souhaitez aller pour diminuer les tensions éventuelles et vous rapprochez de vos valeurs et de ce qui est bon pour vous.
Vos questions / remarques à la fin du webinar
Nathalie : merci de vos paroles qui me font prendre conscience que comme dans mes activités journalières durant lesquelles tout doit aller très vite, je m’impose de manger trop vite.
Tugdual : j’aime beaucoup l’humilité du propos d’Anne. Sa prudence vis-à-vis de l’idéologie du volontarisme.
Étienne : c’est déculpabilisant !
Pour aller plus loin avec Anne Moreau, elle anime un stage “vivre dans l’esprit Laudato si” avec Ictus Voyages, du 3/06/2022 au 6/06/2022.
Découvrez le replay du webinar de février 2022, avec Anthony Allebée : La technologie, levier d’écologie humaine ?
