Lors de la soirée sur le thème “se situer” du parcours de form’action Cap 360°, les participants ont fait part de plusieurs questions qu’il serait dommage de ne pas partager avec le plus grand nombre. Voici donc la synthèse de ces échanges, avec les réponses de Gilles Hériard Dubreuil et Tugdual Derville, tous deux co-initiateurs du Courant pour une écologie humaine et celle de Claire, atteinte de atteinte de Spina bifida.
Concrètement, comment faire pour se situer ?
Gilles Hériard Dubreuil : « il s’agit d’être en mesure de renverser la vapeur : par rapport aux situations inquiétantes ou déstabilisantes que j’ai pu traverser, se situer, pour moi, a été d’arriver à construire une lecture constructive. Voilà le principal moteur pour « se situer ». Et pour réussir à faire cela, nous devons effectivement trouver notre place de personne unique et incommunicable, dans le temps et dans l’action. C’est le point de départ… »
Tugdual Derville : « Dans nos existences, il y a toutes sortes d’expériences qui constituent un chemin, derrière nous – parce que l’on ne connait que le passé, l’avenir est imprévisible – mais chacune d’entre elles favorise la compréhension de ce que l’on pourrait appeler « un appel » personnel, qui renvoie à notre unicité. « Nous sommes tous des merveilles » : pouvoir se reconnaître comme absolument irremplaçable dans l’histoire et le temps, ici et maintenant, bénéficiant de toutes ces « lampes » de mon passé – très souvent des rencontres de personnes qui, comme des éclaireurs de mon identité, m’ont révélé qui j’étais – ont progressivement révélé tout ce que je pouvais être de bien, de bon et de vrai. Ce sont elles qui nous permettent de nous sentir appelés à transformer le monde.
Il y a là un élément de confiance, d’émerveillement : personne d’autre que nous ne peut agir ici et maintenant pour transformer le monde. Et transformer le monde, l’embellir, cela passe parfois par des actions extrêmement simples et humbles. Monter un mur de pierres sèches, par exemple !
C’est une chose stupéfiante : nous ne sommes pas les individus d’une espèce mais des personnes d’une famille humaine. Chacun est unique et irremplaçable, chacun est une merveille !
Pour faire le lien entre les trois interventions de la vidéo sur « se situer », on a Gilles qui nous dit de nous inscrire dans l’Histoire. Il nous propose de nous positionner non pas comme des observateurs ou des déplorateurs, mais comme des acteurs. Grâce à une anthropologie que je qualifierai d’anthropologie du don : on se reçoit, on se donne, dans une authentique bienveillance (veiller au bien). C’est un appel universel proposé par le Courant pour une écologie humaine : l’Homme est fait pour se donner.
On a Claire qui nous témoigne d’une joie de vivre au-delà du handicap qu’elle endure. Cet exemple est très inspirant : elle se communique à la fois par ce qu’elle donne et aussi par ce qu’elle reçoit. Cela fait écho à cette anthropologie de la bienveillance, du don. Voilà une personne qui a repéré un talent spécifique, y compris dans la faiblesse de cet ami qui a un léger autisme et qui est obligé d’avoir un rituel de course hebdomadaire dans sa vie. Claire en profite pour lui commander quelques emplettes et lui, cet ami, trouve le sens de sa propre vie en rendant service à Claire.
Et puis, on a Rémi Brague, un grand intellectuel réputé, qui nous dit que nous n’avons pas de sens à exister et à transmettre – y compris la vie – sans cette transcendance, cette quête de sens, et notamment par cette dimension qui peut être religieuse de l’existence humaine. L’humanité se vit grâce à cette transcendance.
Tout cela permet de se situer à la fois dans l’histoire des Hommes, dans le temps, avec un exemple très concret et humble qui nous donne envie de nous donner, y compris dans les choses plus simples.
GHD : « Chacun d’entre nous est invité à construire ce récit collectif, à trouver sa place, à donner son interprétation dans l’Histoire.
Comme le dit le philosophe Jankélévitch : « Imiter c’est comprendre, désigner c’est agir ». Le récit nous fait passer à l’agir.
Pour agir, il faut découvrir notre place, notre unicité et avoir le sentiment qu’il y a “quelque chose de plus grand que nous”. Ce “quelque chose plus grand que nous” nous confirme dans l’idée que ce que nous faisons va dans le bon sens, que l’existence de l’Homme est bonne. »
Peut-on considérer la transcendance comme bienveillante ?
GHD : « Est-ce que toute transcendance est bonne ? Est-ce que toute interprétation que l’on peut faire d’une vision religieuse est bonne ? Nous ne sommes pas en train de dire que chaque acte d’une personne qui se met dans une posture transcendante est nécessairement bon. Rémi Brague parle de la transcendance comme d’une façon pour l’Homme d’échapper au projet de l’Homme. C’est-à-dire de pouvoir trouver, dans son être, dans sa vocation, quelque chose qui échappe à tout calcul. Cette vocation et cette unicité se situent dans un certain mystère : tout est ouvert, le projet d’autres personnes sur nous n’est pas légitime. Voilà comment je comprends le propos de Rémi Brague sur la transcendance. »
TD : « Il s’agit au fond d’accueillir la vie comme un bien. Rémi Brague a mentionné la rébellion adolescente que l’on peut tous ressentir à un moment de nos vies. Le fait d’accueillir la vie comme un bien et de consentir à sa fin également comme un bien, nous met dans une dynamique autre : nous ne sommes pas nos propres créateurs, nous consentons à ce qui nous est donné.
Cela nous met notamment dans une vraie joie par rapport à cette vie, au-delà de toutes les épreuves et les scandales qui nous traumatisent. Quand j’étais jeune, à l’âge de 18 ans, j’étais choqué de voir que des enfants porteurs de handicaps n’étaient pas accueillis. Cela me traumatisait. Mais le fait de m’engager auprès d’enfants handicapés a été une façon de passer de la déploration à la consolation. Je pense qu’on ne peut se situer que par rapport aux autres. Un être humain seul est sauvage. On ne peut pas s’épanouir et devenir pleinement soi-même tout seul. La question est : « qu’est-ce que mon cœur voit de la misère de mon peuple ? ». Il ne s’agit alors plus seulement d’un regard – qui pourrait être effaré – mais d’un passage à l’action qui est, déjà, consolation. La déploration renferme sur soi tandis qu’une action, y compris avec de petits moyens, console.
C’est ce regard, ce cœur qui voit, qui nous fait passer à l’action et qui nous permet de nous situer dans l’Histoire du monde, à notre échelle. »
Nos vulnérabilités sont-elles un bon moyen de nous situer ?
Claire : « En tant que personne ayant un handicap très visible, je suis convaincue que ma vulnérabilité est un témoignage aussi pour les autres. Ça leur permet de se situer. Les gens qui me regardent peuvent penser : « Cette personne y arrive, pourquoi n’y arriverai-je pas ? ».
TD : « On est là pour creuser ensemble chaque thème et voir en quoi ils nous poussent à agir. Effectivement, nos limites nous mettent en relation avec les autres. C’est peut-être justement ce qui nous permet de ne pas encourager une société de toute puissance, d’autonomie absolue et de rejet du plus faible. Ce qui peut constituer pour chacun d’entre nous un handicap – visible ou pas – est aussi ce qui va permettre d’humaniser ce que nous sommes. »
GHD : « Il y a la question de « pourquoi se situer » qui est posée aujourd’hui. Je crois qu’on a besoin de se situer pour pouvoir agir sur le monde. Mais je ressens que le fil conducteur de nos échanges est anthropologique. Pour nous situer, nous devons savoir ce qu’est l’Homme. Sommes-nous seulement des individus intéressés, égoïstes ? Faisons-nous partie d’une communauté fondée sur le bien commun ? Est-ce que c’est la performance qui définit l’Homme ou est-ce sa vulnérabilité ?
Ce thème « se situer » nous invite à approfondir ce que nous sommes, ce qu’est l’être humain. Et à nous risquer à le définir et à l’affirmer de façon forte. »
Qu’est-ce qu’on entend par le terme « incommunicable » apposé à l’Homme ?
TD : « Je ne suis pas capable de transférer ma volonté à autrui. Je suis un être qui a sa volonté propre, un libre arbitre inaliénable. Je ne suis pas capable de faire désirer à quelqu’un ce que je veux qu’il désire. Dans le « sanctuaire inviolable de ma conscience », il y a quelque chose d’irréductible qui m’empêche d’être chosifiée, d’être traité comme une machine qu’il serait possible de programmer. »