Les bénéfices de la “présence attentive”

7 Mar, 2023 | ÉDUCATION & ENSEIGNEMENT

De multiples sollicitations nous volent notre attention, notamment par l’invasion des écrans ou nos rythmes de vies. Comment redonner toute sa valeur au moment présent, à l’ici et maintenant ? Anne Savi, spécialiste des apprentissages, praticienne et formatrice en gestion mentale*, explicite une pratique qui lui est chère : “la présence attentive”.

À propos d’Anne Savi

Anne Savi, spécialiste des apprentissages : “J’ai un drôle de métier : j’aide chacun à prendre conscience de ce qui se passe dans sa tête, en particulier en situation de réussite, pour pouvoir le transférer volontairement à des situations d’apprentissage qui posent problème. J’apporte mon aide aux élèves si, pour eux, apprendre devient compliqué ; je travaille avec les enseignants quand ils se posent des questions pour mieux accompagner leurs élèves ; je soutiens les parents qui se trouvent parfois en situation d’impuissance ou de conflit avec leurs enfants, au moment des devoirs du soir.

Au cœur de ma pédagogie, il y a la gestion mentale : il s’agit de saisir et mettre en lumière les processus mentaux que chacun déploie et peut enrichir lors de ses apprentissages. Cela aide autant les petits que les plus grands, car à tout âge, nous pouvons rencontrer des difficultés pour apprendre.

La présence attentive, pour palier à des problèmes d’attention

J’ai découvert la “présence attentive” en creusant le sujet de l’attention, qui est un point névralgique de mon métier. Les trois moments ci-dessous m’y ont amenée.

  • J’ai été particulièrement alertée par le cas d’un élève : le jour de l’examen, submergé par le stress, il n’a plus été capable de partager ses connaissances qui, pourtant, étaient bien dans sa tête. Une des solutions a été de travailler avec lui sur son souffle. Le travail sur une bonne respiration, comme une ancre, nous raccroche à notre mental.
  • En parallèle, je rencontrais beaucoup de jeunes avec des problèmes d’attention tels que : dispersions, difficultés de compréhension, de mémorisation… Comment protéger cette attention ? Comment l’entraîner ?
  • Dernier constat : le mal-être dans les classes. Élèves comme enseignants souffrent de l’agitation permanente et de la violence latente qui y règnent.

La présence attentive : toute la personne humaine

La présence attentive, c’est faire une pause et se reconnecter à soi-même. J’aime parler des « 3 C » : le cerveau (ce qui se passe dans la tête), le cœur (les émotions) et le corps. À ces trois “C”, j’en ajoute un quatrième : la conscience.

À travers son corps, ses émotions, ses ressentis, ses pensées, chacun peut apprendre à diriger son attention et reprendre les commandes de sa pensée.

L’être humain est complexe : il est impossible de séparer ce qui se passe dans le corps – si un enfant a faim ou soif, il ne sera pas attentif – de ce qui se passe au niveau émotionnel. L’apport des neurosciences est essentiel en nous montrant, en images, une l’activité cérébrale biologique sur laquelle nous n’avons pas
de contrôle ; mais nous n’en avons pas moins la capacité d’observer et explorer par nous-mêmes une partie conscientisable de notre pensée, en pratiquant un peu d’introspection ou de « regard intérieur ». Appliqué aux
apprentissages, c’est la question « Comment est-ce que je retiens telle information ? » ou encore « Comment je comprends ? », « Comment suis-je sûr que cette information est définitivement installée dans ma mémoire ? »… une présence attentive à ce qui se passe à l’intérieur quand on apprend.

Cette capacité essentielle de « regard intérieur » est également appelée « métacognition », aujourd’hui reconnue comme clef de la réussite.

Pratiquer la présence attentive

Concrètement, la présence attentive travaille, en premier lieu, sur la prise de conscience du souffle. Prendre conscience de sa respiration délivre de nombreuses informations sur son état émotionnel. Observer tout d’abord – dès que l’on est en état de stress, tout se bloque – et pouvoir ensuite agir pour reprendre les commandes en intervenant sur ce souffle : décider de respirer plus lentement, de souffler, et à travers cela de gagner en sérénité.

La présence attentive propose de s’entrainer à focaliser son attention – qui peut s’avérer très fluctuante – sur un objet, ou sur un ou plusieurs sons… Pouvoir repérer le moment où notre attention s’est échappée et la ramener sur son souffle est une capacité qui génère beaucoup de retombées positives pour les apprentissages : en classe, l’enfant devient alors en mesure de repérer quand son attention s’échappe et de la reconcentrer sur ici et maintenant.

Présence attentive

Se concentrer sur l’ici et maintenant : quelques bénéfices

Notre quotidien tourne à un rythme effréné et souvent, nous nous plaignons d’un manque de temps. Pouvoir se recentrer sur ici et maintenant offre recul, clairvoyance, calme pour choisir, décider, comprendre, apprendre, et se concentrer.

Cette tranquillité intérieure générée par la présence attentive évite de s’égarer dans des ruminations inutiles. Elle rend la vie plus savoureuse et génère de meilleures relations avec les autres, ne serait-ce qu’en les écoutant mieux.

Renforcer le lien parent-enfant

À quoi les parents doivent-ils faire attention ? Lorsque le parent est dans une présence attentive, présence mentale et non juste physique, il dit à l’enfant tu as du prix à mes yeux, je suis là pour toi, ce que tu vis m’intéresse. On comprend alors aisément pourquoi il est si important de se rendre disponible, de savoir être davantage qu’une simple présence physique.

Le parent peut montrer son attention en posant des questions en lien avec les apprentissages : qu’as-tu appris aujourd’hui ? Ça m’intéresse ! Question qui peut d’ailleurs aller dans les deux sens. Après avoir questionné l’enfant, le parent peut aussi dire aujourd’hui, de mon côté, j’ai appris…

Les enfants peuvent aussi commettre des erreurs. Et parfois, quand c’est un enfant plus âgé qui se trompe, on n’est pas forcément très patient. C’est dommage. Un petit exemple rigolo : un enfant qui, voyant une bogue de châtaigne, jubile à haute voix : Oh ! Un œuf de hérisson ! Et si on prenait le temps de questionner l’enfant avant de le corriger parfois abruptement ? Qu’as-tu voulu dire ? Quelle est ta logique ? Parce qu’évidemment, il y a une logique ! Cette manière de questionner va venir renforcer l’estime de soi de l’enfant, reconnu dans sa pensée.

Autre exercice pour aider l’enfant à prendre conscience de son intériorité : le coup de cœur de nos cinq sens. Le soir, en famille, se demander, chacun à tour de rôle : quel a été le coup de cœur de ta vue ? De ton ouïe ? etc. Cela peut être d’avoir vu des fourmis passer et de pouvoir les retrouver dans sa tête, pour le coup de cœur de la vue, ou, pour l’ouïe, retrouver dans sa tête un morceau de musique ! C’est très important de vivre des moments « avec
ses cinq sens » et de prendre le temps de les retrouver à l’intérieur de soi plus tard.

Entre fermeté et bienveillance

Comment être attentif aux besoins de l’enfant et renforcer son estime de lui-même, sans pour autant en faire un enfant-roi ? La ligne de crête se trouve entre fermeté et bienveillance. Je vous conseille à ce sujet la lecture de Jane Nelsen sur la discipline positive. Le parent propose un cadre bienveillant et offre ainsi à l’enfant la possibilité de choisir. Or, quand on choisit, on prend une responsabilité. C’est très important de faire pratiquer cela.

Dans le cas des devoirs, ce choix encadré pourrait être : à quelle heure préfères-tu faire tes devoirs : 16h30 ou 17h ? Le choix est forcément limité, et ce n’est pas demain ou à 19h, mais uniquement entre les deux éléments de l’option posée par le parent.

Gérer notre usage du numérique

Je lisais dans un article que les moyens numériques sont absolument irrésistibles… Comment lutter contre ces tentations (et ce craving) ? La pratique de la présence attentive y contribuera.

Sébastien Martinez a sorti un livre au titre très amusant : Comment briller en société sans son smartphone ? Prenons l’exemple d’un dîner où l’on veut parler du dernier livre que l’on a lu sans pouvoir se souvenir du titre. Même scénario pour le dernier film que l’on a vu. Et nous avons tous ce réflexe d’aller chercher la réponse chez Google. Notre mémoire s’externalise… S’en rendre compte et pouvoir reprendre les commandes de son attention et de sa mémorisation est typiquement un sujet que j’aborde et travaille avec les adultes.

Par ailleurs, il faut se souvenir que le parent est un modèle. Tout ce que fait le parent est observé : son attitude, la puissance de sa voix, ses interactions avec les autres, etc. Voilà pourquoi il est important de se poser la question : qu’est-ce que je fais de ce portable absolument envahissant ? Suis-je vraiment présent et disponible à l’autre ?

La puissance de la présence attentive

En résumé de tout cela, la puissance attentive conduit à une plus grande présence de chacun à lui-même, aux autres et au monde. Prendre son temps, respirer, contempler la Création et être dans la gratitude permet de mieux de trouver une paix intérieure. Il y a aussi besoin de cette intériorité dans la réussite des apprentissages.”


Pour aller plus loin sur ce sujet : Soigner son attention pour une mémoire stable : Anne de Pomereu

*La gestion mentale : “apprendre à apprendre”, Pédagogie des Gestes Mentaux de l’apprentissage d’Antoine de la Garanderie.

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