Sylvie Bombrun est spécialiste des prairies et du pastoralisme à la chambre d’agriculture du Jura. Férue de botanique, elle décrypte le langage des plantes et s’en émerveille.
“Quand on observe la nature, on remarque qu’elle est très bien faite ; on se rend compte qu’elle est capable d’avoir une résilience incroyable et de s’adapter.”
Sylvie Bombrun
La botanique : quand la passion devient métier
Sylvie Bombrun : “Pendant mes études, j’ai eu l’occasion de faire un peu de botanique ; j’ai notamment réalisé un herbier avec 100 plantes à reconnaître. À l’époque, on n’avait pas tous les outils en ligne comme plantnet pour facilement identifier ce qui pousse autour de nous.
Cet exercice m’a beaucoup plu. Et c’est resté une passion personnelle, jusqu’au jour où j’ai découvert Gérard Ducerf et ses plantes bioindicatrices. Il explique que les graines de plantes sont en dormance partout dans le sol ; quand les conditions sont favorables, il y aura une levée de dormance de certaines graines. Cela peut découler des pratiques des agriculteurs ou d’un changement climatique, par exemple.
Dans le cas d’une levée de dormance, ces plantes vont se mettre à germer, à pousser. En les observant, on arrive alors à comprendre ce qu’elles nous indiquent : excès de fertilisation, tassement, surpâturage… Ces plantes apportent des précisions sur un dysfonctionnement, ce qui nous permet de rééquilibrer les sols de façon plus adaptée.
Ecoutez notre rencontre avec Sylvie Bombrun !
Plantes bioindicatrices : pourquoi est-il important de cultiver la biodiversité de vos prairies
Je travaille avec des agriculteurs du Jura, le pays du Comté ; la diversité floristique va nécessairement impacter la qualité du produit final ! Sans cela, les produits issus de nos élevages auraient un goût bien moins riche – vaches laitières, chèvres, et chevaux – étant moins bien nourris.
Par ailleurs, chaque prairie a un plafond propre en termes de capacité de rendement ; cela dépend du sol, de la profondeur et de la qualité de la terre, du contexte pédoclimatique… L’idée est d’atteindre cet optimum, de comprendre le point où plus d’activités de notre part risque de dégrader la prairie.
Si les plantes bioindicatrices sont bien utiles en agriculture, elles sont tout aussi pertinentes pour les jardins et les vergers. Nous pouvons tous apprendre quelque chose grâce à elles.
Les plantes bioindicatrices : la pâquerette
Une parcelle recouverte de pâquerettes indique un surpâturage.
La pâquerette est plutôt indicatrice d’un entretien agressif. Vous pouvez le remarquer en regardant les pelouses des particuliers, de ceux qui tondent régulièrement pour conserver un aspect “propre” : les pâquerettes se multiplient dans ce contexte. Elles se retrouvent aussi en abondance sur les greens de golf, dont les terrains sont tondus parfois jusqu’à trois fois par semaine.
En termes d’entretien agressif, les robots tondeuses représentent le pire excès. Le risque est de finir par oublier qu’une pelouse est une prairie, des plantes, des êtres vivants. Cette tonte systématique épuise les graminées qui finissent par mourir.
N’hésitez donc pas à laisser de temps en temps les graminées prendre un peu d’énergie et pousser pour se régénérer, vous ferez ainsi un cadeau à votre pelouse !
Les plantes de prairie
En prairie, il y a trois grands types de plantes :
- Quand tout va bien, la prairie est composée d’environs 70 % de graminées. C’est une famille très large qui inclue la fétuque, le dactyle, etc. Il y a énormément d’espèces qui composent les graminées, c’est ce qu’on appelle vulgairement de l’herbe.
- On trouve également la famille des légumineuse, qui est très intéressante en agriculture : trèfle blanc, trèfle violet, lotier…
- Et enfin, toutes les plantes à fleurs.
Une prairie ne maintient pas son équilibre en autonomie. Il faut la cultiver. Cette culture est essentiellement le fait de l’homme. Quand ce dernier ne s’occupe plus de ses prairies, la nature repart alors naturellement sur de la forêt.
Quand les plantes indiquent une surfertilisation
Si les plantes bioindicatrices apportent des informations sur l’état actuel d’une parcelle, elles peuvent également révéler son historique.
Je me souviens de cet agriculteur que j’accompagnais sur le diagnostic de ses parcelles ; il a désigné l’une d’entre elles comme “la parcelle à orties”. Cette dernière était effectivement couverte d’orties. Pourquoi ? Pendant des années, la parcelle avait été traversée par les égouts de la commune. Cela a généré un déversement excessif de matière organique qui s’est accumulé dans le sol. Or, l’ortie est indicatrice d’un excès de matière organique ; l’état de cette parcelle n’était donc pas surprenant. Il s’agit alors évidemment de ne plus fertiliser le sol pendant quelques années. En respectant les besoins du sol et en misant sur le temps, un équilibre pourra être trouvé à nouveau.
Le chardon est souvent présent dans les pâturages ou autour des bacs à eau, aux entrées de parcelles, et ce pour deux raisons. D’abord, la bouse des bêtes fertilise le sol, ce qui favorise l’apparition du chardon. Ils sont aussi indicateurs d’un tassement superficiel : là où les animaux compactent les premiers centimètres du sol. Ce tassement entraîne un manque d’air dans le sol, qui impacte le travail des bactéries. Dans ces conditions, le chardon sort de dormance et vient rééquilibrer le sol en débloquant le phosphore qui s’y trouve. Je trouve que c’est une preuve formidable de la cohérence de la nature.
Beaucoup considèrent le chardon comme une mauvaise herbe ; en modifiant son regard sur ces plantes on remarque que ce terme n’est pas juste. Les plantes comme le chardon viennent réparer ou remettre en fonctionnement quelque chose qui ne l’est plus. Elles sont là pour aider. Les désherber est donc illusoire car si on ne change pas le contexte, elles reviendront forcément à un moment donné. Le plus important est de comprendre que leur présence révèle un problème qu’il faut résoudre pour qu’elles disparaissent naturellement.
Les plantes bioindicatrices pastorales
Je suis spécialiste prairie ; l’autre volet est le pastoralisme. Quand on tombe sur des ronces ou des fougères, on sort des milieux prairiaux productifs. Ces plantes surgissent dans des milieux plus contraignants tels que les estives et les communaux, qui sont plutôt sujets à la fermeture des milieux avec, notamment, des effets d’embroussaillement. L’apparition de la fougère aigle dans ces milieux, par exemple, indique notamment que le sol est acide.
La fougère surgit dans des environnement où elle subit moins le piétinement, notamment celui des animaux. En piétinant, les animaux cassent la fronde de la fougère et permettent ainsi de réguler leur expansion. C’est une espèce que l’on surveille de près avec mes collègues pastoraux parce qu’elles ne sont pas forcément faciles à gérer.
Les ronces apparaissent aussi dans ces milieux pastoraux. Souvent, on utilise le broyage pour essayer de les contrôler. Mais comme toute plante, la ronce est vivante : quand on l’attaque en la broyant, forcément, elle se défend. Et là se déclenche un cercle vicieux : plus on broie la ronce, plus elle réagira en augmentant le nombre de ses épines. Les animaux en consomment d’autant moins quand elles piquent fort !
La force d’adaptation de la nature
Quand on observe la nature, on remarque qu’elle est très bien faite ; on se rend compte qu’elle est capable d’avoir une résilience incroyable et de s’adapter. Suite à des périodes de sécheresse, par exemple, on peut voir surgir des plantes qui ne s’étaient jamais montrées auparavant. Elles mettrons deux ou trois ans pour disparaître. La nature résiste et s’adapte.
Je voudrai encourager les gens à plus de curiosité et de naïveté envers la nature qui les entourent. Regardez autour de vous et demandez-vous : qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui pousse ? Pourquoi ?
Soyez curieux – faites-vous aider par des applications pour identifier les plantes, au besoin – et approfondissez votre connaissance de ce qui vous entoure. Vous n’avez pas fini d’être émerveillé !”
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