Cyril Leau est artisan vigneron du côté de Saumur, au Puy-Notre-Dame. Il est la troisième génération à prendre soin des vignes du Domaine Clo, qu’il a très rapidement choisi de travailler en agriculture biologique. Il raconte.
“Je suis bien conscient que tout était là avant nous et que tout sera certainement là après nous. Je me considère donc comme un passeur de témoin. Je travaille donc le mieux possible parce qu’il y aura une suite. De le savoir, c’est lourd en émotions et en exigence : on a envie de bien faire, voire de mieux faire.”
Cyril Leau
Présentation du domaine Clo, dans le Saumurois
Cyril Leau, artisan vigneron : “J’ai 46 ans. Je suis marié et, avec ma femme, nous avons deux filles. Je travaille sur le domaine Clo, qui compte une vingtaine d’hectares du côté de Saumur, dans le Val-de-Loire, à Puy-Notre-Dame, pour être précis.
Sur ces terres, on travaille la vigne avec le plus de cohérence possible. On tâche d’aller au bout de notre démarche en récoltant le raisin et en assurant la vinification, la mise en bouteilles et la vente de nos produits.
Le domaine Clo : le travail de trois générations
Je suis la troisième génération à travailler sur ces vignes. Mon grand-père s’est installé sur ces terres en 1950. Puis mon père a repris. Aujourd’hui, ce lourd héritage – qui est en même temps un bonheur quotidien – m’échoit.
Dès 2015, j’ai repris cet héritage avec l’envie de magnifier les choix qu’ont fait mon père et mon grand-père.
Je suis bien conscient que tout était là avant nous – ce paysage sublime, cette nature généreuse – et que tout sera certainement là bien après nous. Je me considère donc comme un passeur de témoin. Mes filles reprendront peut-être, ou pas. Quoi qu’il en soit, je travaille le mieux possible parce qu’il y aura une suite. De le savoir, c’est fort en émotions et en exigence : on a envie de bien faire, voire de mieux faire.
Chanceux, je travaille et vie dans un environnement sain et ressourçant. Le Domaine Clo est un terrain de jeu extraordinaire : le paysage est d’une grande beauté et le contexte environnemental est infiniment riche !
Le domaine Clo, révélateur de l’histoire de l’agriculture en France
Je n’ai commencé à travailler dans ces vignes que lorsque mon père est parti à la retraite. J’ai attendu ce moment avant de m’y investir parce que nous n’avons pas les mêmes façons de travailler…
Mais pour parler de cela, remontons le temps et remettons-nous dans le contexte : quand mon grand-père s’est installé, il s’agissait de produire, avant tout, pour atteindre une forme d’auto-suffisance. Ma grand-mère m’en parlait souvent : ils avaient une jolie ferme, 5 hectares de vigne, du blé, des vaches, quelques poules…
Ils vivaient notamment grâce au troc : lait ou œufs contre autres services. Et il y avait beaucoup d’auto-consommation, dont le vin, qui participait à donner de la force aux équipes ! À l’époque, il s’agissait d’une piquette peu alcoolisée.
Voilà quelle était la ferme de l’époque. Enfant, mon père a pu voir mon grand-père travailler avec des chevaux. C’était une vie de labeur, dure, prenante. Puis, il a vu arriver les pesticides. Rassuré par les prescripteurs, ça lui a paru magique ! Il pouvait enfin avoir du temps pour autre chose que pour le travail de la ferme !
En reprenant l’exploitation, il a donc travaillé avec les évolutions de son époque, dont les fantastiques solutions techniques et chimiques dont on assurait aux agriculteurs qu’elles étaient la clé du succès.
Quand je me suis installé en 2015, j’avais deux objectifs :
- produire propre, être fier de mon travail et droit dans mes bottes.
On est donc passé en bio très rapidement et on a banni toute substance chimique sur le vignoble. - aller jusqu’au bout du produit et vendre le vin du domaine. On a donc mis tous ces fruits en bouteille et on s’est lancé dans la création d’une marque, d’une identité… Challenge fou !
En me voyant passer en agriculture biologique, mon père a eu peur. Peur que j’y laisse ma santé en travaillant trop dur. Et peur pour les vignes. La vigne, c’est du végétal, du vivant. Ca enregistre tout ; ayant été habituée à pousser d’une certaine manière, elle va mettre un certain temps à s’adapter si vous changez ses habitudes… Exactement comme l’homme ou l’animal.
S’il me laissait faire à ma guise, les craintes de mon père ont tout de même perduré 2, 3 ans. Je pense qu’aujourd’hui, il est plutôt fier !
Domaine Clo : recréer ce que l’époque moderne a défait
Pour réinsuffler de la “biocohérence” au domaine, nous entretenons les murets, replantons des haies (8 kilomètres déjà ! Plantés avec des voisins, des étudiants et des écoles d’agriculture… une belle opportunité de recréer du lien et de se souvenir que le paysage appartient à tout le monde) et évitons le broyage des haies et des bandes enherbées pour favoriser la multiplication des insectes auxiliaires, de la faune et de la flore. Nous avons installé des nichoirs pour les chauves-souris et les mésanges. Dans les 8 kilomètres de haie, des arbres – dont des arbres fruitiers – ont été plantés. Il s’agit de vieilles variétés locales dont nous avons hâte de pouvoir nous régaler ! L’un de leurs nombreux avantages est évidemment d’offrir des zones d’ombre bien précieuses l’été.
Nous avons également recréé – exactement aux mêmes endroits ! – des trous d’eau qui avaient été bouchés par la génération précédente.
L’idée est de recréer des écosystèmes parcellaires – de petits clos, sortes de jardins – ou cohabitent les multiples modèles agricoles (bio et non bio).
La chance de notre génération est que la société est prête à valoriser ce travail titanesque, au travers de nos produits, en achetant nos produits…
Nos clients, amis, qui achètent une bouteille de vin, n’acquièrent pas seulement une bouteille de vin ! C’est le prolongement du travail, de la vigne à la cave, des hommes et femmes du domaine qui, chaque jour, travaillent et permettent de sublimer ces fruits en vin. La magie du terroir s’opère. Nos anciens disaient goûtez son vin, vous connaîtrez beaucoup du vigneron.
Au fond, nos clients achètent aussi de la cohérence dans la préservation de notre environnement !
Passer en agriculture biologique : assumer vis-à-vis des pairs
Il est parfois assez complexe d’évoquer ces sujets d’écologie, d’environnement, avec certains collègues et voisins.
L’agriculture est en pleine métamorphose : voilà une chose certaine. Il y a une sorte de choc des cultures entre ceux qui transforment leur rapport à la terre et ceux qui se disent que les pratiques non vertueuses peuvent perdurer. Ce modèle à vécu mais la situation environnementale est préoccupante et les adaptations nécessaires. Mais comment être capable de désavouer le travail de toute une vie ?
Je trouve difficile d’aborder ce sujet sans entrer dans un clivage stérile parce que, naturellement, c’est le consensus, la cohabitation intelligente qui me convient le mieux. Et puis, je sais d’où je viens et comment travaillait mon père. Chacun est respectable.
Cela dit, de temps en temps, nous essuyons des actes malveillants – nos haies sont écrasées – ou des critiques acerbes sur nos méthodes de travail et notre vision.
Mais ça c’est pas très grave ; l’essentiel est ailleurs. Je pense que ce qui fait la richesse de l’être humain est aussi sa diversité de pensées et d’énergies.
Être paysan, la voie de l’humilité
Il y a une forme d’humilité dans notre travail. La nature est au-dessus de nous, c’est une force qui nous oriente et nous contrôle et face à laquelle nous sommes impuissants.
Aujourd’hui, on vit un réchauffement climatique. Mais de tout temps, les paysans ont travaillé avec le climat. La météo est regardée avec attention la veille pour le lendemain. Elle organise les journées et conditionne notre humeur. Et elle peut sans prévenir tout mettre à terre : gel, grêle… les hommes ne maîtrisent pas cette force !
Tout cela nous rend humble. Il est impossible de dire “ça y est, j’ai réussi”, parce que dès demain, la nature peut tout dévaster.
Cela dit, j’ai en moi cette idée bien ancrée qu’il faut donner pour recevoir… et je compte sur ma bonne étoile pour avoir un peu de chance !
Le domaine Clo : laisser les millésimes s’exprimer
Chaque cuvée est parcellaire ; c’est-à-dire que nous isolons les raisins de chaque parcelle, sans mélange. Il me semble important de sortir du pur rationnel dans mon travail de vigneron. Je n’hésite pas à faire de chaque millésime une surprise, en retranscrivant dans la bouteille ce que l’année aura été : une fissure, une blessure, un aléa climatique… : voilà ce que l’on doit retrouver en dégustant les vins du domaine Clo !
Voilà pourquoi, dans la cave, on intervient très peu. Si chaque parcelle a son caractère, elle aura chaque année des humeurs différentes et ça se ressentira dans le vin. On pourra percevoir, à la marge, un peu de fruit, jaune ou blanc, ou plus d’acidité, par exemple. Et cela s’exprimera naturellement. Nous ne cherchons pas à créer un effet de lissage.
Un dernier message ?
J’ai envie de vous dire merci ; Mes propos, mon travail, sans vous, n’ont aucune importance.
Merci de prendre le temps de nous écouter. Merci de déguster nos vins. Et merci, si vous les aimez, de les faire connaître, de les commenter. Pour nous, paysans, c’est vital ! On se nourrit de ça. Notre travail n’a de sens que parce qu’il y a quelqu’un en en face, qui reçoit… Je crois d’ailleurs que c’est valable dans la vie, en général.”
Découvrir le site du domaine Clo : domaineclo.com