Anne-Lucile Schulz, médecin généraliste au centre hospitalier Compiègne-Noyon, est spécialisée en soins palliatifs. À travers l’histoire de ces soins très particuliers et les pratiques qui ponctuent son quotidien, elle livre un témoignage fort et nous tend un miroir : quel est notre propre rapport à la vieillesse et à la mort ?
“Dans les unités de soins palliatifs, ce n’est pas le patient qui s’adapte à l’hôpital, c’est l’hôpital qui s’adapte au patient.”
Anne-Lucile Shulz
Anne-Lucile Schulz, pouvez-vous donner une définition précise de ce que sont les soins palliatifs ?
Anne-Lucile Schulz, médecin généraliste : “Les soins palliatifs, ce sont des soins actifs. Ils ont pour objectif de s’occuper des patients qui sont atteints d’une maladie grave, évolutive, souvent terminale ; des malades qui sont donc non guérissables.
L’objectif est de soulager le patient dans sa globalité ; que ce soit les douleurs physiques ou psychiques, la souffrance sociale ou spirituelle.
Quelle est l’histoire de ces soins palliatifs ? Quelles en sont les figures de proue ?
Les soins palliatifs datent de 1842. La première à avoir fait quelque chose en France est Lyonnaise. Il s’agit de Jeanne Louise Garnier (1811-1853), véritable pionnière, qui avait créé des œuvres pour tous les porteurs de maladies incurables.
Un autre grand nom est celui de Cicely Sanders (1918-2005), médecin britannique formée aux soins infirmiers et au travail social. Elle a créé l’hospice St Christopher dans la banlieue de Londres, qui reste de rayonnement mondial. Ses idées ont jeté les bases de notre compréhension de la souffrance dans le contexte d’une maladie grave.
Élisabeth Kübler Ross (1926-2004), psychiatre helvético-américaine, a, quant à elle, apporté sa pierre en théorisant sur les différents stades émotionnels par lesquels passe une personne qui apprend sa mort prochaine.
Il a fallu attendre 1974 pour que la première unité de soins palliatifs soit créée à Montréal.
Et en France ? Quand les soins palliatifs se sont-ils structurés ?
En France, la législation est beaucoup plus récente et datent de 2005, avec la Loi Leonetti.
Jean Léonetti, député et médecin marseillais, a beaucoup œuvré avec une commission d’enquête pour pouvoir construire une loi de consensus. Grâce à cette approche collégiale, il a abouti à une loi très juste, très équilibrée, qui a notamment permis de définir l’obstination déraisonnable – le fait de pratiquer ou d’entreprendre des actes ou des traitements alors qu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie.
Jean Léonetti a également ouvert le droit au double effet. Avant cette loi, les médecins parfois tremblaient en tentant de soulager les souffrances du patient : il était possible de porter plainte contre lui pour empoisonnement. De fait, la dose de morphine soulageant la douleur pouvait avoir un effet secondaire et raccourcir quelque peu la vie.
Jean Léonetti a voulu clarifier la situation en affirmant : “Si votre objectif est de soulager votre patient mais que malheureusement, en le soulageant, ça raccourcit un peu sa vie, on va être clair, vous avez le droit de le faire, mais arrêtez de cacher vos pratiques pour que l’on arrive tous à mieux soulager nos patients.”
Les deux affaires les plus célèbres qui ont fait avancer la législation sont celles de Vincent Humbert et celle de Vincent Lambert.
Où se pratiquent les soins palliatifs ?
Pour commencer, il est important de rappeler qu’il n’y a pas besoin d’être un spécialiste pour faire des soins de confort. En cela, tout le monde peut s’approprier les soins palliatifs. Pour autant, il va y avoir des spécialistes pour les situations les plus complexes.
En fonction du choix du patient et de sa famille, le patient peut être soigné dans un milieu hospitalier ou institutionnel (type EHPAD). Les médecins présent gèrent les lits dédiés et, au besoin, peuvent demander l’aide d’équipes mobiles de soins palliatifs qui se déplacent pour conseiller l’équipe médicale.
Mais il y a aussi des patients non guérissables, qui vont être accompagnés à domicile. Dans ce cas, ce sont leur médecin généraliste, assisté d’infirmières libérales, qui prennent le malade en charge. Quand un besoin d’aide ou d’interdisciplinarité se fait sentir, les professionnels libéraux vont faire appel au réseau de soins palliatifs -l’équivalent des équipes mobiles de soins palliatifs – qui vont notamment coordonner le personnel soignant qui se relaiera au domicile.
Pouvez-vous nous raconter un jour à vos côtés en soins palliatifs ?
Dans un cadre hospitalier, la journée se passe de manière assez atypique par rapport à un service classique puisqu’en unité de soins palliatifs, on part du principe qu’il faut respecter le rythme de chacun.
Si le patient est fatigué, qu’il a mal dormi ou qu’il se lève tard le matin, on va lui laisser cette possibilité de se reposer. C’est aussi ce qui est difficile à gérer dans une organisation de service, parce qu’on ne peut pas dire : “Chez tout le monde, le petit-déjeuner arrive à huit heures, le médecin passe entre neuf et dix heures et les perfusions sont à telle heure”.
C’est vraiment au gré de chacun, des besoins, des familles. Ce n’est pas le patient qui s’adapte à l’hôpital, c’est l’hôpital qui s’adapte au patient, et d’ailleurs, souvent le patient garde ses habits, il reste ce qu’il est et n’est pas obligé d’arborer la fameuse blouse d’hôpital !
On en parle, du rapport à la mort quotidien ?
C’est sûr qu’au quotidien, être confronté à la mort, c’est très engageant. Ce sont des métiers qui peuvent être fatiguant. Heureusement, le fait de travailler en groupe, en interdisciplinarité, et d’avoir des groupes de parole, offre beaucoup de ressources.
Ce qui m’a beaucoup marqué au début de ma pratique, c’est d’observer des patients dans des stades ultimes, faisant le choix d’attendre la présence d’un proche pour mourir.
À l’inverse, j’ai appris à découvrir qu’il y avait aussi des familles très présentes à l’unité, qui y dormaient, etc. Et ces familles étaient en souffrance, parce qu’il suffisait qu’elles aillent aux toilettes cinq minutes et leur proche mourrait pendant ce court laps de temps.
Au fond, mourir est un acte très intime. J’ai d’ailleurs pour habitude de dire “on meurt comme on a vécu”.
Mais à dire vrai, ce que je trouve plus éprouvant que la mort physique, c’est la mort sociale. On accompagne des patients que la société ou les proches ne voient plus. Depuis des années, ils sont enfermés dans leur EhPAD sans
aucune visite ou bien ils sont malades et plus personne ne vient les voir parce qu’on veut garder une bonne image d’eux… Ces personnes sont déjà mortes pour la société avant d’être mortes physiquement. Je trouve ça très difficile.
Aujourd’hui, dans le débat sociétal actuel, on entend souvent les termes d’euthanasie et de suicide assisté. Que pouvez-vous nous en dire ?
Au quotidien, à l’unité de soins palliatifs, nous rencontrons des patients demandeurs d’euthanasie ou de suicide assisté. Ça fait partie des motifs d’hospitalisation. Mais pour une très grande majorité, une fois que l’on soulage leurs symptômes, ne sont plus demandeurs. La demande d’abréger la vie survient essentiellement sur un symptôme : douleur physique ou psychique…
Ce qui m’embête aujourd’hui, c’est qu’on ne laisse pas vraiment la parole aux soignants, qui sont au quotidien confrontés à cet enjeu. Et ce ne sont pas les patients décédés qui vont pouvoir porter la parole de ce qu’ils ont pu vivre ! Je trouve donc le débat tronqué.
Mais il est vrai que quelques patients vont avoir une souffrance persistante – psychique ou sociale, rarement physique… Ces patients-là nous questionnent. Pour autant, moi, en tant que soignante, je ne vois pas la bienveillance d’abréger une vie.
Un mot de la fin ?
Il est important de réintégrer la mort dans le champ sociétal et d’arrêter d’en faire un tabou. Pourquoi la cache-t-on ? Nous faisons comme si elle n’existait pas !
Aujourd’hui, on ne sait plus à quoi la mort ressemble ; on a l’impression qu’il faut mourir héroïquement, en se faisant hara-kiri à la dernière minute.
J’ai récemment entendu un acteur dire : “Le vrai courage, c’est d’affronter la vieillesse et de profiter de ces moments-là en toute humilité.” Il me semble que c’est assez juste. Osons vivre notre vie jusqu’au bout. On n’est pas toujours conscient de la fécondité de ce qui nous reste à vivre.”
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