Crier “Stop !” au bon moment, enseigner la gestion de la frustration, faire confiance : être parent, c’est tout ça à la fois, et même plus. À une époque où le contexte éducatif se complexifie, les modèles de transmissions évoluent et les injonctions à la perfection (tant pour les parents que pour les enfants) se multiplient, doit-on réinventer l’éducation ? Benoît Rengade, conseiller conjugal et familial, propose des pistes de réflexion.
À propos de Benoit Rengade
Benoit Rengade a commencé sa carrière dans l'industrie, où il a passé 23 ans en tant que cadre commercial, avant de devenir conseiller conjugal et familial.
Depuis presque 10 ans, par ailleurs, il est engagé au sein de l'AFM-Téléthon.
Il vit en famille recomposée, avec 8 enfants au total.
Ces multiples expériences font de lui un spécialiste de la relation, attentif à la qualité, la fragilité et la complexité du lien humain.
Quid du contexte éducatif dans nos sociétés modernes ?
Benoit Rengade, conseiller conjugal et familial : “L’éducation des enfants est un sujet qui interpelle les adultes de tous temps. Mais plusieurs changements sont notables aujourd’hui, qui complexifient le contexte et transforment la relation parent-enfant.
Ce qui fait famille a changé fondamentalement sur les 200 dernières années. L’invention du mariage d’amour, apparu au XIXᵉ siècle, a modifié la manière dont nous concevons le couple et la famille. Les parents actuels sont les enfants du mariage d’amour, et leur éducation s’est construite sur des principes bien différents de ceux qui existaient auparavant.
L’une des conséquences de ce mariage d’amour est la suivante : autrefois, c’était le couple qui définissait la famille, tandis qu’aujourd’hui, ce sont davantage les enfants.
En parallèle, la structure familiale a profondément évolué. Aujourd’hui, en France :
- 65 % des enfants naissent hors mariage,
- à peu près 68 % vivent dans des familles dites traditionnelles,
- 20 % des enfants vivent dans des familles monoparentales,
- 11 % vivent dans des familles recomposées.
Par ailleurs, la place du père n’est pas la même qu’hier et les changements sociétaux auxquels nous faisons face sont tellement rapides que l’expérience des parents semble vite obsolète, dépassée, face aux problématiques auxquelles sont confrontés les enfants.
Renoncer à être un parent parfait pour être “suffisamment bon”
Globalement, aujourd’hui, nous sommes tiraillés entre deux extrêmes : réinventer l’autorité parentale et favoriser l’éducation dite positive ou bienveillante. Quelle est donc la recette pour devenir des parents parfaits ?
Cette question n’a, en réalité, pas lieu d’être car l’éducation ne se résume pas à une méthodologie précise, comme dans un processus industriel. Ce qui fait que l’on est parent, c’est notre pâte humaine – ce que nous sommes, avec nos forces et nos faiblesses – soit beaucoup de choses dont nous ne sommes pas forcément conscients.
Écueil d’importance : vouloir protéger les enfants de la vie même, en le surprotégeant. Le phénomène des “parents hélicoptères“, pour reprendre une expression de Bruno Humbeeck, décrit le parent qui semble toujours « voler » au-dessus de son enfant pour prévenir les possibles dangers et les difficultés, ce qui peut nuire à la confiance et l’autonomie de l’enfant. Le parent hélicoptère attend de son enfant de réussir – une réussite qui correspond au point de vue du parent, bien entendu…
Il y a, dans l’air du temps, une injonction diffuse à la performance. Et n’est-ce pas naturel que les parents qui souhaitent être parfaits aspirent à avoir des enfants parfaits ? Le souci d’excellence des parents se retrouve dans tous les aspects de leur vie, tant professionnelle que personnelle, et cela se traduit par une approche très professionnelle de l’éducation… On a l’impression que, plutôt que d’avoir des enfants, on a un véritable projet parental ! Si, dans un sens, cet investissement peut être souhaitable et positif, la pression exercée par ces parents extrêmement exigeants peut devenir très lourde pour “les enfants de l’amour”, qui n’auront pas toujours la capacité ou le caractère nécessaire pour s’en défaire…
Les parents ont tendance à se projeter énormément sur leurs enfants alors qu’en réalité, pour reprendre les mots du pédopsychiatre anglais Donald Winnicott, ce qui compte, ce n’est pas d’être parfait, c’est d’être des parents “suffisamment bons“. Saurons-nous nous résoudre à être des parents juste suffisamment bons ?
Quoi qu’il en soit, je crois qu’il faut rester très humble : il n’y a pas de recette assurée pour être un bon parent. Et il y a une part de chance : vous ne contrôlez pas la vie de votre enfant. Vous faites juste ce que vous pouvez, le mieux possible.
Les fondations d’une relation parent-enfant saine
Si l’on devait définir des règles plus précises que cette simple maxime “être suffisamment bon”, pour éduquer son enfant sainement, il faudrait mentionner l’importance de renoncer au “contrôle absolu” : il n’est pas possible de tout contrôler. Nous avons souvent tendance à avoir beaucoup d’illusions sur nos enfants, notamment à l’adolescence. Nos chers petits ne sont pas forcément les anges que nous croyons ! Ils jouent avec nous un rôle qui correspond aux attentes qu’ils perçoivent de notre part.
À partir de l’adolescence, se développe chez l’enfant – et c’est normal – un territoire de l’intime, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Robert Neuburger : leurs pensées, leur chambre, leurs relations. Et à ce moment là, l’influence du groupe de pairs va prendre le pas sur l’influence parentale. Et ça, c’est quelque chose que non seulement on ne peut pas contrôler, mais qui est souhaitable. Ça fait partie de l’émancipation progressive des enfants et ça leur permet de devenir eux-mêmes.
Il est aussi essentiel de construire une relation de confiance. C’est facile à dire, moins à faire car la confiance se construit pas à pas et peut être facilement compromise. Et l’injonction perpétuelle à l’excellence n’est pas de nature à l’établir dans une relation parent-enfant. Pour bien faire, les parents doivent enseigner quelque chose qui soit à peu près congruent avec ce qu’ils sont ; si des incohérences se font jour entre parole et comportement, c’est ennuyeux.
Disons, pour aller plus loin, que la confiance repose sur quatre paramètres :
- la crédibilité : vous avez une connaissance que les enfants n’ont pas,
- la fiabilité : vos paroles et vos actes sont alignés,
- l’intimité : ce n’est pas quelque chose qui se décrète mais qui se construit. S’il faut renoncer à l’idée que vos enfants vous diront tout, il est tout de même possible d’établir un lien qui permet à l’enfant de vous solliciter en cas de besoin,
- le dévouement : ce que vous faites pour vos enfants est vraiment pour eux et pas pour vous. Arriver à faire en sorte que l’enfant puisse devenir ce qu’il est, tel qu’il le souhaite, indépendamment des projets que vous pourriez avoir pour lui, est une vraie gageure.
Il va sans dire que l’éducation évolue avec les cycles de vie ; il est donc important de les repérer. Ce qui a fonctionné à 12 ans ne marchera pas à 17. À cet âge, l’éducation est faite, pour l’essentiel. Il est trop tard pour infléchir la course. Le rôle des parents devient alors de préparer l’enfant à quitter le nid, ce qui va fondamentalement changer le rapport qu’ils auront avec leur enfant.
Au sujet des parents : tout couple est interculturel
Tout couple est interculturel : cela demande des ajustements que de s’adapter aux façons de faire de l’autre famille. Prenons un exemple simple : dans la culture familiale d’un des conjoints, on a l’habitude de verbaliser les choses, et quand quelque chose ne va pas, on provoquera des explications. Dans la culture de l’autre conjoint, on observera l’inverse : le silence sera respecté, et si quelqu’un s’enferme dans le silence et part bouder dans sa chambre, on attendra qu’il veuille bien revenir, sans lui demander d’explication. Le couple devra trouver une voie entre ces deux cultures familiales, ce qui n’est pas aisé.
C’est évidemment un exemple parmi de nombreux autres, qui peuvent, à un moment ou un autre, poser des difficultés au sein du couple. Les familles ont des règles de vie, des principes qui ne sont pas toujours explicités. Dès lors que l’on se met en couple, il a en arrière fond tout ce qui a pu se passer dans la famille d’origine.
Et quand ce couple a des enfants, c’est alors une autre paire de manches ! Chacun est pris par des influences. Par exemple, une personne ayant grandi dans une famille où l’un des parents était violent pourra être déterminé, par réaction, à éviter toute agressivité, au risque de ne pas comprendre qu’un certain niveau d’affirmation peut être une compétence et non une violence.
En dernière analyse, disons qu’il est important d’opérer ce que Nicole Prieur appelle les “trahisons nécessaires” : savoir se séparer sans rompre, arriver à trouver son autonomie par rapport aux principes de vie de sa famille d’origine et construire sa propre culture familiale selon des principes que l’on pense bons.
Entre autorité et éducation positive : trouver l’équilibre
Je pense que l’éducation positive a apporté un contrepoint souhaitable à un mode d’éducation trop autocratique où la violence était perçue comme ordinaire.
De ce point de vue, ce courant issu notamment de la psychologie positive (Carl Rogers, entre autres) a eu une influence intéressante. Mais il montre des limites lorsque sa logique est poussée à l’extrême : vouloir laisser à l’enfant le choix alors qu’il n’en a pas encore les moyens psychiques peut être problématique. Ainsi, demander à un enfant d’un an et demi de choisir entre deux glaces – soit fraise soit chocolat – alors qu’il ne connait probablement pas ces parfums, peut l’angoisser inutilement. Et, plus tard, laisser un enfant prendre un pouvoir quand il n’est pas en mesure d’en assumer la responsabilité le met dans une situation où il devient l’organisateur des relations dans la famille. Ce qui n’est pas son rôle. Le parent, alors, laisse l’enfant devenir “l’emmerdeur” qu’il n’est pas ! Le parent doit justement l’empêcher de devenir cela.
Caroline Goldmann souligne à juste titre que nous avons parfois été trop loin dans l’éducation positive ; il faut ramener un peu d’autorité et des limites. L’éducation, c’est aussi apprendre à respecter des règles et à vivre avec des contraintes, aptitudes indispensables pour intégrer la vie sociale. C’est ce qu’on appelle, en psychologie, “l’intégration de la loi” : si la loi c’est moi, ça va vite poser des difficultés, surtout face à d’autres individus qui vont penser la même chose d’eux-mêmes.
La mise en place de contraintes appropriées permet d’apprendre à accepter une certaine tolérance à la frustration, indispensable à la vie en société. On ne peut pas avoir tout, tout de suite. On peut même apprendre que l’attente peut être source de plaisir : souvenez-vous du renard et du Petit Prince.
Cependant, il ne suffit pas d’imposer l’autorité. L’autorité doit être ancrée dans une relation de confiance et perçue comme bénéfique pour l’enfant, et non comme une simple exigence des parents pour leur propre tranquillité. Sans cette intimité et cette légitimité, elle risque de rencontrer quelque résistance !”
Pour aller plus loin sur le sujet, découvrez l’interview de Didier Pleux : Éducation : mêler amour et frustration