Prisca Bataille est psychologue clinicienne et hypnothérapeute. Elle raconte comment elle a découvert les supers pouvoirs des compétences psychosociales (“soft skills” en anglais) et leurs effets, une fois appliquées dans la vie des personnes qui s’en emparent.
Devenir psychologue de l’Éducation nationale
Après mon master II, j’ai obtenu un premier poste à la Courneuve dans un centre de Santé. J’ai pu y faire de la psychothérapie auprès d’adultes. Mon rôle consistait à les accompagner pour traverser les difficultés de leur parcours de vie.
En parallèle, je me suis formée à la thérapie brève systémique à l’Institut Grégory Bateson. Dans ce cadre, j’ai rencontré une personne travaillant au sein de l’Éducation nationale ; elle m’a conseillé d’y postuler en tant que psychologue. J’arrivais en fin de contrat à la Courneuve – c’était un remplacement de congé parental d’un an et demi – les opportunités étant rares quand on est jeune psychologue, j’ai accepté l’idée. Sans être particulièrement attirée par l’Éducation nationale au départ car à cette époque, pour être honnête, travailler avec des jeunes ne m’attirait pas du tout !
J’ai donc postulé à Aulnay-sous-Bois, dans un collège d’éducation prioritaire, où j’ai été recrutée. Petit à petit, en accompagnant les élèves et en faisant de belles rencontres, mon regard a évolué. J’ai fini par éprouver un réel plaisir à m’investir dans cette mission et à découvrir une vraie passion pour l’éducation. J’y suis restée cinq ans et dans ma tête, c’était clair, je ferai ma carrière dans l’éducation.
Au bout de trois ans, cependant, en dépit de mon investissement, force a été de constater quelques pierres d’achoppement :
- Beaucoup d’échecs scolaires ;
- Des jeunes qui ne savent pas gérer leurs émotions ;
- Des élèves qui ont une très faible estime d’eux-mêmes ;
- Beaucoup de violence et d’agressivité dans les relations.
Tout ceci a un fort impact sur la scolarité des élèves, ces derniers n’arrivant pas à se concentrer en classe et à écouter l’enseignant.
Suite à ce constat, je me suis dit qu’il fallait que je travaille autrement. Jusqu’ici, j’apportais un soutien psychologique. Il me fallait maintenant agir, en faisant de la prévention, pour éviter à ces enfants de souffrir de ces constats.
Découvrir l’impact des compétences psychosociales
Mais quelle est la source de ces problèmes ? De nombreuses recherches m’ont menée à la découvertes des compétences psychosociales. Déclic immédiat : j’allais mettre en place des programmes pour développer celles des élèves ! Un excellent moyen d’outiller le jeune et lui permettre de s’épanouir, notamment dans ses relations avec les autres.
À titre expérimental, avec une conseillère principale d’éducation (CPE), j’ai monté un programme sur 10 séances pour une classe de troisième. Cette classe n’avait pas été choisie au hasard : d’importantes difficultés relationnelles existaient au sein de ce groupe d’une douzaine de filles. D’autant plus préjudiciables qu’elles suivaient un parcours sportif dans une section foot. Cette absence de cohésion avait clairement joué un rôle dans les échecs répétés de l’équipe à chaque match de l’année précédente. Beau challenge à relever : comment recréer une harmonie au sein de ce groupe ?
J’ai travaillé différentes thématiques avec ces élèves : connaissance de soi, gestion des émotions, confiance en soi, estime de soi et écoute. Tout cela au travers d’expériences ludiques ; Les compétences psychosociales, ça se vit ! D’une expérience émotionnelle vécue, on tire un apprentissage qui va s’ancrer dans le temps. On apprend avec le coeur et non avec la tête.
Petit à petit, une transformation s’est opérée : les filles ont commencé à se refaire confiance, les langues se sont déliées dans un climat de plus en plus respectueux, des pardons ont été échangés, réinstaurant une belle dynamique. Et en fin d’année – cerise sur le gâteau – elles ont remporté leur match !
La preuve de l’importance des compétences psychosociales était faite : elles favorisent un regain de confiance, une meilleure communication et des relations plus fluides.
Prendre soin non seulement des enfants mais aussi des parents
À la fin de ma cinquième année à Aulnay-sous-Bois, j’avais besoin de me lancer de nouveaux défis. J’ai quitté l’Education Nationale. Je partais toutefois avec de belles réalisations que j’avais envie de continuer à développer.
J’occupe aujourd’hui deux postes à mi-temps. Dans l’un, j’exerce en libéral à Levallois-Perret et pratique la thérapie brève stratégique et systémique puis l’hypnose ericksonienne. Dans l’autre, embauchée par la mairie d’Aubervilliers, j’interviens dans différents établissements scolaires de la ville pour développer les compétences parentales et travailler avec les enfants et les parents une fois par semaine sur 14 séances, en abordant les thématiques suivantes : renforcer le lien parents-enfants, travailler la communication, la discipline positive, la gestion des émotions, la résolution de problème, la gestion des écrans, etc.
Si l’on travaille seulement avec l’enfant et l’enseignant à l’école sur les compétences psychosociales, il manque un maillon de la chaîne. Il faut donc intégrer les parents à cette aventure, pour assurer une vraie cohérence et ancrer ces pratiques dans le quotidien de l’enfant.
Qu’est-ce qu’une compétence psychosociale ?
Les compétences psychosociales – car il y en a plusieurs – est le terme français équivalant de soft skills en anglais. Le terme a été mis en avant en 1993 par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui définit les compétences psychosociales comme la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental en adoptant un comportement approprié et positif à l’égard des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement.
Les compétences psychosociales permettent donc à la personne d’avoir des outils pour être bien avec soi-même et avec les autres, dans tous les types de situation au quotidien.
Selon l’OMS, on compte 10 compétences psychosociales pouvant être classées par paire :
- Savoir résoudre des problèmes, savoir prendre des décisions,
- Avoir une pensée créative, avoir une pensée critique,
- Savoir communiquer efficacement, savoir être habile dans ses relations avec les autres,
- Avoir conscience de soi, avoir de l’empathie,
- Savoir réguler ses émotions, savoir gérer son stress.
Il s’agit de la classification initiale. Il en existe d’autres aujourd’hui, présentées différemment.
Se connaître pour s’épanouir, avec les compétences psychosociales
J’ai rencontré de nombreux jeunes ne sachant pas vers quoi s’orienter. Quand on creuse, on se rend compte qu’ils ne se connaissent pas. Si on travaille la connaissance de soi dès le plus jeune âge, si on apprend à mettre des mots sur qui on est, ce qu’on aime, nos qualités et défauts, si les adultes valorisent les jeunes dans ce qu’ils savent faire de bien alors le travail d’orientation est beaucoup plus facile.
Apprendre à gérer ses émotions est important, notamment pour arriver à s’affirmer dans la société. Lorsque que l’on ne sait pas gérer et écouter ses émotions, soit nous les contenons, soit nous les exprimons d’une manière peu appropriée. Cela va créer un mal-être intérieur qui va mener à des troubles anxieux ou dépressifs, des problèmes d’addiction ou des comportements violents. L’accueil et le décryptage des émotions dès le plus jeune âge est un cadeau que l’on se fait pour sa vie entière… même si nous n’avons jamais fini de nous connaître !
Apprendre à savoir communiquer, travailler l’écoute, savoir bien rentrer en relation les uns avec les autres, travailler l’empathie, apprendre à s’écouter les uns les autres… tout cela est fondamental pour l’être humain.
Aujourd’hui, nous sommes dans une société de consommation où l’on a l’impression que l’on sera heureux en consommant toujours plus. Alors que le bonheur se trouve dans le lien qui se créée avec d’autres personnes. Lorsqu’il existe une cavité d’écoute, l’autre peut s’ouvrir, dire ce qu’il a envie de dire, avec son cœur ; c’est cela qui fait la richesse des relations humaines.
Aider les éducateurs : exemple de la carapace de tortue
L’exercice de la carapace de tortue fonctionne très bien pour les groupes d’enfants – et même les adultes ! Chaque petit se promène dans la classe avec une feuille scotchée sur le dos (sa carapace). Ses camarades, en passant, écrivent sur la feuille une qualité ou quelque chose de positif qu’ils pensent de lui. À la fin de l’exercice, il peut ainsi se rendre compte de l’image positive qu’il renvoie. C’est très valorisant et apaisant. Les enfants font l’expérience de la gratitude, un sentiment qui fait du bien et développent/renforcent leur estime d’eux-mêmes.
Grandir, ensemble
Les compétences psychosociales s’acquièrent et se développent par l’expérience, en se confrontant à l’altérité. C’est dans l’interaction avec l’autre que l’on va pouvoir prendre conscience des points à travailler. C’est une riche et belle expérience, que je conseille au plus grand nombre de vivre !
Pensez à vous et prenez du temps pour vous. Développez votre connaissance de vous-même, travaillez sur la gestion de vos émotions, apprenez à écouter davantage, travaillez votre confiance et votre estime de vous. Progressez toujours sur ce chemin-là et vous en sentirez les fruits. Bonne route !