Quel futur voulez-vous construire ?

26 Déc, 2022 | ÉDUCATION & ENSEIGNEMENT, SOCIÉTÉ DE BIEN COMMUN

Selon un sondage Ifop réalisé pour Qare en août 2022, 71 % des 15-17 ans ont peur face à l’avenir. De fait, l’incertitude nous terrifie et l’avenir, sur lequel nous avons a priori peu de prise, apparait souvent effrayant et désenchanté. Peut-on appréhender le futur d’une autre façon ? Peut-on faire en sorte de l’orienter, d’agir dessus ? Camille Gauthier, chercheur intervenant en prospective et stratégie, propose des pistes pour retrouver une forme de sérénité.

“Dans le futur, il y a une capacité incroyable à mettre en mouvement de profonds changements.”

La prospective : une discipline complète

Camille Gauthier, chercheur intervenant en prospective et stratégie : “C’est par une rencontre – avec Michel Saloff-Coste dans le cadre de ses ateliers Trouver son génie – que j’ai découvert la prospective à un moment où elle était beaucoup moins pratiquée qu’aujourd’hui. J’ai tout de suite était conquis par cette approche qui consiste à aller explorer les futurs possibles dans toutes leurs dimensions (géopolitique, environnementale, sociologique, technologique…) pour mieux comprendre et décider dans le présent.

Il y avait pour moi tout ce qui piquait naturellement ma curiosité qui était convoqué dans le travail prospective : futur géopolitique, climatique, sociologique, technologique…

Et en plus de cela, et peut-être surtout, cela apportait une réponse aux frustrations que je ressentais en tant qu’accompagnateur de changement (Développement durable principalement à l’époque) sur la difficulté à impulser de réels changements profonds ; or, j’ai tout de suite senti que dans nos projections dans le futur résidait une capacité incroyable à mettre en mouvement de profonds changements.”

La prospective : appréhender le futur via de nombreuses approches

C. G. : “Lorsque l’on travaille sur le futur, il y a beaucoup de concepts et d’approches différentes qui permettent de faire globalement la même chose : explorer le futur, le champ des possibles, pour revenir dans le présent en ayant davantage conscience de ce qui se joue.

La mécanique est assez simple : je vais aller voir ce que pourrait être demain pour m’informer sur ce que j’ai envie de faire aujourd’hui. Un exemple un peu trivial : si j’ai envie d’être cuisinier dans un grand restaurant dans quelques années, cela signifie qu’aujourd’hui, il faut que je mette en place un certain nombre d’actions (formations, stages…) qui vont faire qu’à terme, je pourrai atteindre mon but. Sans la validation de ces étapes, je ne deviendrai jamais chef cuistot. Voilà donc de quoi il s’agit en prospective : se projeter dans les futurs possibles pour, au présent, déterminer une stratégie d’action. 

Ce que l’on appelle futur studies en anglais – il n’y a pas vraiment d’équivalent en français – englobe différentes approches. Si les méthodologies prospectivistes sont relativement simples et accessibles, il y a une vraie attention à avoir sur l’état d’esprit avec laquelle on les applique. Voilà pourquoi il peut être intéressant, au moins pour une première fois, d’être accompagné par des personnes dont c’est le métier.

L’objectif est d’aller explorer librement un champ des possibles, sans chercher à savoir ce qui va réellement advenir. On ne va pas chercher LA vérité mais plutôt éclairer les facettes du présent : il n’y a pas UN scénario qui va se réaliser contre TOUS les autres. Tous les scénarios vont, pour partie, être une dimension du futur, sans s’exclure nécessairement les uns les autres. ”

Prospective : méthode des scénarios et littératie du futur

C. G. : “On peut impacter le présent en se projetant dans le futur par le biais de construction de scénarios qui répondent aux questions suivantes :

  • Que pourrait-il se passer dans le futur ?
  • Et si tout restait comme aujourd’hui ?
  • Où serons-nous en 2030 ?
  • Si ruptures majeures il y a – climatiques, géopolitiques ou autre – dans quel monde cela nous projette-t-il ?

Avec tout cela, on se donne un champ des possibles, une compréhension large de ce qui pourrait advenir. La deuxième salve de questions sera alors :

  • Qu’ai-je envie d’éviter ?
  • Qu’ai-je envie de vivre et qui rejoint mes appétences profondes ?

À partir des réponses apportées, on va agir dans le présent en étant beaucoup plus conscient et informé des enjeux, des décisions que l’on prendra.

L’Unesco considère aujourd’hui que cette capacité à travailler avec le futur fait partie des compétences clés à acquérir dès le plus jeune âge, pour réussir le XXIᵉ siècle. Ils ont d’ailleurs nommé cette compétence la littératie du futur, et la définissent comme capacité à imaginer et construire d’autres futurs.”

Prospective : se confronter (sereinement) à l’incertitude

C. G. : “Quand on travaille sur les futurs, de fait, on est confronté à l’incertitude. La règle de base du futur est que l’on ne sait pas ce qui va se passer.

L’une des clés en prospective est donc de conscientiser l’incertitude : revenir de ces allers-retours futur-présent en comprenant ses marges de manœuvres dans ce que l’on appelle la structure, les éléments qui ne vont pas bouger facilement.

Je pense que l’on peut anticiper sereinement le futur. Ma conviction est que le fait d’anticiper le futur de manière construite, méthodologique, permet de sortir d’une forme de boîte noire du futur. On pourrait rapprocher ça du travail fait en thérapie.

Dans le passé, on a un certain nombre d’éléments qui ont pu nous marquer, nous traumatiser en profondeur et qui limitent notre capacité de libre arbitre dans le présent, puisque l’on est victime de certains schémas répétitifs. Le futur, c’est un peu pareil : si on ne s’y projette pas, on est victime d’une imagination pauvre par défaut. On nous a imposé ou transmis des visions du futur qui peuvent nous limiter dans notre capacité à penser autrement.
Ainsi donc, pour le regarder sereinement, la première chose à faire, est de… le regarder ! Cela nécessite de se confronter à l’incertitude du futur qui, au premier abord, peut être un peu inquiétante.

Pour reprendre cette métaphore de la thérapie, travailler sur ses traumatismes n’est pas forcément quelque chose de très agréable, et pourtant, cela peut nous libérer. De la même façon, affronter l’incertitude du futur nous permet de sortir du déni et d’une espèce d’angoisse face à un futur qu’on a l’impression de ne pas maîtriser. 

Certes, le futur n’est pas écrit. Certes, il est incertain. Mais la prospective me permet de découvrir là où j’ai des marges de manœuvre, une forme de liberté, en comprenant quel est le terrain de jeu à venir. On peut alors se donner les moyens d’y être acteur et plus seulement un figurant, qui subit les chemins montrés par d’autres. On obtient toute une série d’informations qui vont nous aider à piloter au mieux notre bateau dans cet océan mouvant qu’est la vie.

Et ça change tout, d’être acteur, en termes de rapport serein et sain au futur.”

envisager le futur avec Camille Gauthier

Futurs possibles : est-il légitime d’avoir peur ?

C. G. : “C’est sûr qu’aujourd’hui, quand on voit certaines projections du futur – notamment liées à l’urgence climatique ou aux questions migratoires associées à des problématiques géopolitiques -, on voit bien qu’il y a un durcissement des tensions entre différents acteurs à l’échelle mondiale.

Il y a des moments où l’on peut donc facilement être pris dans des scénarios du pire et craindre ce qui pourrait arriver. Ce n’est pas toujours simple de rester serein par rapport à tout cela.

Pour autant, quand on commence à tomber dans cette spirale négative, je pense qu’il y a des façons de regarder différemment la situation ; cette attitude peut nous aider à continuer à agir, avec les yeux ouverts, sereinement, pour essayer de construire des futurs différents de ces prévisions cataclysmiques.

Première chose à garder en tête : tous ces éléments extrêmement négatifs, très prenants émotionnellement, sont une part de la réalité, mais ne sont pas TOUTE la réalité. Il y a des incertitudes ; on évolue dans un monde où rien n’est écrit. S’il y a des craintes par rapport aux projections climatiques, à l’évolution de la biodiversité, etc., il y a aussi des éléments extrêmement rassurants. Parmi eux, l’évolution sociologique, avec une prise de conscience de plus en plus large sur ces sujets-là. On peut imaginer qu’à un moment, nous atteindrons un seuil critique ; nous serons suffisamment nombreux à être sensibilisés et prêts à agir pour que des changements se mettent puissamment en route, avec des logiques de dominos très fortes.
Il y a également des éléments – sans virer dans le techno-solutionnisme – de réassurance sur le fait que la science progresse vite. Si, demain, les logiques d’action sous-jacentes à la science sont davantage mises au service du vivant et moins au service du progrès économique et technologique, on pourra alors imaginer développer plein de choses extrêmement puissantes qui participeraient à la construction d’un monde plus juste et équilibré.

On voit de nombreux signes d’émergence d’une conscience planétaire, notamment chez les jeunes générations, qui nous amènent à penser qu’il pourrait y avoir des sauts paradigmatiques : quand l’énergie humaine se trouve centralisée sur une logique d’action, il y a des émergences, difficiles à anticiper, qui sont extrêmement puissantes.

Premier élément donc : ne pas s’enfermer QUE dans les visions négatives. Beaucoup de choses positives progressent également.”

Futurs possibles : des éléments pour se rassurer

C. G. : “Deuxième chose : comment se rassurer par rapport au futur ? Le plus simple est d’AGIR.

Devenir acteur est une façon-clé d’avoir le sentiment de reprendre la main et de plus subir des visions négatives de ce qui pourrait nous arriver.

Personnellement, j’ai décidé de le faire en travaillant sur des sujets de prospective. Créer de la conscience, une éducation autour de ces sujets pour que chacun prenne conscience que le futur, pour partie, reste à construire. On a beaucoup plus de libre arbitre que ce que l’on pense. Si, aujourd’hui, on décidait collectivement de régler le problème du changement climatique, ce serait faisable ! Les solutions existent, on connaît les chemins à suivre. C’est donc beaucoup plus une problématique de conscience et de canaux.

Il y a beaucoup de choses à inventer pour continuer à répondre à nos besoins sans pour autant détruire la planète. Devenir acteur est donc une autre façon de répondre à cette angoisse intérieure légitime par rapport à ce qui se passe.

Quand je réfléchis à ces sujets-là et que je me sens un peu moins bien, il y a une citation du poète allemand Hölderlin qui m’inspire enfin beaucoup : “Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve”… C’est peut-être le dernier point d’optimisme que j’ai : quelque part, plus la situation est désespérée, plus des énergies fortes vont émerger.”

Prospective : de l’écologie humaine !

C. G. : “Quand on m’a présenté le concept d’écologie humaine, j’ai vu des liens assez forts avec ces dimensions d’incertitude dans le futur.

L’écologie, par nature, est quelque chose d’écosystémique et de complexe : pour préserver l’écologie, on doit être capable de comprendre sa propre nature, le fonctionnement de sa propre écologie, et de mettre cela en résonance avec son environnement.
Comment est-ce que j’arrive à répondre à mes besoins physiques, intellectuels et spirituels, tout en étant à l’écoute de ce qu’est capable d’offrir – ou non – mon environnement ? Comment trouver ma place sans trop perturber les équilibres existants, et en laissant aux autres vivants, quels qu’ils soient, leur place dans ce même environnement ?

En ça, je trouve qu’il y a des liens extrêmement forts avec le rapport que j’entretiens avec le futur. Là aussi, c’est un rapport de résonance : dans le champ des possibles, qu’est-ce qui se joue ? Comment je me positionne ? Où sont les équilibres et les contraintes ? Où est la liberté ? Et comment est-ce que j’arrive à trouver ma capacité personnelle à agir, tout en respectant un équilibre global du futur ? Quels moyens d’action je me donne ? Ce sont donc ces mêmes logiques de résonance : trouver sa juste place dans l’espace – quand on parle d’écologie humaine – et dans le temps, par rapport aux autres générations, par exemple, quand on parle de futur.

Au final, l’écologie humaine et le travail avec le futur sont deux approches différentes nourrissant une même problématique : 

: trouver sa place, vivre pleinement en tant qu’individu, en tant qu’espèce, en tant que génération, tout en respectant la place des autres individus, des autres espèces et des autres générations dans la chaîne de la vie.

Et il y a quelque chose ici qui me semble vraiment très lié et avec une logique relativement similaire.”

Prospective : un dernier message

C. G. : “Il y a vraiment une nécessité, aujourd’hui, d’accepter de faire face à l’incertitude et à la complexité. La nécessité de ne pas chercher de solutions trop simples, unilatérales, aux problèmes extrêmement complexes auxquels on fait face.

Il y a toujours la tentation d’être soit dans le déni des problèmes quand on n’a pas la solution, soit dans la recherche de LA solution absolue à l’ensemble des problèmes : refermer les frontières, aller tous vivre dans des écovillages, le techno-solutionnisme…

On voit émerger des approches monolithiques, qui, en général, sont en opposition frontale et absolue avec toutes les autres. Vous l’aurez compris, avec la prospective, avec les scénarios du futur, avec la complexité et le fait d’assumer l’incertitude, on est obligé de réfléchir à la portée, à la dimension de chaque chose.

Il faut surtout ne pas tomber dans des logiques de clocher qui nous opposent, qui nous empêchent de faire société d’un côté et de l’autre, de trouver des solutions complexes à des problèmes complexes.”

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