Comment réduire la précarité sur son territoire ? L’exemple du Secours Populaire de Lomme

4 Fév, 2023 | FAMILLE, SOLIDARITÉS & SOCIÉTÉ, TÉMOIGNAGES

Depuis 1977, le Secours Populaire est installé à Lomme, commune située dans la région Hauts-de-France et associée administrativement à Lille. Son actuelle directrice, Muriel Sergheraert, raconte les actions menées sur le territoire qui ont permis aux familles en situation de précarité de retrouver autonomie et fierté. Édifiant.

“C’est facile de se plaindre de ce qui ne va pas. Mais la question qu’on doit se poser est : que fait-on pour notre voisin ? Pour celui que l’on croise dans la rue ? Pour le commerçant ou l’étudiant en difficulté ?”

Le Secours populaire de Lomme

Murielle Sergheraert, directrice du Secours populaire de Lomme : “Je suis engagée au Secours populaire depuis 1977. Donner un sens à mon quotidien par l’action tournée vers les autres est ce qui m’a amené à rejoindre cette association. J’ai eu des phases de présence plus active que d’autres, mais, depuis 2010, je m’y consacre dorénavant entièrement.

Le Secours populaire est une association qui existe depuis 1947. Son action première est de venir en aide à toute personne, quelle que soit sa religion, sa nationalité, son territoire, de façon à pouvoir combler ses besoins premiers : alimentation, habillement et hygiène.

Si Lomme est rattaché administrativement à Lille depuis février 2000, cette commune a pourtant des particularités très fortes : la population ouvrière y est beaucoup plus importante et les revenus fiscaux moins élevés (14 000 € à Lomme contre 16 000 € sur le département pour le revenu fiscal moyen). On a donc une population plutôt pauvre et ouvrière. Autre particularité de Lomme : il y a de très nombreux seniors et de nombreux très jeunes. La population intermédiaire est beaucoup moins présente.

Lomme, c’est 28 000 habitants, cinq quartiers, avec un grand nombre d’associations. Il y a beaucoup d’activités de loisirs, tant culturelles que sportives. Et deux associations d’aide à la personne : le Secours populaire et les Restos du cœur.

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Quand il faut se poser des questions sur les pratiques du Secours populaire

Historiquement, le Secours populaire a toujours eu cette action d’aide alimentaire. Il y a eu deux dispositifs :

  • le chéquier du libre-service, pour précommander un colis alimentaire mensuel,
  • l’aide alimentaire d’urgence, par demande des familles ou d’un travailleur social.

Ce mode de fonctionnement a duré pendant des années à Lomme où, faute de compétences et de bénévoles les services d’aide vestimentaire et d’accompagnement humain ne pouvaient pas vraiment se déployer.

Après quelques années de pause dans mon engagement, quand je suis retournée en tant que bénévole au sein du Secours populaire de Lomme, une chose m’a glacée : rien n’avait changé ; les mêmes familles, génération après l’autre, étaient inscrites aux dispositifs alimentaires…

Je suis issue d’une famille nombreuse où nos parents nous ont portés pour aller toujours plus loin. Découvrir ces situations où l’enfant devenu majeur rencontrait les mêmes difficultés que ses parents m’a beaucoup affectée. J’en ai conclu que l’aide alimentaire et l’accompagnement proposé par notre association ne suffisait pas à sortir les personnes de la pauvreté. Ce constat amenait une question : quoi faire différemment pour leur permettre de s’en sortir ?

Mélanger les populations pour sortir de la stigmatisation

Rapidement, on a mis en place un dispositif économique dans lequel les familles sont actrices et bénéficiaires. Ainsi, nous avons ouvert une petite friperie tout public. Dès le départ, ça a été un enjeu de permettre aux familles “précaires” de rencontrer des familles “insérées”. Il fallait pouvoir se dire on fréquente les mêmes lieux, les mêmes endroits et on va sûrement y trouver le même intérêt. Tout cela pour faire en sorte de lever la barrière de la honte.

Notre premier objectif a donc été de faire venir tous ces publics. Ils ne viennent jamais le sourire aux lèvres – il n’est jamais évident d’avoir à être aidé – mais ils viennent. Et ce dispositif, en engendrant des fonds, nous a permis d’améliorer l’aide alimentaire !

Révéler à chacun ses capacités d’aidant

Aujourd’hui, cette petite friperie est devenue grande ; de 50 mètres carrés, elle est passée à 5 200 ! Et à partir du besoin des familles, on a construit petit à petit un projet constitué de quatre lieux différents.

Deux lieux réservés aux bénéficiaires des aides du Secours populaire :

  • la Boutik Pop qui propose à ses bénéficiaires un accès à très petit prix à des vêtements neufs dont les produits sont récupérés, lorsque jugés démodés par les entreprises (c’est-à-dire l’année d’après),
  • la Mie Pop, l’épicerie solidaire où les bénéficiaires peuvent participer à la programmation des produits.

Et à côté de ça, on a deux espaces pour toute la population lommoise, voire au-delà, qui permettent de financer l’épicerie solidaire :

  • La friperie Bis Repetita,
  • la ressourcerie Bio Logis.

Dans ces espaces, quasiment tous les bénévoles sont également bénéficiaires de l’aide alimentaire : tout le monde peut agir !

À côté de tout cela, on a créé des espaces ateliers ouverts à tous où l’on propose des activités sur le réemploi et le recyclage : repair-café, ateliers de création de costumes, de peluches, de cadeaux de fêtes des pères ou des mères… La grande idée ? Permettre des rencontres et des échanges entre tous, sur un pied d’égalité !

Secours Populaire de Lomme

Ce qui a changé dans les familles, grâce à ces nouvelles pratiques du Secours Populaire

Au fil des ans, on a pu construire une relation de confiance avec les familles. Le seconde-main et le réemploi a fini par leur sembler intéressants et à changer effectivement la donne pour elles, leur permettant d’économiser un peu d’argent en fin du mois et de développer des savoir-faire valorisables dans la société, où l’on ne cesse de parler de développement durable, d’économie circulaire, de réemploi, d’antigaspi…

Parmi de nombreux exemples, en voici un poignant : je repense à cet enfant particulièrement intenable. Quelques mois plus tard, j’ai rencontré la maman dans un supermarché. Son gamin était adorable, très sage ! La mère m’a expliqué qu’il était maintenant moins fatigué, car il n’allait plus à la garderie matin et soir. J’ai d’abord pensé qu’elle avait perdu son travail entre temps mais j’étais loin du compte ! La mère a poursuivi son explication : comme je n’avais rien à me mettre avant de découvrir le Secours pop, j’allais le chercher à 18h30, au moment où il y avait le moins de monde possible. Ou comment la précarité peut empêcher le lien entre une mère et son enfant…

On a aussi un bailleur social qui nous a interpellé un jour en disant : vous avez fait une opération rideaux chez vous ? C’était effectivement le cas. Et il me dit je l’ai vu parce que tous les appartements avaient des doubles-rideaux ! Cette anecdote pour dire qu’il est vital de pouvoir s’approprier son intérieur. Avoir une housse de couette, des rideaux… c’est pouvoir se sentir bien chez soi. Tout d’un coup, quand on a un ensemble à café correct, on n’a plus honte d’inviter sa voisine. Et quand ce sera l’anniversaire du gamin, il pourra y avoir une fête à la maison, les copains pourront venir, parce qu’il aura un lit dans sa chambre…

Ces petites choses-là, c’est de la dentelle que l’on brode tout doucement. Mais ça permet de redonner de la confiance aux parents. De leur faire réaliser qu’ils ne sont pas qu’en échec et qu’ils ont cette capacité à se mettre en mouvement et à gagner petit-à-petit en autonomie.

Accompagner les personnes en situation de précarité : trouver l’attitude idoine

Pour interagir avec les personnes en difficulté, il faut déjà accepter le fait qu’elles savent ; ce n’est pas forcément nous qui savons mieux. Et surtout, apprendre à ne pas dupliquer notre vécu. Troisième chose qu’il faut avoir en tête : partir des personnes, de leur capacité, de leur envie d’avancer ou non et accepter que le chemin qu’on veut leur faire prendre, même s’il nous paraît plus cohérent, n’est pas forcément celui qu’ils vont avoir envie d’emprunter. Il faut accepter de mettre nos pas dans leurs pas et pas les leurs dans les nôtres. C’est parfois frustrant. Mais c’est la seule façon de faire.

Quand on construit avec les gens et à partir des gens, c’est là que l’on crée des choses stables. Lorsqu’on a un projet associatif, il faut un recul de trois ans, parfois même quatre. Il faut savoir abandonner ce qui n’est plus ajusté aux familles, accepter de remettre le compteur à zéro et de redémarrer.

Surtout, il faut veiller à ne pas mettre les familles en situation d’échec. Par exemple, proposer des vacances à des familles en très grande précarité peut être une source d’angoisse terrible si elles ne sont pas correctement accompagnées. Même si on pense que ça fera du bien, la réalité est beaucoup plus complexe. Les mettre en échec, c’est fermer la porte ; elles ne reviennent plus. Ne serait-ce que proposer une recette trop compliquée ou un légume qu’elles ne connaissent pas peut être un facteur de désengagement…

Prenons l’exemple des chestnuts, une cucurbitacée pas très connue. Plutôt que de leur mettre bêtement des cucurbitacées à l’épicerie, on a proposé une recette et on a cuisiné ensemble. Parce que si on leur met des chestnuts, elles le prendront, vu qu’il n’y a que ça en rayon à ce moment-là, mais une fois qu’elles chez elles, elles le jetteront. Et pour elles, ça veut dire aussi je n’ai pas été capable de m’en servir. Il faut toujours veiller à construire avec ces familles. Si les familles ne prennent pas le train avec nous, on va se tromper de projet.

Secours Populaire

Regagner la confiance

Donner confiance aux personnes, c’est leur permettre de se rendre compte qu’elles sont capables de faire bouger les lignes, de changer leur quotidien et même de nous apprendre des choses ! La question qu’on doit se poser, est : comment les aide-t-on à vivre cette prise de conscience ?

C’est à partir de là qu’on peut avoir une discussion d’égal à égal. Il faut accepter à un moment donné de se reculer et puis de dire, je vais t’écouter. Entendre les gens et les écouter, ce n’est pas la même chose. Les écouter, c’est totalement différent et ça nous permet d’entendre parfois même des silences.

Je suis une éternelle optimiste et je crois vraiment à la capacité des hommes à changer les choses. Ce n’est pas que je ne crois pas aux politiques. Je suis moi-même adjoint dans ma commune. Mais c’est la société qui fera bouger les choses. Et le regard qu’on porte sur l’autre est essentiel pour pouvoir avancer collectivement. Il n’y a que le collectif qui fera bouger les choses.

C’est facile de se plaindre de ce qui ne va pas. Mais la question qu’on doit se poser est : que fait-on pour notre voisin ? Pour celui que l’on croise dans la rue ? Pour le commerçant ou l’étudiant en difficulté ? On ne doit pas forcément agir pour tous. Mais on a tous au moins une personne que l’on peut aider dans notre quotidien en l’accueillant et en l’acceptant tel qu’elle est, tout simplement.”


Une association qui accompagne les personnes “précaires” mentalement : Connexions Familiales

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