Incitations à l’achat, pollution visuelle, effets boomerang… désencombrer nos cerveaux de publicités souvent intrusives est le pari réussi de Grenoble, lancé en 2014. Est-il possible d’étendre cette mesure à nos villes et communes respectives ?
LA PUBLICITÉ EN VILLE : UNE NÉCESSITÉ ?
Panneaux sucette, abribus, immenses bâches sur des immeubles en travaux, devantures de galeries marchandes … la publicité gagne du terrain dans nos villes et la technologie des mobiliers urbains ne cesse de s’améliorer pour capter notre attention, nouvel enjeu économique de la société de consommation. C’est en 1964 que la société JC Decaux, aujourd’hui numéro 1 mondial de la communication extérieure, met en place son premier troc avec la ville de Lyon : la commune cède un espace dédié à la publicité en échange de mobiliers urbains et d’une contribution financière des marques.
Et oui : la publicité qui tapisse nos murs – et pas que – est l’un des principaux moyens que nos communes utilisent pour financer les projets publics. Moins de publicité est souvent associé à une hausse des impôts locaux. La publicitaire Babette Auvray-Pagnozzi confie au journal l’Express en 2014 : « Certes, ce sont surtout les grands groupes qui profitent de l’affichage publicitaire urbain. Mais ce sont aussi eux qui font tourner l’économie, créent des emplois ».
La ville de São Paulo au Brésil en a fait l’expérience : en 2006, le maire de São Paulo, Gilberto Kassab, fait voter la loi Ville propre qui interdit tout affichage publicitaire dans l’espace public. 5 ans après, une enquête indique que 70 % des Paulistanos approuvent la mesure, estimant qu’elle a été bénéfique. Mais selon Dalton Silvano, conseiller municipal de São Paulo : « Cela a eu un effet terrible, aboutissant à la fermeture d’entreprises de l’industrie ainsi qu’au renvoi de milliers de travailleurs, directement ou indirectement impliqués dans ce média ». La municipalité a fini par revenir sur sa décision : en 2012, elle a signé un contrat avec JC Decaux pour installer dans les rues un millier d’horloges permettant de diffuser des informations municipales et météorologiques.
Et pourtant, la ville de Grenoble maintient son statut de première ville européenne sans publicité depuis 2014. Quels sont ses secrets ?
MOINS DE PUB, MOINS DE DÉPENSES PROTOCOLAIRES
En novembre 2014, le maire Éric Piolle, nouvellement élu, annonce concrétiser ses promesses de campagne en ne renouvelant pas le contrat de la ville avec JC Decaux et en lui faisant retirer ses 326 panneaux du territoire communal. Cette décision fait grand bruit, jusqu’à Jacques Séguéla qui se fend d’une interview : « Supprimer l’affichage, c’est vouloir assassiner le petit commerce en ville […] Je ne comprends pas qu’un maire digne de ce nom prive les commerçants de ce stimulus indispensable. C’est criminel » et puis, « Si vous abaissez l’envie d’acheter, vous courez directement vers la déflation et in fine vers la fin du système ». Et pourtant, 5 ans plus tard, Grenoble tient sa ligne de conduite, à l’exception notable de la ratification d’un contrat pour fourniture de 1 100 abris-voyageurs nouvelle génération, par le biais de son Syndicat Mixte des Transports en Commun (SMTC), sur une période de 12 ans à partir de 2019.
Alors, comment fait Grenoble ? La ville a fait le choix de limiter les dépenses dites protocolaires. Lucille Lheureux, aujourd’hui adjointe au maire, expliquait au Monde dans un article paru le 2 décembre 2014 qu’« En huit mois, on (la ville de Grenoble) a économisé 190 000 euros ». Un exemple parmi d’autres de baisse des coûts de fonctionnement : la mairie a vendu les 15 voitures de fonction réservées aux élus et les a remplacés par des vélos. Seulement 5 voitures restent à disposition pour les grands déplacements.
Si la mairie de Grenoble reste discrète sur les moyens de financer les dépenses publiques hors publicité, on remarque que les revenus de la ville liés aux taxes et impôts ont diminué de 15 % entre 2014 et 2017. Et même si, en 2017, les impôts locaux par habitant à Grenoble sont plus élevés que la moyenne française (848€ par habitants contre 501€ en moyenne en France par habitant), Grenoble ne figure pas dans le top 10 des communes françaises où les taux de contribution aux impôts locaux sont les plus élevés (1).
Si cette politique a pu être appliquée à Grenoble, c’est grâce à un règlement local de publicité (RLP). Le RLP donne aux communes le droit de planifier comme bon leur semble l’affichage publicitaire. Il est propre à chaque commune mais ne peut pas être moins restrictif que le règlement général de la publicité en vigueur sur le territoire national. Par exemple, il ne peut pas autoriser l’affichage publicitaire sur les églises et les mairies, explique un membre de l’association Paysage de France.
Les principaux atouts d’un tel règlement sont d’appliquer le principe de subsidiarité aux villes et communes de France et de valoriser la participation citoyenne. Dorénavant, chacun (habitant, associations locales…) peut théoriquement faire valoir son avis et participer de manière active à l’élaboration des règles d’affichage publicitaire là où il habite.
CONCRÈTEMENT, COMMENT DONNER SON GRAIN DE SEL ?
En 2011, la ville de Paris renforçait les contraintes publicitaires de son règlement local de publicité datant de 1986. Mais en 2019, la coordinatrice des conseils de quartier de la mairie du 9ème arrondissement que l’on a appelé pour réaliser cet article semble n’avoir jamais entendu parler du RLP. Or, l’action des habitants lors d’une modification de RLP est primordiale pour faire évoluer les choses.
Conformément au code de l’urbanisme, l’élaboration du RLP est l’objet d’une discutions entre différents acteurs publics (le Préfet, les maires, l’établissement public de coopération intercommunale EPCI, les syndicats d’agglomération, etc.) et de groupes privés agréés, telle qu’une association environnementale, à condition qu’ils en fassent la demande.
Il est tout à fait possible d’organiser des réunions publiques pour établir un cahier des charges à remettre à la mairie, explique l’association Paysage de France sur son site internet. Et si un RLP est en cours de modification ou d’élaboration, la commune a le devoir de concerter les citoyens par le biais d’un formulaire internet, d’un formulaire papier à remplir à la mairie ou des deux. 2019 est une année propice pour faire bouger les choses, le grenelle de l’environnement 2010, obligeant les communes à réviser leur RLP avant 2020. Des modifications de RLP ont lieu un peu partout en France. Vous pouvez être à l’origine de cette demande : parlez-en à vos élus !
Pour agir, deux modes d’expression existent et se complètent. À vous de choisir celle qui convient le mieux à vos valeurs.
– La désobéissance civile, menée principalement par des associations contre toute forme de publicité. Résistance à l’Agression Publicitaire, par exemple, fait des recouvrement de panneau publicitaire, mobilisations…
– La dénonciation. L’association Paysage de France propose des outils pour dénoncer les panneaux illégaux. En 2019, l’association a gagné ses 80 procès. Vous pouvez les aider en envoyant des photos et les détails (rue, commune, affichages, etc.) de chaque panneau illégal rencontré (qui ne correspond pas aux codes de l’urbanisme, par exemple).
Vivre avec moins de publicité, c’est aussi vivre avec moins de sollicitations pour pouvoir se concentrer sur l’essentiel : prendre soin de tout l’homme et de tous les Hommes.
Sources :
(1) DGFiP, classement Toutsurmesfinances.com et JDN 2019
https://www.lemoniteur.fr/article/paris-a-un-nouveau-reglement-local-de-publicite.796864
https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F24478