Le Club des Poètes, fondé en 1961 à Paris par Jean-Pierre Rosnay, poète et ancien résistant, est un lieu unique où la poésie devient vivante et accessible à tous. Depuis sa création, le Club des Poètes s’attache à rendre la poésie « contagieuse et inévitable », un héritage que son fils – Blaise Rosnay – s’attache à transmettre.
Qui est le fondateur du Club des poètes ?
Blaise Rosnay, animateur du Club des poètes : “Le Club des poètes a été créé en 1961 par Jean-Pierre Rosnay (1926-2009), écrivain et poète, mon père.
Il a vécu une résistance très engagée, à quinze ans et demi, pendant la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, il a décidé de mettre son énergie au service de la poésie ; il lui semblait qu’elle était susceptible de construire des relations plus fraternelles entre les personnes. C’était, au fond, le sens de sa vie.
Il a commencé par créer une maison d’édition qui s’appelait « Les Jeunes Auteurs Réunis » (JAR). Puis il a fait de la radio, avec Philippe Soupault, l’un des fondateurs du surréalisme. Il a ensuite eu son émission personnelle à la radio et à la télévision, avec toujours ce désir de rendre la poésie contagieuse et inévitable, allant vers le public le plus vaste possible, pour faire connaître les grandes voix de la poésie de tous les pays et de tous les temps.
Où trouve-t-on le Club des poètes ? Que s’y passe-t-il ?
le Club des poètes se trouve au 30 rue de Bourgogne à Paris 7. Nos portes sont ouvertes du mardi au samedi, à partir de 19h.
On y accueille tout un aréopage de jeunes et – moins jeunes – passionnés de poésie. On ne va pas au Club des poètes par hasard ! On y vient parce que l’on a besoin de cette nourriture spirituelle qu’est la poésie.
À 19h, donc, les personnes peuvent prendre un verre ou dîner de façon simple et conviviale. Et puis, à partir de 21 heures, on éteint la lumière électrique pour laisser la place aux bougies et la magie opère : des personnes se succèdent pour réciter par cœur des poèmes. On se rattache à la tradition de la transmission orale de la poésie ; on n’utilise donc pas le livre pour éviter d’avoir quoi que ce soit entre nous et les personnes qui écoutent.
Au bout d’un moment, on fait une pause afin que les présents puissent discuter entre eux. Nous faisons en sorte de faciliter un échange continuel entre les personnes qui font vivre ce Club et les personnes qui viennent s’y ressourcer en écoutant.
Qu’écoute-t-on au Club des poètes ?
Beaucoup de grands poètes du XXᵉ siècle sont venus au Club. Mon père en avait connus certains avant même la création du Club des poètes. Il avait rencontré Aragon pendant la guerre. Pablo Neruda, Raymond Queneau, Jean Cocteau sont également venus… La liste est longue, depuis 1961 !
Mais l’esprit est resté le même. On évite de tomber dans une muséification du Club des poètes en étant entièrement tourné vers le présent. Ce passé, qui existe et que nous avons reçu, nourrit notre action et donne un sens, des exigences, pour organiser nos soirées.
Tout les poèmes que nous disons, nous les avons d’abord appris, travaillé, répété entre nous. Ces soirées sont donc préparées car nous sommes conscients que des personnes vont nous consacrer un moment de leur vie : ce n’est pas rien de recevoir l’attention du public !
Et puis aussi, souvent, des personnes qui sont venues écouter une première fois, ont eu le désir d’apprendre eux-mêmes des poèmes. Ils s’ouvrent alors avec confiance à l’audience du Club des poètes qui est d’une grande bienveillance et dénuée de tout jugement.
Qu’est-ce que la poésie ? En quoi est-elle bénéfique pour l’être humain ?
Il est très important de dire que la poésie, c’est quelque chose de l’ordre de l’intimité. Le poète parle de sa vie intérieure, de sa vie sensible. Les moments vécus au sein du Club des poètes sont presque solennels et sacrés.
La poésie se renouvelle sans cesse : certaines formes qui ont été utilisées au XXᵉ siècle, par exemple, étaient tout à fait imprévues dans l’itinéraire de la tradition poétique.
Pour moi, la poésie, c’est la capacité qu’a quelqu’un de vous faire entrer dans son jardin intérieur. Quelqu’un qui trouve un agencement de mots, une manière de dire, pour vivre un moment au rythme de son souffle et à celui de votre imagination, de votre pensée la plus intime, de ce que vous êtes fondamentalement.
La société actuelle nous habitue à ne pas solliciter notre attention dans la durée, elle nous habitue à jongler, à passer d’une image à l’autre, d’une opinion à l’autre. On passe rarement du temps pour essayer de saisir ce qu’une personne veut vraiment exprimer. On est dans une société de zapping et, justement, la poésie, c’est le contraire de ça.
Quand on a accès à une œuvre importante en matière de poésie ou de philosophie, il faut la remâcher. C’est ce que disait Nietzsche quand il disait qu’il était comme un ruminant : quand il lisait Spinoza ou Schopenhauer, il lisait et relisait ; il passait beaucoup de temps avec l’auteur.
Il y a des poèmes que j’entends depuis que je suis tout petit. Il y a même un certain nombre de poèmes que j’ai appris uniquement en les écoutant. J’adore ce mode de transmission. Je crois que, de ce point de vue, la poésie nous apprend une attention à l’autre et un désir de prendre le temps de connaître et de comprendre.
La poésie a-t-elle toujours un rôle à jouer dans notre monde ?
La poésie nous fait nous rencontrer dans ce que nous avons de plus singulier. Elle est la manifestation de cette libre fantaisie que nous possédons tous et que l’on a tendance à dissimuler.
Nous vivons dans une société extrêmement mécanique où la raison s’affole, s’emballe, dans son désir de tout saisir, de tout comprendre, de tout posséder. La poésie offre une respiration bienvenue par rapport à ça.
Mon père disait que la poésie permet d’échapper à l’implacable et véloce loi du profit. La poésie permet d’accepter qu’il y a des choses n’ayant pas vocation à être ni rentables, ni utiles au sens instrumentalisables, juste gratuites ; l’expression gratuite de quelque chose que l’on ressent ou que l’on a besoin de dire. Naturellement, la poésie change la relation entre les êtres humains ; ils ne sont alors plus perçus comme des outils mais comme des âmes infinies.
La poésie fait vivre la singularité de notre âme. On a beau être promis à la mort, donner l’impression de pouvoir être résumé par quelques actes posés dans la journée – notre utilité – il y a, en réalité, quelque chose au-delà de ça pour comprendre l’humain et le voir s’épanouir.
On est dans une exigence d’efficacité qui nous jette dans la mort ; on produit des choses, on s’agite, mais en définitive, tout ça passe à côté de ce que la vie a de précieux. Cette citation de Rilke me reste toujours en tête : “Ils vont au hasard, avilis par l’effort de servir sans ardeur, des choses dénuée de sens”.
Mon père disait que la poésie est “l’anti-polluant de l’espace mental”, “le contrepoids et le contrepoison d’une existence qui tend à faire de nous des robots”. Je crois que l’on a toujours bien besoin de ce contre-poison à l’heure actuelle !
Autour de moi, je ne vois que des personnes affamées de poésie. Je crois que c’est très vivant dans le cœur de l’homme. Être plongé jeune dans un milieu où les beaux gestes, les beaux sentiments et les belles paroles sont exprimés – quand je dis beau, ce n’est pas simplement une question d’esthétique, mais une question de justesse dans le geste, la parole et l’expression de ses émotions – je crois que ça fait émerger le désir de vivre et de faire vivre cela. Alors, par la force des choses, on va avoir besoin de se créer un écosystème qui permettent ces échanges autour de soi. C’est l’un des objectifs du Club des poètes.
Est ce que vous ne feriez le cadeau d’une poésie ?
Bien sûr. Voici un poème de mon père que j’aime beaucoup et qui s’appelle « Épitaphe » :
Je ne suis né que pour quelques poèmes
Ma vie n’existe qu’en plein champ
Je les portais du bout des temps
Et je chantais à perdre haleine
Je discourais d’amour la nuit, au pied des arbres
Et la nuit m’accueillait et la forêt m’aimait
Je ne veux sur ma tombe ni le fer ni le marbre
Mais je souhaite un ruisseau et quelques roitelets
Je ne veux rien sur ma dépouille
Rien qui puisse me rappeler
Rien qu’un peu d’eau pour les grenouilles
Et quelques enfants à jouer.
J’aimais tant le chant des grenouilles
Glissant l’anneau d’or de l’été
Et les enfants
Mal décoiffés
Je ne suis né que pour quelques poèmes
Qui m’aime m’oublie
Par amour de moi.
Rien n’est plus urgent que la vie
La vie qui fuit entre nos doigts.”
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L’adresse du Club des poètes : 30 rue de Bourgogne , Paris, France