Bernard Guéry est enseignant-chercheur à l’IPC et formateur en entreprise. Il nous propose ci-dessous d’affiner notre assertivité pour lutter contre les incivilités du quotidien.
« Les gens jettent leur papiers par terre » ; « l’autoroute est une poubelle » ; « les trains français sont sales » ; « les gens n’ont plus de respect ». On peut entendre, ici ou là, des citoyens se plaindre des incivilités. Des déjections canines du voisin aux pieds sur les sièges du TGV, et autres conversations bruyantes tard dans les rues des villes, on peut croire, à entendre certains, à une recrudescence des incivilités. Les campagnes publicitaires des organismes de transports contre les incivilités, pour prendre un exemple, semblent corroborer cette opinion.
Quand il s’agit des remèdes, on tourne ses regards vers de tutélaires et lointains responsables, attendant des mesures et geignant qu’elles ne viennent pas. Ce regard vers des décideurs, pouvoirs publics ou agents privés, mais toujours loin de nous, révèle un état d’esprit tout particulier.
Au-delà des poncifs sur le fait que les Français sont râleurs, et les gens mal éduqués, il est possible de déceler l’idée que ceux qui sont responsables du bien commun, ce sont les détenteurs d’un pouvoir institué. Cette idée se targue de l’impuissance de l’individu face à des phénomènes d’une ampleur parfois nationale. Comment, moi, petit citoyen, veux-tu que je change quelque chose à toutes ces incivilités ?
J’ai une réponse. Concrète. Que l’on peut mettre en œuvre dès demain. Sans attendre de la politique, de la religion ou des entreprises que les choses changent.
Cette réponse s’enracine dans le fait que la responsabilité du bien commun incombe à chacun, et par délégation seulement aux pouvoirs publics. Concrètement, il s’agit d’une pratique que certains citoyens déploient dans leur quotidien. C’est aussi une pratique que je diffuse dans mon métier de formateur et de coach. On pourrait appeler cela d’un nom sympathique, comme la « vigilance attentionnée », ou les « interventions bienveillantes », mais peu importe. Il s’agit tout simplement d’intervenir quand on observe une incivilité.
L’objection qui vient tout de suite à l’esprit devant cette idée. « J’ai peur de prendre un coup de couteau ! » ou bien « Et si je le recroise ? » Puis-je entendre dans les stages que j’anime. De fait, la peur des réactions est souvent le frein principal à ce genre d’action. En réalité, cette peur vient du fait que je ne sais pas comment m’y prendre. Souvent, les mots qui viennent peuvent manquer de bienveillance, et prêter de mauvaises intentions au contrevenant : « vous faites ça chez vous ? » ; « Vous vous croyez où ? » ; « les poubelles, c’est pour les autres ? » ; « Ta mère ne t’a pas appris ? » et autres façons agressives de transmettre un message. Dès lors, on comprend que ce type d’intervention puisse engendrer un comportement agressif en retour.
La façon dont je propose de s’y prendre s’inspire d’un outil de communication simple, adossé à une saine théorie de l’assertivité.
L’assertivité consiste à concilier le « oser dire » et le « savoir dire », en évitant l’un sans l’autre, sous peine de tomber dans l’agressivité « tu es mal éduqué » ; dans la manipulation, qui contourne la communication directe « il y en a qui ne sont pas gênés ! », ni dans le plus courant de pièges : la fuite passive. Ce dernier mécanisme est le plus courant face aux incivilités, et se renforce de petits messages internes qui me disent « de toute façon, il va recommencer dès que j’aurais le dos tourné, donc ça ne sert à rien » ou bien « il y a bien quelqu’un de plus costaud que moi qui va lui dire », ou bien encore « les gens sont adultes, ils vont finir par comprendre » et autres bonnes raisons de baisser les bras en bonne conscience.
Un outil de communication simple fournit, dans cette optique, une façon d’exprimer son assertivité. La façon de faire consiste tout simplement à structurer son discours de la façon suivante :
1. Énoncer les faits
2. Exprimer les conséquences négatives
3. Formuler une demande.
Cela donne, dans un train, par exemple : « bonjour Monsieur, je vois que vous avez les pieds sur les sièges de devant (1). C’est gênant pour le suivant qui va s’asseoir ici (2). Vous pouvez enlever vos pieds sur siège, s’il vous plaît ? (3) » Avec un sourire, évidemment. Ou bien « Excusez-moi, je vois que vous avez laissé tomber votre paquet de cigarettes vide. Ça salit la voie publique. Vous pourriez faire attention à cela la prochaine fois ? ». Evidemment, la réaction n’est pas toujours paisible. Alors, on quitte le terrain avec un « c’était important pour moi de vous dire cela », sans chercher à avoir le dernier mot dans une surenchère oratoire.
« Oui, mais ça ne change pas les choses » me direz-vous. Certes, on ne peut pas être derrière tous les citoyens qui jettent leurs papiers par terre. Mais l’idée n’est pas de changer le monde, mais de prendre sa part de responsabilité. De quitter l’immunité que propose la dissociété d’individus qui vivent ensemble chacun sa vie sans souci du voisin, pour endosser ma part de la communauté, c’est à dire de la charge commune.
Je crois que le terme de « respect » est assez significatif de cette immunitas qui me dispense d’entrer en communitas : le mot respect désigne une attitude positive dans notre société. Mais il y a une façon très agressive de se réclamer du respect : « Vas-y, respect ! ». Parfois le respect que l’on brandit est une façon de « tenir en respect » des concitoyens qui pourraient, en entrant en relation avec moi, bousculer mes préjugés. Je m’interdis aussi, au nom du respect, du soin du bien commun. Il peut devenir le nouveau nom de l’indifférence. Sortir du respect qui est une non-intervention, pour s’ouvrir vers l’autre en bienveillance. Veiller au bien commun, c’est aussi signaler les incivilités à leurs auteurs.
Et ce faisant, on découvre que l’on grandit soi-même. En commençant par des actes de vigilance citoyenne faciles, puis en augmentant la difficulté au fur et à mesure que je m’en sens capable, je deviens plus assertif, plus courageux dans mes prises de parole, plus à l’aise face à des inconnus, car ces petits actes de vigilance citoyenne, sorte de correction fraternelle, creusent en moi des sillons de comportement qui font de moi quelqu’un de meilleur. Donc on ne change pas le monde, on se change soi-même. Et si c’est le mieux que nous puissions faire, pourquoi attendre ?
Pour conclure, je voudrais insister sur le fait que ce que je propose n’est pas un pieux espoir que les citoyens s’y mettent. Ce sont des choses que des gens pratiquent tous les jours, tranquillement, sans médiatisation. Je tiens juste à les mettre en lumière.