Quand l’orgue devient le métier d’une vie – Baptiste-Florian Marle-Ouvrard

28 Oct, 2024 | ART & COMMUNICATION

La musique dans la peau : Baptiste-Florian Marle-Ouvrard a choisi de faire de la musique en général – et de l’orgue en particulier – son gagne-pain. Titulaire de l’orgue Abbey de l’église Saint-Vincent-de-Paul de Clichy, co-titulaire de l’orgue de l’église Saint-Eustache à Paris, il raconte les joies et contraintes de ce fabuleux métier.

C’est cette capacité unique de la musique à nourrir notre âme qui fait qu’on ne cesse jamais d’en explorer les richesses.

Baptiste-Florian Marle-Ouvrard

Baptiste-Florian Marle-Ouvrard : qui êtes-vous ?

Baptiste-Florian Marle-Ouvrard, organiste : “Aujourd’hui, je suis un musicien français, concertiste international, enseignant d’improvisation et du répertoire français lors d’académies et de master-class.

J’ai su très jeune que je ferai de la musique mon métier. Dès l’âge de quatre ans, je me voyais compositeur, pianiste, chef d’orchestre – aujourd’hui, l’orgue me permet de synthétiser tout ça ! – c’est à cet âge, d’ailleurs, que j’ai commencé le piano.
J’ai découvert l’orgue à la maîtrise de Radio France, où j’étais jeune chanteur. Quand ma voix a mué, à l’âge de treize ans, je me suis tourné vers cet instrument qui me fascinait complètement.​

Pour en faire un gagne-pain, j’ai dû passer de nombreux concours dans diverses disciplines au Conservatoire de Paris. J’ai ensuite participé à plusieurs dizaines de concours internationaux, que j’ai remportés un à un, patiemment. C’est ainsi que je suis devenu titulaire des grandes orgues de l’église Saint-Eustache, l’un des deux orgues les plus emblématiques au monde, avec celui de Notre-Dame de Paris. La sélection était particulièrement difficile : nous étions plus de 50 candidats ; seulement deux d’entre nous ont été retenus. Je suis donc l’un des heureux élus sur cet instrument d’exception !

Et je suis également organiste titulaire de l’église Saint Paul à Clichy.

Orgue de Saint Eustache. Source : les orgues de Paris.

Pourquoi l’orgue vous fascine-t-il tant ?

L’orgue est une machine incroyable, bien plus complexe que le piano. Il y a notamment un clavier pour les pieds – le pédalier. L’organiste doit donc jouer simultanément avec ses pieds et ses mains. Quant aux claviers manuels, ils peuvent aller jusqu’à 5 sur un seul et même orgue !

À côtés de ces claviers se trouvent des manettes à tirer, qui permettent de varier les sonorités, qu’elles soient graves ou aigues, et de jouer avec les timbres. En les combinant, l’organiste peut créer une palette de sons comparable à celle d’un orchestre au complet​.

Rendez-vous compte : la taille de certains de ces instruments peuvent atteindre l’equivalent d’un immeuble de cinq étages !

Source de l’image : Isabelle Sebah – orgue-isabellesebah.com

Quelle est l’histoire de l’orgue ? Ne peut-on en trouver que dans les églises ?

L’histoire de l’orgue remonte à l’Antiquité, lorsque le physicien grec Ctésibios a inventé l’hydraule au IIIᵉ siècle avant notre ère. C’est le premier type d’orgue à vent dans lequel l’énergie d’une chute d’eau actionne un mécanisme alimentant l’orgue en air. Ce dernier est mis sous pression puis envoyé dans de petites flûtes en bois. Pour la première fois, le souffle humain est ainsi remplacé par un souffle mécanique. Le physicien a également inventé un système de tirettes permettant de sélectionner la flûte où l’air doit être envoyé et par là-même, le clavier.

Au fil des siècles, l’orgue a évolué, devenant d’abord un petit instrument portatif – le positif – pouvant être posé sur une table. Une personne à l’arrière manœuvrait deux petits soufflets et une personne à l’avant jouait sur le clavier. Au départ, l’orgue était un instrument populaire que l’on trouvait dans les foires, les fêtes, les cirques.

Ce n’est qu’à la Renaissance que l’orgue a progressivement trouvé sa place dans les églises. Il servait alors à accompagner les chants liturgiques, offrant un moyen pratique de remplacer plusieurs musiciens, en doublant toutes les voix grâce à la richesse de ses sonorités.

Une fois que l’orgue est entré dans les églises, il a fallu sonoriser de très grands lieux, tels que les cathédrales. Au XVIIᵉ siècle, on a donc commencé à construire des instruments de plus en plus grands.

Au XIXᵉ siècle, on va avoir des avancées technologiques. Le levier pneumatique, notamment, qui va soulager les efforts mécanique. Les dernières limites de taille s’envolent alors : avant cette invention, au-delà d’une certaine taille, l’instrument devenait trop dur à jouer. C’est à cette période que les plus grands instruments voient le jour, comme l’orgue de Notre-Dame de Paris et celui de Saint-Sulpice.

Et au XXᵉ siècle, l’orgue est électrifié. Aujourd’hui, l’orgue est majoritairement associé aux lieux de culte en France. Mais dans le reste du monde, on le trouve également dans des salles de concert, voire dans des centres commerciaux ou des grands hôtels !

À quoi ressemble le quotidien d’un organiste professionnel ?

Pour commencer, on peut dire que musicalement, l’orgue se suffit à lui tout seul ; de ce fait, l’organiste est généralement très seul. Et pourtant, l’orgue permet d’accompagner tous les instruments possibles, un orchestre, un chœur, etc.

Un organiste professionnel a souvent plusieurs casquettes. Il peut donner des cours. Et il a surtout une grosse activité de concertiste, avec de nombreux voyages à travers le monde. Qui dit concerts dit répétitions en amont. Et découverte de l’instrument, unique en son genre, sur lequel on va jouer.

Enfin, il y a tout l’espace dédié à la recherche, à la composition, à l’expérimentation et à la rencontre avec d’autres artistes aussi. Cela peut être, par exemple, avec des plasticiens qui vont solliciter l’orgue pour donner une signature sonore à une œuvre, ou des réalisateurs pour des musiques de films, ou encore des musiciens qui font de l’électro… Il y a plein d’ouvertures possibles !

L’orgue peut-il jouer tous les répertoires musicaux ?

L’orgue est un instrument incroyablement polyvalent, à l’image du synthétiseur.

En théorie, on pourrait jouer presque n’importe quel répertoire dessus. Mais chaque orgue a ses particularités. Par exemple, un orgue napolitain du XVIIᵉ siècle est conçu pour un répertoire spécifique de cette période et cette région. Il ne sera pas adapté pour interpréter de la musique française du XIXᵉ siècle, par exemple. Et l’inverse est également vrai.

Cela dit, certains orgues modernes sont construits pour permettre l’interprétation d’un large répertoire. Avec plus ou moins d’authenticité, on peut y jouer des œuvres allant de la Renaissance jusqu’à aujourd’hui, d’autant qu’il existe encore des compositeurs contemporains qui écrivent pour l’orgue.

Soit dit en passant, l’instrument ne se limite pas à la musique classique. J’ai eu, par exemple, l’occasion de collaborer avec un clarinettiste Klezmer et nous avons créé un répertoire unique combinant orgue et clarinette.

Être titulaire d’un orgue, ça consiste en quoi ?

La charge de titulaire dans une église est un privilège qui s’accompagne de nombreuses responsabilités.

La nomination du titulaire, effectuée par le curé de l’église, fait de l’organiste le référent attitré de l’orgue, en particulier pour son entretien. Cela implique une collaboration étroite avec les facteurs d’orgue, un peu comme on ferait appel à un garagiste pour une voiture, en consignant précisément chaque défaut à corriger. Dans certains cas, il arrive même que nous soyons amenés à réaliser de petites réparations nous-mêmes, sous les recommandations du facteur d’orgue.

Il nous est également demandé de jouer lors des offices religieux. Certains organistes sont de confession catholique, d’autres pas. Quoi qu’il en soit, nous nous devons tous de connaître parfaitement la liturgie, le rite, pour accompagner la prière des fidèles.

L’orgue Abbey de l’église Saint-Vincent-de-Paul de Clichy. Source : les orgues de Paris

Quelles sont les joie et difficultés de ce métier ?

L’une des plus grandes joies de ce métier est sans doute de pouvoir partager la musique avec les autres, de voir des personnes profondément touchées par la musique, parfois aux larmes. C’est cela, la plus belle récompense pour un organiste, et plus largement, pour tout musicien.

Attention toutefois à la sensation grisante provoquée par la puissance sonore de l’instrument : jouer de l’orgue, c’est un peu comme conduire une voiture de course : il faut maîtriser la machine et ne pas se laisser emporter par elle.

Le métier d’organiste comporte aussi son lot de difficultés. D’abord, comme pour beaucoup de carrières artistiques, il y a une part de précarité. Il faut être constamment sur le qui-vive, à imaginer la suite, car tout peut s’arrêter du jour au lendemain.

Ensuite, il y a la solitude : on passe de longues heures à répéter seul sur son instrument, parfois tard le soir. Dans certaines cathédrales très visitées, les seuls moments pour s’exercer sereinement sont après la nuit tombée. Cela nous place parfois à l’écart du rythme de vie classique du reste de la société.
Et puis, être organiste titulaire signifie jouer tous les dimanches pour les offices, sauf si l’on est en concert ailleurs. Là où la plupart des gens profitent de leur week-end, nous, nous sommes derrière nos claviers !

Pourquoi la musique est-elle si importante pour vous ?

Nietzsche a dit : “sans musique, la vie serait une erreur”. Je suis bien d’accord !

La musique accompagne tous les moments de notre existence, des célébrations joyeuses aux instants plus douloureux. Il est difficile d’imaginer une fête sans musique ; danser sans mélodie est toujours un défi ! La musique est un puissant vecteur de lien social.

Et puis la musique possède une dimension sociale indéniable : quand on écoute de la musique, on n’est jamais vraiment seul. À un moment ou à un autre, un être humain a participé au process, qu’il soit compositeur, instrumentiste ou autre !

Pour moi, la musique est une essence vitale – ne serait-ce que pour les vibrations émises par l’orgue, mesurables physiquement, que je peux ressentir. Et puis, elle offre une forme d’alimentation émotionnelle. La musique raconte des histoires, qu’il s’agisse d’une œuvre symphonique ou d’un opéra avec son livret et son argument narratif, qui peuvent susciter une introspection. Que l’on ressente de la joie ou de la mélancolie, la musique a le pouvoir de nous interroger sur nous-mêmes. C’est cette capacité unique de la musique à nourrir notre âme qui fait qu’on ne cesse jamais d’en explorer les richesses.

Un dernier message ?

Si vous n’avez jamais entendu un orgue de votre vie ou si vous avez des préjugés à son égard, il est temps de les mettre de côté et d’ouvrir votre esprit à cette découverte !
De même, si vous êtes réticent à la musique classique, pensant qu’elle est réservée à une élite, détrompez-vous : c’est totalement faux. La musique, y compris la musique d’orgue, est accessible à tous.

À ce sujet, nous proposons un concert gratuit tous les dimanches à Saint-Eustache, à 17h.

Et pour ceux qui rêvent de vivre de leur art, sachez que le talent ne représente qu’1% du succès, tandis que le reste repose sur un travail acharné. Tous les artistes vous le confirmeront : il faut beaucoup d’abnégation. Cela implique parfois de surmonter des échecs difficiles, de traverser des périodes de doute et des tentations de tout abandonner en se demandant si l’on est vraiment fait pour cela. Ces sentiments sont tout à fait normaux, mais il est essentiel de ne jamais lâcher. Il faut se relever et persévérer. La récompense qui en découle est merveilleuse, lorsque vous parvenez à l’atteindre.”


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