Cet article, issu du livre “Société de Bien Commun, pour changer la donne à hauteur d’homme”, est anonyme dû au devoir de réserve imposé aux magistrats.
“La justice désigne avant tout une valeur, un idéal moral, un concept philosophique dont la caractérisation paraît à la fois évidente et complexe. L’idée de justice fait référence à un équilibre dans les relations entre les hommes afin de réguler les relations sociales dans le respect des droits et devoirs de chacun. Une formule médiévale la définit ainsi comme « l’art du bon et de l’égal ».
L’idéal du juste est associé à l’activité de juger. La justice se réalise dans la tension entre le juste et l’injuste et dans l’acte par lequel on rend la justice. Elle désigne en ce sens le fait de corriger une inégalité, de combler un handicap, de sanctionner une faute et de répondre à un dysfonctionnement.
Le fait de rendre la justice devient concret par nos institutions judiciaires. La justice désigne alors les divers organes auxquels la souveraineté nationale a officiellement délégué le pouvoir d’interpréter la loi et d’en assurer l’application y compris par la force.
La justice est donc nécessairement une composante majeure du bien commun et du bien vivre ensemble en ce qu’elle a vocation à réguler et à répondre à certains dysfonctionnements sociaux et à assurer le respect des normes pour garantir les droits des individus.
Par exemple, la sécurité physique de tous doit être assurée pour permettre à chacun d’agir dans la cité sans se sentir menacé. La justice peut aussi apporter une aide aux individus ou aux familles qui en ont besoin (tutelle des majeurs, assistance éducative, travail sur la réinsertion des délinquants, etc…).
Si la justice ne fonctionne pas, le contrat social ne peut pas exister et la dérégulation des rapports sociaux freine ou empêche des initiatives individuelles ou collectives pour le bien commun. La justice doit être la même pour tous et favoriser la protection des plus faibles.
Malheureusement, en tant que magistrate, je fais le constat que la justice est très souvent incomprise et mal perçue. Il existe des dysfonctionnements qui peuvent avoir de lourdes conséquences.
Les citoyens ne comprennent pas l’institution judiciaire et la justice leur semble souvent inaccessible (coût, distance…) et inadaptée (trop lente, trop clémente, trop répressive, partiale ou inégalitaire).
De plus en plus de tâches sont confiées à l’institution judiciaire mais sans lui donner les moyens adéquats. Les études comparatives montrent depuis de très nombreuses années un flagrant retard de la France pour les budgets et des moyens alloués par comparaison avec d’autres États similaires. Les résultats de cette pénurie de moyens sont graves.
Le traitement des affaires civiles ou pénales est souvent trop long et certaines affaires ne peuvent parfois tout simplement pas être traitées avant l’achèvement des délais de prescription. Les jugements sont de moins en moins motivés faute de temps notamment dans la matière pénale alors même qu’une explication claire apportée à la décision rendue pourrait être un facteur de diminution de la récidive. Les audiences sont excessivement chargées, ce qui induit que les justiciables n’ont pas le temps de s’exprimer comme ils le souhaiteraient ou que les audiences se terminent à des horaires qui ne sont pas compatibles avec un exercice serein de la justice. De nombreux autres exemples pourraient être donnés pour tous les secteurs de la justice…
Pourtant, je crois sincèrement dans l’engagement total et la bonne volonté de l’immense majorité des acteurs de la justice. Je suis profondément convaincue que notre système ne fonctionne encore qu’à cause du dévouement des personnels et des auxiliaires de justice. Ceci est pour moi un motif de fierté et d’espérance.
Que faire pour que la justice française soit à la hauteur de son rôle ? Plusieurs pistes de réflexion peuvent être envisagées.
L’institution de la justice devrait tout d’abord mieux communiquer et être mieux connue des citoyens. Le droit ou a minima le fonctionnement judiciaire pourraient être réellement enseignés.
Il serait aussi souhaitable de renforcer les mécanismes pour faciliter l’accès à la justice des plus faibles. Ceci implique que la justice doit se rendre compréhensible ou permettre un réel recours à des conseils juridiques d’Avocats. L’accessibilité géographique est aussi nécessairement déterminante. La présence des institutions judiciaire au niveau local peut permettre de renforcer l’égalité des citoyens sur le territoire et l’accès effectif à la protection de la justice.
Enfin, la justice doit avoir les moyens de fonctionner afin qu’elle puisse être effective. Il est nécessaire que les personnels et les magistrats soient en nombre suffisant pour remplir leurs missions. Que de malentendus levés si le juge avait le temps d’expliquer sa décision et de répondre aux questions posées ! Que d’incompréhensions évitées si les décisions de justice étaient toutes exécutées…
C’est un véritable défi pour la France. L’ampleur des enjeux pour le bien commun et le vivre ensemble des citoyens devrait conduire à faire de la justice une priorité absolue dans les années qui viennent.”
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Comment faire advenir une Société de Bien Commun ? Cette question passionne le Courant pour une écologie humaine, qui lance le premier volume d’une collection dédiée à la recherche des conditions et des moyens nécessaires pour faire émerger cette société. Pour changer la donne, à hauteur d’homme.