Christophe Piquet est agriculteur et éleveur dans une ferme à Azé, dans le Sud-Mayenne. Il décide un jour de passer d’un modèle intensif à une agriculture biologique ; transition qui génèrent des difficultés mais également des joies lumineuses. Il raconte.
L’une des raisons pour lesquelles je suis passé à l’agriculture biologique, il y a 15 ans, c’est la communication ; pouvoir dire que c’est possible ! Je suis convaincu que cette transition nous conduira au bonheur. Et pour que le bonheur soit total, il faut qu’il soit partagé.
Christophe Piquet
Toute une vie sur la même terre
Christophe Piquet, agriculteur et éleveur : “J’habite sur l’exploitation agricole où j’ai passé toute ma vie. J’y suis né, y ai fait toute ma carrière et aujourd’hui, j’y consacre ma retraite, avec ma femme, mes trois enfants et huit petits-enfants.
Mon fils a repris l’exploitation et je travaille avec lui. Je me suis installé en 1982. À l’époque, on avait été formé pour PRODUIRE, on se consacrait essentiellement à la production et notre attention se focalisait sur le petit chiffre en bas du bilan.
J’étais d’accord pour nourrir mes compatriotes, évidemment, mais chaque fois que j’utilisais des produits de traitement, que j’arrachais un arbre, bouchais un fossé ou détruisais une prairie, une partie de moi sentait qu’elle faisait mal. J’ai quand même continué car auprès des banques, centres de gestion et autres coopératives agricoles, on n’avait quasiment pas le choix ; la méthode était imposée. C’est seulement après une trentaine d’années que je me suis rendu compte que cela n’était plus possible d’agir ainsi ; à la naissance de mes petits-enfants, j’ai changé mon mode de fonctionnement. J’ai commencé à travailler pour eux, plus pour moi.
Nous passons énormément de temps ensemble, avec mes petits-enfants ; ils suivent les infos, écoutent les hydrologues, climatologues et écologistes. En discutant ensemble, on se rend compte que l’agriculture biologique apporte de vraies solutions, concrètes, à toutes les problématiques évoquées par ces derniers. Avec des pratiques agricoles respectueuses, on travaille pour sauvegarder l’air, l’eau et la terre. Les trois choses essentielles, indispensables à la vie.
Agriculture biologique : nourrir la terre pour qu’elle nous nourrisse
Pour pratiquer l’agriculture biologique, il faudrait d’abord être agriculteur, connaître suffisamment la terre, les saisons, la complexité des interactions du vivant. Un exemple : pour être en mesure de semer du blé en culture biologique, il faut d’abord passer par une étape de prairies comportant plus de 50 % de légumineuses (luzernes, trèfles…), il faut des animaux à la pâture, replanter des haies et des arbres en agroforesterie. Et c’est quand cet écosystème est prêt – si l’on travaille, bien sûr, avec un système de rotations – que le champ des possibles s’ouvre : on peut faire du maraîchage, du blé, tout type de céréale…
Il faut d’abord nourrir la terre pour qu’elle nous nourrisse en retour. C’est la grande différence entre les deux agricultures : l’extensive, biologique, à laquelle je me suis convertie et celle dite “conventionnelle” ou intensive, où l’on ne tient plus compte de la terre. Le blé n’est produit qu’avec des moyens fossiles, la terre devient un support.
Alors oui, l’agriculture conventionnelle a permis de produire d’énormes quantités à faibles coûts. C’est la raison pour laquelle le consommateur pense qu’avec 11% de son budget, il peut réussir à se nourrir. Or, ce n’est absolument pas envisageable avec l’agriculture biologique puisqu’elle permet la régénérescence du vivant ; c’est un énorme investissement. Elle implique une dépollution en profondeur pour permettre la vie.
Avec l’agriculture biologique, il me semble qu’on participe à offrir aux générations à venir la possibilité de mieux vivre. Ce sont ceux qui les précèdent qui doivent préparer le chemin de ceux qui arrivent… Aujourd’hui, on vit comme si on était les derniers : après nous, le déluge !
Sortir de l’agriculture conventionnelle : efforts et récompenses
Passer d’un système intensif à une agriculture biologique demande un certain effort – en termes de finance, de temps passé, etc. Mais l’effort est infiniment petit par rapport à la récompense que l’on obtient. La première récompense est l’émerveillement. Dans notre ferme, on reçoit régulièrement des écoles. Les enfants sont timides en arrivant, mais après quelques minutes, ils sont transformés et émerveillés !
Dans les actions que nous avons menées avec mes petits-enfants, il y a la plantation de bambou, plante invasive qui n’est pas issue de nos territoires. Quel bonheur de se promener dans cette végétation de quatre mètres de haut (après trois années de plantation) où l’on peut observer un foisonnement de vie dont de nombreux oiseaux ; on peut même y croiser le Troglodyte mignon, l’un des plus petits passereaux du vieux continent, qui a un fichu caractère !
Et le bambou a de nombreux atouts : il ne brûle pas, il empêche les inondations en permettant à l’eau de pénétrer en profondeur dans les nappes phréatiques, après avoir été purifiée… Cercle vertueux !
Plus on favorise la biodiversité, plus on produit de la vie – et pas seulement une denrée alimentaire – et une vie possible pour les générations à venir. Il faut absolument qu’on s’engage tous : les agriculteurs pour produire sainement et les consommateurs, évidemment, pour consommer les produits qui rendent la vie possible. On n’y arrivera pas les uns sans les autres.
L’agriculture biologique : retrouver la fierté, après 5 ans difficiles
J’étais tellement fier de passer à l’agriculture biologique que j’ai été jusqu’à organiser des journées portes ouvertes il y a 14 ans. Et aujourd’hui, il m’arrive de revoir des personnes qui étaient venues en visite ce jour-là et qui m’avaient écouté raconter le pourquoi de ma conversion. Depuis, ces personnes mangent “biologique” et ils se souviennent mot pour mot de tout ce que je leur avais dit ! Être sur le terrain, voir les vaches se nourrir, élever leurs veaux… On comprend alors tout de suite ce qu’est un circuit court et l’importance d’un écosystème vertueux.
Il faut 5 ans pour réussir sa conversion en agriculture biologique et retrouver un rythme de production qui permet d’en vivre (il y a de très petites aides proposées par la PAC). Et dès la troisième année, il est possible de vendre ses produits sous cette appellation.
C’est un cycle long, lourd, qui nécessite de retrouver la sensibilité de la terre et qui implique de réadapter le matériel agricole aux nouveaux formats des champs. C’est quelque chose ! J’ai eu des périodes où j’ai eu beaucoup plus envie de pleurer que de rire… Je me demandais même si la décision que j’avais prise était bonne. Il faut vraiment le vouloir !
Mais je n’ai pas cédé. Et j’ai été aidé par un voisin qui m’a incité à tenir. Et le changement s’est opéré. Un changement total qui me procure un bonheur indescriptible ; un bonheur que je souhaite à tous.
Travailler en agroforesterie
Nous avons replanté des arbres dans des parcelles qui avaient été dévastées, pour redonner de la vie. De fait, en agriculture biologique, il n’y a pas que l’homme ! Toute la biodiversité qui l’entoure est indispensable.
Les arbres, plantés tous les 30 mètres en une belle rangée, apportent une ombre bienfaisante et redonnent ainsi du confort aux hommes, aux animaux, à la terre et à tous les végétaux. Ils permettre de stocker, purifier et réguler l’eau. L’agroforesterie réinstaure un écosystème à l’extérieur comme à l’intérieur de la terre. Quand on sait que 80 % de la vie est cachée dans la terre, on comprend l’importance des arbres et de leurs racines !
Agriculture biologique : un accomplissement
Quand j’écoute des émissions sur l’état de la planète, vous ne pouvez pas imaginer la joie que j’ai d’avoir fait le choix d’une transition en agriculture biologique.
Quand je me suis lancé, certains collègues me disaient : tu veux faire du bio ? OK ! Fais-en, cache toi et n’en parle à personne. C’est exactement le contraire que je fais là ! Car à partir du moment où l’on connaît la source du bonheur, il devient impossible de rester silencieux. Et le bonheur, pour qu’il soit total, il faut qu’il soit partagé.”
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