Réhabilitation du lombric

31 Mai, 2021 | NATURE & ENVIRONNEMENT

La prise de conscience de l’utilité du modeste et vorace ver de terre se généralise. Quand on creuse le sujet, surgit une vie souterraine qui n’a rien à envier, en complexité, aux animaux plus réputés. Une chronique animalière présentée par Tugdual Derville, co-initiateur du Courant pour une écologie humaine.

L’animal dont je vais parler a provoqué un vif incident lors d’un colloque auquel je participais dans une faculté de théologie pour célébrer l’encyclique Laudato Si’. Un savant orateur, qui dénonçait l’anthropomorphisme qui nous pousse à protéger plus volontiers les bêtes qui nous ressemblent que celles qui nous rebutent, a fait l’erreur de sa vie en illustrant son propos par ces mots : « Il ne viendrait à personne l’idée de défendre le ver de terre ! » Horreur, malheur ! Bronca immédiate. Notre pauvre théologien ignorait à quel point le lombric est le chouchou des défenseurs de la planète !


Le ver de terre, c’est la vie. Aristote le nommait déjà « intestins de la terre ». Figurez-vous que le lombric pourrait peser à lui tout seul de 60 à 80 % du poids total des animaux terrestres. Il y en aurait en France, en certains endroits, jusqu’à 2 millions à l’hectare ! Soit plusieurs tonnes. Et chaque lombric mange au moins tous les jour l’équivalent de son poids. Quand je dis LE lombric, je simplifie : on en distingue 7000 espèces ! Les géodrilologues (spécialistes des vers-de-terre) les ont classés en trois catégories : ceux qui rampent en surface, ceux qui creusent horizontalement, et ceux qui creusent verticalement. Leurs mœurs sont plus sophistiquées qu’il n’y parait. Je creuserai pour ma part celles du célèbre ver-de-terre commun (lumbricus terrestris). Vous savez, c’est lui qui laisse au sol des entrelacs de terre agglomérée. Ces « torricules » que craignent les gestionnaires de golf et de terrains de sport sont leurs déjections. Notre lombric commun est un foreur à la verticale qui vit dans un puits de deux à trois mètres de profondeur. Il a besoin d’un taux ajusté d’humidité, remonte en surface en cas d’averse pour échapper à la noyade et redescend prestement quand le soleil revient pour éviter la dessiccation. Car il respire l’oxygène de l’eau qui l’enveloppe constamment.


Je ne détaillerais pas les multiples étages du système digestif ultrasophistiqué de notre lombric, ni son mode de reproduction. Hermaphrodite comme l’escargot, chaque individu dispose d’organes génitaux complets, mâles et femelle, en vue d’un double accouplement. Il utilise pour développer ses œufs le large anneau lisse qui orne la première moitié de son corps. N’écoutez pas ceux qui prétendent qu’on le duplique en le coupant en rondelles. Seul une des parties rompues peut survivre et régénérer le reste, et encore, à certaines conditions.


Nos ancêtres ont longtemps cru que le ver-de-terre dévorait les plantes vivantes comme une larve de hanneton. Il n’en est rien. Non seulement, il les épargne, mais son inlassable travail de dégustation du sous-sol contribue grandement à leur bien-être. Une terre sans ver est bien moins productive en légumineuses qu’un sol infesté de lombrics.

Charrue biologique, notre ver, en aérant la terre avec ses galeries, sans perturber son fragile écosystème, facilite son drainage quand il pleut et limite l’érosion par ruissèlement ; il remonte vers la surface les nutriments minéraux et végétaux décomposés dont la plante a besoin en y ajoutant ses propres bactéries intestinales. Ce ne sont pas les lombriculteurs de plus en plus nombreux qui me démentiront : pour tout amoureux de la nature, soucieux de la vie sur terre – et correctement informé – le lombric est l’ami public numéro un.

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